Pékin critique l’envoi en Albanie de cinq Ouïgours de Guantanamo

Le Monde, jeudi 11 mai 2006, p. 6

Bruno Philip
" Ce sont des terroristes ! " Pour Pékin, la cause est entendue : les cinq musulmans chinois d'ethnie ouïgoure, capturés par les troupes américaines en Afghanistan durant leur offensive contre les talibans après le 11 septembre
2001, n'auraient pas dû être libérés de la prison de Guantanamo et remis à un pays tiers, en l'occurrence l'Albanie. " Cette décision prise par les Etats-Unis et l'Albanie constitue une sérieuse violation des lois internationales et nous y sommes fermement opposés ", a déclaré, mardi 9 mai, Liu Jianchao, porte-parole du ministère des affaires étrangères chinois.

Washington avait annoncé, vendredi, la libération des cinq prisonniers après avoir estimé que ces membres d'une population turcophone rétive à la sinisation de la province occidentale du Xinjiang (ouest), frontalière de l'Asie centrale, n'étaient plus considérés comme des " ennemis combattants ", selon la terminologie en vigueur outre-Atlantique à propos des affidés d'Oussama Ben Laden. Il y aurait encore une quinzaine de Ouïgours emprisonnés à Guantanamo.

Estimant que les détenus relâchés pouvaient être victimes de sévices de la part d'autorités chinoises réprimant brutalement tout militant ou sympathisant de mouvement " séparatiste ", le gouvernement américain a refusé de céder aux
injonctions de Pékin exigeant leur restitution. L'Albanie a accepté de recevoir ces ex-prisonniers qui ont demandé l'asile politique. Le gouvernement de Tirana a assuré Washington qu'il ne les renverrait pas en Chine tout en précisant qu'il contrôlerait " sérieusement " leurs activités, " en accord avec les lois de l'Albanie et les conventions internationales ".

A Pékin, le porte-parole Liu a ajouté que l'Albanie se trompe si elle pense que les cinq intéressés sont des réfugiés, affirmant qu'ils appartiennent au " Mouvement islamique du Turkestan oriental (ETIM) qui a des relations étroites avec les talibans et Al-Qaida ". L'ETIM est une organisation séparatiste ouïgoure, inscrite sur la liste des mouvements terroristes par Washington, et
considérée comme la plus militante au sein de la mouvance antichinoise du Xinjiang.

Selon les experts, des cellules de l'ETIM seraient présentes en Asie centrale ex-soviétique et en Afghanistan. La Chine assure que ces combattants ont été formés par les talibans avant de franchir dans l'autre sens la frontière
sino-pakistanaise pour mener des activités " terroristes " en territoire chinois. Le nombre de Ouïgours qui ont combattu avec les talibans avant le 11-Septembre est cependant faible. Et l'apparition du mouvement du Turkestan
oriental sur la liste des organisations terroristes avait été interprétée à l'époque comme une concession de Washington à la Chine, destinée à gagner ses faveurs en ces temps de " guerre contre le terrorisme ", juste avant l'invasion
de l'Irak.