Adieu aux Balkans ? 17 mai 2006
Posted by Acturca in EU / UE, South East Europe / Europe du Sud-Est.Tags: EU / UE
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Le Monde (France), 16.05.06
par Daniel Vernet
Une nouvelle expression fait florès dans l'Union européenne qui masque son impuissance politique par l'imagination linguistique : "capacité d'assimilation". Ces deux mots résument une phrase, tirée des conclusions du Conseil européen de Copenhague, en juin 1993, qui s'appliquait alors à l'élargissement de l'Union vers l'Europe centrale et orientale. Il faudra tenir compte, était-il écrit, de "la capacité de l'Union à assimiler de nouveaux membres tout en maintenant l'élan de l'intégration européenne". Pour les dirigeants européens, une des raisons du non français et néerlandais au référendum sur la Constitution est l'oubli de cette condition qu'il est temps de réactiver.
Les prochains à faire les frais de cette condition, appelée aujourd'hui dans un raccourci "quatrième critère de Copenhague" – les trois autres sont la démocratie, l'économie de marché et le respect de l'acquis communautaire -, sont les pays des Balkans. La Commission internationale sur les Balkans vient de tirer la sonnette d'alarme. Dans une récente déclaration à Rome, le groupe, présidé par l'ancien chef du gouvernement italien Giuliano Amato, s'inquiète des conséquences de la frilosité européenne. Il constate que les Vingt-Cinq sont revenus sur la perspective d'intégration dans l'Union offerte par le Conseil européen de Thessalonique en 2003. Les candidats "feront partie intégrante de l'UE dès qu'ils répondront aux critères établis".
Réunis à Salzbourg voilà quelques semaines, les ministres des affaires étrangères européens ont ajouté la "capacité d'assimilation". Autrement dit, l'entrée dans l'UE ne dépend plus des seuls efforts des pays candidats mais du bon vouloir des Européens. Or, constate la commission Balkans, "l'UE n'est ni prête ni décidée à offrir des perspectives crédibles d'adhésion". Elle se propose de gérer le statu quo au lieu de le changer, au risque de perpétuer une présence quasi coloniale. La communauté internationale a créé dans la région de véritables protectorats. Elle déploie des efforts énormes – humains, militaires, financiers – pour empêcher l'effondrement d'Etats embryonnaires et le retour des conflits, mais cette situation ne saurait durer.
Car les peuples des Balkans ont de moins en moins confiance dans l'Europe, ajoute un observateur local, et les dirigeants seront trop contents de pouvoir renoncer à des décisions courageuses si l'aiguillon européen s'émousse. L'incapacité des trois entités de la Bosnie à réformer la Constitution pour renforcer l'Etat central en est une récente et malheureuse illustration.
Comment régler la question du Kosovo, faire accepter son indépendance par Belgrade tout en imposant aux Albanais un strict respect du droit de la minorité serbe, sans promettre à tout ce monde non des négociations sans fin, mais la perspective concrète d'une participation à l'Union européenne ?
Les prudents et les sceptiques ont des arguments dignes d'attention. Avant de se lancer dans une nouvelle vague d'élargissement, il convient de "digérer" la précédente si l'on ne veut pas casser ce que le Conseil européen de Copenhague appelait "l'élan de l'intégration". L'UE a lancé la "nouvelle politique de voisinage" pour échapper au piège qu'elle s'était tendue : l'élargissement stabilise son environnement mais la déstabilise de l'intérieur. Le piège se retourne : en cherchant à se consolider à l'intérieur des limites actuelles – il reste à prouver qu'elle s'y emploie, ce qui est une autre histoire -, elle renonce à une fonction assumée avec succès depuis la fin de la guerre froide : promouvoir la stabilité autour d'elle.
Ceux qui ont cru à l'engagement de l'Union européenne ont quelques raisons de considérer l'actuelle pusillanimité comme un coup d'arrêt annonciateur de bien des dangers.
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