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Le yaourt à la loupe 14 mai 2006

Posted by Acturca in Art-Culture, History / Histoire, Turkey / Turquie.
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Le Nouvel Observateur (France), n° 2142, 24-30 Novembre 2005, p. 108

Fabien Gruhier

Inventé en Anatolie au XIe siècle, le yaourt n’a pas encore livré tous ses mystères. Pour la science comme pour le marketing.

Les Français, qui en moyenne engloutissent chacun 20 kilos de yaourt par an (soit 170 pots), savent-ils qu’ils absorbent par la même occasion, toujours annuellement et par personne, un minimum de… 20 milliards de bactéries vivantes ? Ou que ce lait coagulé, inventé par des nomades quelque part en Asie Mineure aux alentours du XI’ siècle, fait aujourd’hui l’objet de recherches très pointues dans les laboratoires scientifiques ? Ou encore qu’il vient d’échapper
de justesse à une législation européenne qui aurait permis de vendre, sous ce nom de yaourt, un produit stérilisé par la chaleur, donc débarrassé de tous ses précieux germes vivants, sous prétexte de pouvoir le conserver presque indéfiniment ?

Pas de doute, le yaourt, que l’on croit si bien connaître, est au moins autant bourré de mystères que de Lactobacillus bulgaricus et de Streptococcus thermophilus. On ne sait même pas quelle peut bien être la fonction naturelle de ces germes, présents sur les pis des vaches, qui permettent sa fabrication.

Pour tenter de dissiper ces mystères – et sans doute aussi pour faire redémarrer une consommation qui a tendance à stagner avec le niveau de vie du pays -, le syndicat des producteurs (Syndifrais) a embrigadé une escouade de scientifiques dans une campagne qui chante les vertus du yaourt. A commencer par le chimiste Hervé This, chercheur à l’Inra et au Collège de France, qui dans une récente conférence parlait de la « beauté moléculaire du yaourt », ce « filet à trois dimensions où sont piégés l’eau et la matière grasse, des protéines, du calcium et des molécules odorantes».

Des bactéries par millions

Dans un lait chauffé à 43°C pendant trois heures, les deux types de micro-organismes réglementaires, Lactobacillus bulgaricus et Streptococcus thermophilus, se multiplient par millions et transforment le lactose en acide lactique, d’où me coagulation qui gélifie le tout, et le développement d’innombrables arômes aigrelets.

Multiséculaire en Asie Mineure, le yaourt avait fait une toute première et très furtive apparition en France en 1542, à la cour de François 1er – grâce à un médecin de Constantinople qui en avait prescrit au roi pour soigner une maladie intestinale. Puis on n’en avait plus entendu parler jusqu’au début du siècle dernier: c’est seulement en 1925 que le mot fit son apparition au Petit Larousse. Aujourd’hui, on le sait, il est omniprésent dans les linéaires, et sous une multitude de variétés, même si l’intérêt de cette diversification ne saute pas forcément aux yeux. « Rien que pour l’année 2004 on a recensé pas moins de 47 innovations », assure Choreh Farrokh, coordinatrice scientifique de Syndifrais. Pourtant, le processus fondamental reste invariable (voir ci-dessus). On peut d’ailleurs se livrer soi-même à domicile à cette amusante expérience de biochimie, et concocter ainsi son yaourt maison. Les industriels ont cependant l’avantage de pouvoir varier à l’infini les séquences de brassage, qui produisent des textures différentes. D’ajouter des parfums. Et surtout de sélectionner finement les souches bactériennes utilisées, au secret jalousement gardé, pour obtenir des propriétés et des goûts spécifiques.

D’autant que désormais les « vrais) chercheurs scientifiques s’en mêlent. Ainsi, récemment les chercheurs de l’Inra ont séquencé le génome de Streptococcus thermophilus et élucidé le détail du mécanisme par lequel ces bactéries digèrent le lactose. Par ailleurs, les recherches médicales les plus récentes confirment au moins en partie les fameux bienfaits pour la santé allégués par les fabricants de ces laits gélifiés. Oui, estime le nutritionniste Jacques Fricker, le yaourt « pourrait» réguler le transit intestinal, réduire les phénomènes diarrhéiques et atténuer les colites inflammatoires comme au temps de François 1er. D’autre part, il semble bien démontré que le yaourt favorise la digestion du lactose chez les personnes qui y sont intolérantes. Faut-il
pour autant gober les promesses des «yaourts du futur» que concoctent les géants de l’agroalimentaire (yaourts antistress, anticholestérol, capables de stimuler le système immunitaire, de prévenir le cancer du côlon ou les maladies cardio-vasculaires, ou encore yaourts enrichis aux précieux facteurs oméga 3 et on en oublie…) ? Rien n’est moins sûr. Aucune étude scientifique solide i ne permet à ce jour d’étayer ces arguments marketing.

Les bergers nomades d’Anatolie du xr siècle qui réussirent la gélification du lait dans le seul but de le conserver et de le transporter plus commodément ne pouvaient certes pas imaginer que leur invention connaîtrait un aussi fabuleux destin. Pourtant, si le yaourt du futur ne tient pas toutes ses promesses, les fabricants disposent d’un autre atout pour développer leur marché: pour l’heure, le citoyen chinois ne consomme en moyenne que «quelques grammes» de yaourt par an. Un chiffre à comparer à nos 20 kilos: quand la Chine s’éveillera (au yaourt), l’industrie laitière explosera…

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