L’imbroglio chypriote 30 septembre 2006
Posted by Acturca in EU / UE, France, South East Europe / Europe du Sud-Est, Turkey-EU / Turquie-UE.Tags: État chypriote turc, Chypre, Chypriotes grecs, Chypriotes turcs, EU / UE, France, Jean Catsiapis, Mehmet Ali Talat, négociation, Rauf Denktas, République turque de Chypre du Nord, Tassos Papadopoulos
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Politique Internationale (France), n° 113, Automne 2006, pp. 423-433
Entretien avec Mehmet Ali Talat * conduit par Jean Catsiapis **
Mehmet Ali Talat, né en 1952 à Kyrénia, dans le nord de Chypre, est l’« homme fort » de la communauté chypriote turque. Grâce à la victoire, aux législatives de décembre 2003, de sa formation politique de centre gauche, le Parti républicain turc, il devient en janvier 2004 premier ministre, puis en avril 2005 président de la « République turque de Chypre Nord » (« RTCN ») en remplacement de Rauf Denktas (1).
À la suite de l’intervention militaire turque de juillet 1974, justifiée, selon Ankara, par le coup de force des colonels grecs contre Mgr Makarios, alors président de Chypre, a été créée la « RTCN ». Reconnue par la seule Turquie, sa proclamation d’indépendance a été déclarée nulle et non avenue par la résolution 541 du Conseil de sécurité de l’ONU du 18 novembre 1983 (2). Pour mettre fin à la division de l’île, le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan (3), avait proposé en novembre 2002 un plan de réunification. Soumis à l’approbation des deux communautés par référendum le 24 avril 2004 (4), le texte fut adopté par la communauté chypriote turque mais rejeté par la communauté chypriote grecque. Cette dernière considérait que le plan Annan consacrait une réunification artificielle en maintenant, en fait, deux États quasi indépendants l’un de l’autre. Partisan de ce plan de paix qui aurait permis de mettre fin à l’isolement économique du nord de Chypre (5), M. Talat s’efforce de surmonter cet échec et d’encourager les contacts entre les deux communautés.
Depuis l’ouverture, en avril 2003, de la ligne verte séparant la zone libre de la zone occupée, les échanges de toutes sortes se sont multipliés. C’est ainsi que sept mille Chypriotes turcs franchissent chaque jour cette ligne de démarcation pour travailler au sud de l’île et que de nombreux Chypriotes grecs, chaque fin de semaine, se rendent à Kyrénia et autres lieux touristiques du Nord dont l’accès leur était interdit depuis 1974. Sur le plan financier, le gouvernement de Nicosie a accepté que l’Union européenne, dont Chypre est membre depuis le 1er mai 2004, verse en 2006 à la communauté chypriote turque une aide de 139 millions d’euros (6). Dans un tout autre domaine, Chypriotes grecs et Chypriotes turcs ont entrepris le déminage des zones limitrophes de la ligne verte. Mais le climat de méfiance est loin d’être entièrement dissipé. Les Chypriotes grecs soupçonnent les Chypriotes turcs de vouloir maintenir, sous couvert d’une réunification de façade, l’actuelle division de l’île et de mettre en place un État de type « Taiwan » qui se développerait de façon autonome par rapport à la République de Chypre. De leur côté, les Chypriotes turcs accusent le gouvernement de Nicosie de refuser un partage du pouvoir et de poursuivre une politique européenne au seul bénéfice des Chypriotes grecs.
S’agissant du règlement politique, une divergence d’approche continue d’opposer les deux communautés. La partie chypriote grecque, hostile à une réunification précipitée et non viable (7), exclut toute solution impliquant le maintien de l’armée turque en territoire chypriote. La partie chypriote turque, elle, ne veut pas renoncer à la présence des soldats turcs et souhaite une solution rapide et globale. Le 8 juillet 2006, après plus de deux ans d’absence de contacts, Tassos Papadopoulos, le président de la République de Chypre, et Mehmet Ali Talat se sont rencontrés à Nicosie sous les auspices de l’ONU et sont convenus de revenir à la table des négociations afin d’améliorer la vie quotidienne des Chypriotes et d’oeuvrer à la réunification. Les prochains mois pourraient donc voir des avancées décisives dans le règlement d’un différend qui empoisonne, depuis plus de quarante ans, les relations entre la Grèce et la Turquie.
Jean Catsiapis – Vous avez rencontré M. Papadopoulos le 8 juillet dernier. Qu’en est-il ressorti ?
Mehmet Ali Talat – Ma rencontre avec le leader chypriote grec Tassos Papadopoulos a été d’autant plus remarquée que, pendant deux ans, celui-ci avait refusé de me voir. Au cours de cette entrevue, nous sommes tombés d’accord sur un « ensemble de principes » et sur une « décision des deux leaders » (8). Mais n’entrons pas dans le détail. Ce qui est clair, pour l’heure, c’est que des comités techniques seront mis en place pour discuter des problèmes quotidiens qui affectent la vie des Chypriotes turcs et des Chypriotes grecs ; et puis, parallèlement, des groupes d’experts seront constitués pour aborder les questions de fond. Cela dit, il ne faut pas attendre de miracles : aucune amélioration n’est intervenue depuis notre rencontre de juillet. Nous en sommes toujours à discuter de questions de procédure (9) ! Personnellement, je souhaite que cette phase se termine au plus vite afin que nous puissions aller de l’avant. La balle est dans le camp de M. Papadopoulos.
J. C. – Quelles propositions concrètes avez-vous à formuler ?
M. A. T. – Que les choses soient claires : il n’y a pas d’autre base de discussion possible que le plan Annan. Bien que la partie chypriote grecque prenne soin de ne jamais y faire référence, il est incontournable. Ce plan est le point d’aboutissement de plus de quarante années de négociations, de résolutions des Nations unies et d’accords. Il a d’ailleurs été approuvé, je vous le rappelle, par 65 % des Chypriotes turcs et il n’y a aucune raison pour qu’ils changent d’avis. On sait qu’à terme on aboutira à la formation d’un État bi-zonal et fédéral. Les deux communautés seront traitées sur un pied d’égalité sur le plan politique et les deux États constituants seront dotés des mêmes prérogatives.
J. C. – Les Chypriotes grecs mettent en doute votre volonté de réunification et vous accusent de vouloir faire de la partie nord de Chypre un nouveau Taiwan. Que leur répondez-vous ?
M. A. T. – J’ai pris fait et cause pour le plan Annan, qui était un plan de réunification de l’île. Que voulez-vous de plus ? Je suis persuadé que Chypriotes grecs et Chypriotes turcs peuvent vivre en paix. C’est aux Chypriotes grecs de prouver qu’ils sont pour la réunification car ce sont eux qui ont rejeté le plan Annan.
J. C. – Vous savez bien que si les Chypriotes grecs ont rejeté le plan Annan, c’est parce que ce texte prévoyait le maintien à Chypre de soldats turcs…
M. A. T. – Ne croyez pas cela. Est-ce que les Chypriotes grecs disent aujourd’hui qu’ils acceptent le plan Annan si l’armée turque s’en va ? Non, ils disent qu’ils ne veulent plus entendre parler du plan Annan ! Les Chypriotes grecs essaient de mystifier l’opinion publique internationale. La vérité, c’est qu’ils ne tiennent pas à partager le pouvoir. Vous me parlez de l’armée turque, mais pourquoi ne mentionne-t-on jamais les 6 000 soldats grecs stationnés à Chypre (10) ?
J. C. – Comment expliquez-vous que seule la Turquie reconnaisse la « République turque de Chypre Nord » ?
M. A. T. – C’est dû à une erreur de la communauté internationale : la résolution 186 du Conseil de sécurité de l’ONU du 4 mars 1964 se réfère, en effet, au « gouvernement légal de Chypre » (11). Malheureusement, il s’agissait du gouvernement chypriote grec, qui est donc devenu le « gouvernement reconnu ». Voilà comment on perpétue des anomalies. Je ne vois pas d’autre explication. De plus, ce gouvernement chypriote n’est pas légal car, selon la Constitution de Chypre, il devrait comprendre un vice-président chypriote turc, quinze députés chypriotes turcs et trois ministres chypriotes turcs (12).
J. C. – L’ambassadeur de France, lorsqu’il vous rencontre, ne vous considère-t-il pas comme le vice-président de la République de Chypre ?
M. A. T. – Non, l’ambassadeur de France reconnaît M. Papadopoulos comme président de la République et moi-même comme chef de la communauté chypriote turque. Cette situation est absurde.
J. C. – Le gouvernement français et le gouvernement de M. Papadopoulos négocient actuellement un accord militaire (13). Qu’en pensez-vous ?
M. A. T. – Nous sommes opposés à ce genre de coopération entre la République de Chypre, dont le gouvernement est illégitime, et la France. Il est évident que, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, la France devrait être impartiale et s’abstenir de tout contact militaire avec la partie chypriote grecque. Nous avons transmis notre point de vue à l’ambassadeur de France à Chypre et adressé une lettre au président Jacques Chirac dans laquelle nous expliquons notre position. Notre inquiétude est d’autant plus grande qu’il est ici question des intérêts de sécurité de notre peuple.
J. C. – Quelle est la population du nord de Chypre ? Combien y a-t-il de Chypriotes turcs, de Chypriotes grecs et de colons venus de Turquie ?
M. A. T. – Chypre compte, au total, environ un million d’habitants. Dans le Nord, la population réelle tourne autour de 265 000 habitants, la population officielle étant comprise entre 180 et 200 000 (14). Pour nous, tous les citoyens sont égaux. On ne peut pas établir de discrimination entre eux. Les citoyens d’origine turque vivent à Chypre depuis plus de trente ans.
J. C. – Un grand nombre de Chypriotes turcs ont émigré au cours des dernières années (15). Comment expliquez-vous ces départs massifs ?
M. A. T. – Ce que vous dites n’est plus vrai. Depuis le référendum, l’émigration des Chypriotes turcs a cessé. On peut même dire que le courant s’est inversé et que beaucoup sont de retour.
J. C. – Pourquoi, selon vous, la Turquie se refuse-t-elle toujours à reconnaître diplomatiquement la République de Chypre alors que Bruxelles en fait une condition préalable pour l’adhésion d’Ankara à l’Union européenne ?
M. A. T. – Encore une fois, le gouvernement de Papadopoulos n’est pas le gouvernement légitime de Chypre car il ne représente pas tous les Chypriotes. Il ne représente que les Chypriotes grecs. En l’état actuel des choses, il est donc exclu que la Turquie le reconnaisse. Il faudra attendre une solution globale.
J. C. – Quelle est votre marge de manoeuvre par rapport à la Turquie compte tenu de la présence de l’armée turque au nord de Chypre ?
M. A. T. – Avez-vous vu des soldats turcs quelque part ? Cette armée est là pour des raisons de sécurité et non pour s’immiscer dans nos affaires intérieures.
J. C. – Combien y a-t-il actuellement de soldats turcs dans la partie nord de l’île (16) ?
M. A. T. – C’est variable. Mais ils sont suffisamment nombreux pour assurer la défense des Chypriotes turcs.
J. C. – Cette armée a-t-elle vocation à rester à Chypre ?
M. A. T. – Le plan Annan prévoyait une diminution progressive des effectifs qui devaient se stabiliser à 650 hommes.
J. C. – Supposons que la Turquie devienne membre de l’Union européenne. Comment peut-on admettre que ce pays maintienne un contingent militaire sur le territoire d’un autre État membre ?
M. A. T. – Le cas n’est pas exceptionnel. Prenez l’Allemagne : elle abrite toujours sur son sol des troupes américaines. Quant à Chypre, la Turquie n’est pas la seule à y maintenir une présence militaire : la Grèce et le Royaume-Uni y stationnent des troupes sur la base d’un traité (17).
J. C. – La presse s’est fait l’écho d’un problème lié au droit de propriété au nord de Chypre. Comment expliquez-vous que des étrangers, notamment des Anglais, puissent aujourd’hui acheter des biens qui, au moment de l’intervention de l’armée turque à Chypre, appartenaient à des Chypriotes grecs (18) ?
M. A. T. – Si le plan Annan avait été accepté, un autre régime aurait été mis en place et ce problème des propriétés aurait été résolu (19).
J. C. – On a beaucoup parlé de Mme Loïzidou, une Chypriote grecque qui a fini par être indemnisée par la Cour européenne des droits de l’homme au motif qu’elle ne pouvait profiter de sa propriété au nord de Chypre (20)…
M. A. T. – Le cas de Mme Loïzidou est un cas isolé. Dans une autre affaire, celle de Mme Xenidès-Arestis (21), la Cour a accordé à la Turquie un délai pour régler le litige. Sur le fond, il faut noter que trente-deux années se sont écoulées et que pour développer l’économie de notre pays il n’est pas possible de laisser ces biens en jachère, y compris ceux qui appartiennent à des Chypriotes grecs. Nous sommes prêts, je le répète, à envisager une solution globale qui prendrait en compte non seulement le problème des propriétés, mais aussi celui de la colonisation, des territoires placés sous la souveraineté des deux États fédérés, etc.
J. C. – Parmi les propriétaires spoliés, on compte quelques Français. Le gouvernement français n’a pas réussi à obtenir qu’ils soient indemnisés par la Turquie – laquelle lui conseille de s’adresser à vous. Que pouvez-vous faire pour eux (22) ?
M. A. T. – Qu’est-ce qui empêche ces Français de revenir ici pour reprendre possession de leurs biens ? Et en quoi cette affaire concerne-t-elle le gouvernement français ? Il s’agit de litiges individuels. Ces gens peuvent parfaitement profiter de leurs maisons ou les vendre s’ils le veulent.
J. C. – Le gouvernement de M. Papadopoulos a protesté contre la visite du premier ministre turc, M. Erdogan, le 20 juillet 2006, en « République turque de Chypre Nord » (23). Cette visite était-elle indispensable ?
M. A. T. – Il n’y a aucune raison pour que des dignitaires étrangers évitent de rencontrer des officiels chypriotes turcs en « RTCN ». La partie chypriote turque dispose de sa propre administration depuis 1963. J’ajoute que, depuis quelques années, la démocratie et les droits de l’homme se portent beaucoup mieux de ce côté-ci de la ligne de démarcation que du côté grec. Les Chypriotes turcs, je le répète, ont clairement exprimé leur souhait de voir l’île réunifiée conformément aux voeux de la communauté internationale. Ce sont les Chypriotes grecs qui s’y sont opposés. Dans ces conditions, je ne vois pas pourquoi la « RTCN » devrait être traitée comme une pestiférée et mise au ban des nations.
J. C. – À l’occasion de la guerre du Liban l’été dernier, Chypre a vu affluer un grand nombre de réfugiés. Comment la « RTCN » a-t-elle fait face à ces événements ?
M. A. T. – Nous avons fait savoir, par l’intermédiaire des ambassades, que nous étions prêts à aider de notre mieux les réfugiés. Nous avons, notamment, accordé des facilités de transport aux ferries qui étaient chargés de les évacuer. Que croyez-vous qu’ait fait la partie chypriote grecque ? Le gouvernement de Nicosie est intervenu pour empêcher que des bateaux qui venaient de partir de Beyrouth et qui se dirigeaient vers le port de Famagouste à Chypre Nord puissent accoster. Ceux-ci ont été déroutés vers Mersine, un port situé dans le sud de la Turquie (24). En agissant de la sorte, il a ouvertement exploité un problème humanitaire à des fins politiques. Le plus malheureux, c’est que les pays concernés se sont finalement rangés à ses arguments et se sont abstenus d’utiliser les facilités que nous leur offrions.
J. C. – Êtes-vous satisfait des relations entre la « RTCN » et l’Union européenne ?
M. A. T. – Non, nous ne sommes pas satisfaits. Pas du tout. Il est clair que l’Union européenne n’a pas tenu ses promesses envers le peuple chypriote turc : bien que le Conseil européen ait décidé le 26 avril 2004 (25) de mettre fin à notre isolement, l’UE est restée les bras croisés. En fait, nous sommes victimes des menées hostiles de l’administration chypriote grecque, qui profite de son statut de membre à part entière pour bloquer les mécanismes de décision.
J. C. – Quels sont vos liens avec l’Organisation de la conférence islamique (26) ?
M. A. T. – L’OCI est la seule organisation internationale qui accepte d’accueillir en son sein la « République turque de Chypre Nord » sous l’appellation d’« État chypriote turc ». C’est le nom que nous aurions porté si le plan Annan avait été mis en oeuvre. Il faut donc y voir, de la part de l’OCI, une prise de position politique indirecte en faveur de la solution onusienne. Pour le moment, l’Organisation ne joue pas un rôle considérable, mais elle s’implique de plus en plus dans le dossier chypriote.
J. C. – Avez-vous des amis chypriotes grecs ?
M. A. T. – Bien sûr. Des voisins. Et même des hommes politiques, comme Dimitri Christofias, Nicos Anastassiadès, Georges Vassiliou ou Michael Papapétrou (27).
J. C. – Quel a été le bilan de votre prédécesseur Rauf Denktash ?
M. A. T. – Denktash a causé beaucoup de tort aux Chypriotes turcs. Il a cru que les conditions d’une « non-solution » du problème de Chypre pouvaient être légalisées et constituer, le moment venu, la solution elle-même. Par son attitude, il a contribué à saboter le processus de négociation. Pis : en rejetant le plan Annan, Denktash a permis au gouvernement de Nicosie d’entrer dans l’Union européenne alors que la question de Chypre n’avait pas été résolue. Il porte là une responsabilité historique.
* Président de la « République turque de Chypre Nord » depuis avril 2005.
** Maître de conférences à l’Université Paris-X, spécialiste de la Grèce et de Chypre
Notes de :
(1) Aux élections du 14 décembre 2003 en « RTCN », Mehmet Ali Talat, chef d’une coalition de centre gauche favorable au plan de réunification de Chypre du secrétaire général de l’ONU, a remporté 25 sièges sur 50, sa propre formation, le parti républicain turc (CTP), ayant obtenu 19 sièges avec 35,18 % des voix. Les autres 25 sièges ont été attribués à plusieurs partis nationalistes, dont le parti de l’Unité nationale (UPB) du premier ministre sortant Dervis Eroglu, qui a recueilli 32,93 % des suffrages et obtenu 18 sièges. Le 17 avril 2005, Mehmet Ali Talat est élu président de la République avec 55,6 % des voix dès le premier tour face à Dervis Eroglu (22,7 %) et succède ainsi à Rauf Denktash, fondateur, en 1983, de la « RTCN ».
(2) La zone occupée de Chypre, qui résulte de l’intervention militaire turque de juillet 1974, est située au nord de l’île et représente 37 % du territoire chypriote. Elle s’est proclamée « État fédéré chypriote turc » le 13 février 1975, puis « République turque de Chypre Nord » le 15 novembre 1983. Dans sa résolution 541, le Conseil de sécurité de l’ONU invite les États à ne pas reconnaître la « RCTN ». Seule la Turquie a franchi le pas.
(3) Le plan Annan prévoyait une fédération bi-zonale et bi-communautaire avec une présidence tournante. Elle aurait été constituée de deux « États constituants », l’État fédéré chypriote turc occupant 28,5 % du territoire contre 37 % pour l’actuelle zone d’occupation militaire turque. Selon ce plan, l’armée turque devait rester jusqu’en 2018 à Chypre et la moitié seulement des 200 000 Chypriotes grecs auraient eu le droit de regagner leurs foyers au nord de l’île.
(4) Lors du référendum du 24 avril 2004, la communauté chypriote turque a approuvé à une majorité de 65 % des voix le plan de réunification de Chypre, qui fut en revanche rejeté massivement par la communauté chypriote grecque (76 % de non).
(5) La résolution 541 du Conseil de sécurité de l’ONU a proclamé la nullité de la déclaration d’indépendance de la « RTCN ». Cette décision a eu pour conséquence d’empêcher toute relation diplomatique et économique de cette entité avec les États de la communauté internationale à la seule exception de la Turquie. En outre, la Cour de justice des Communautés européennes, dans son arrêt du 5 juillet 1994, rendu sur une demande de décision jurisprudentielle de la High Court of Justice du Royaume-Uni, s’est opposée à l’acceptation par les autorités nationales d’un État membre de certificats relatifs à l’importation de produits de la zone occupée de Chypre délivrés « par des autorités autres que les autorités compétentes de la République de Chypre », c’est-à-dire par les autorités de la « RTCN ».
(6) L’Union européenne avait prévu, en 2004, d’accorder une aide de 259 millions d’euros dans la perspective de la réunification de Chypre établie par le plan Annan. Le 27 février 2006, le Conseil des ministres de l’UE a décidé de prélever sur cette aide 159 millions d’euros en faveur des Chypriotes turcs afin de « promouvoir l’intégration économique de l’île et d’améliorer les contacts entre les deux communautés et l’UE ».
(7) Le président Papadopoulos a proposé, comme premier pas vers une solution de la question chypriote, que la ville de Famagouste, actuellement en zone occupée, soit restituée à son gouvernement. Celui-ci accepte que le commerce des États tiers s’effectue avec la partie nord de l’île via le port de cette ville, qui serait administré conjointement par les Chypriotes grecs et les Chypriotes turcs sous l’égide de l’Union européenne. La partie chypriote turque a rejeté cette proposition. La Turquie a présenté un contre-projet qui permettrait aux États étrangers de commercer directement avec la partie nord de l’île. Si Nicosie accepte ce projet, Ankara s’engage à lever l’interdiction d’accès au territoire turc qui frappe jusqu’à présent les bateaux et les avions chypriotes grecs malgré l’extension aux dix nouveaux membres de l’Union européenne, dont Chypre, du traité d’union douanière conclu par Bruxelles avec la Turquie.
(8) Les questions de procédure empêchent encore actuellement la progression des négociations intercommunautaires.
(9) L’« ensemble de principes » adopté lors de la rencontre Papadopoulos-Talat du 8 juillet 2006 comprend cinq points : 1) l’unification de Chypre sera fondée sur une fédération bi-zonale, bi-communautaire, ainsi que le prévoient les résolutions du Conseil de sécurité ; 2) le statu quo est inacceptable et sa prolongation aurait des conséquences négatives sur les deux communautés de l’île ; 3) un règlement accepté par les deux parties doit intervenir sans retard superflu ; 4) des discussions intercommunautaires devront s’ouvrir sur des questions liées à la vie quotidienne des Chypriotes ainsi que sur des questions de fond ; 5) des mesures de confiance seront adoptées en vue d’améliorer la vie des Chypriotes grecs et des Chypriotes turcs.
La « décision des deux leaders » prévoit la mise en place de deux comités techniques travaillant sur des problèmes communs aux Chypriotes grecs et turcs (trafic de drogue, grippe aviaire, etc.) ainsi que de groupes de travail constitués d’experts.
(10) Il y a actuellement 950 soldats grecs au sud de Chypre et 35 000 soldats turcs en « RTCN ». C’est seulement dans l’hypothèse où le plan Annan aurait été adopté que le contingent grec serait passé dans un premier temps à 6 000 hommes (nombre identique prévu pour le contingent turc) avant que les effectifs militaires de la Grèce et de la Turquie ne soient ramenés respectivement à 950 et 650 en 2018, date de la fin de mise en oeuvre de ce plan.
(11) La résolution 186 du 4 mars 1964 du Conseil de sécurité de l’ONU a décidé l’envoi de forces des Nations unies à Chypre, où elles se trouvent toujours.
(12) Les accords de Zurich et de Londres de février 1959 sur l’indépendance de Chypre prévoyaient qu’à côté d’un président élu par la communauté chypriote grecque il y aurait un vice-président chypriote turc élu par la communauté chypriote turque et disposant d’un droit de veto. Les Chypriotes turcs, qui représentaient alors 18 % de la population de l’île, auraient eu trois ministres sur dix et quinze députés sur cinquante. En 1964, les Chypriotes turcs se son retirés des instances gouvernementales et parlementaires de l’île.
(13) Depuis plusieurs mois, la France négocie avec la République de Chypre un accord militaire lui accordant des facilités dans les ports et les aéroports chypriotes. Bien que cet accord ne soit pas encore signé, Paris, au cours de l’été 2006, a pu faire transiter par Chypre ses navires de guerre et ses avions militaires en provenance ou à destination du Liban.
(14) Selon les estimations du ministère des Affaires étrangères de la République de Chypre, qui avance des chiffres différents de ceux de M. Talat, il y aurait en « RTCN » 160 000 colons venus de Turquie, dont 45 000 se seraient établis au cours des deux dernières années, et 87 000 Chypriotes turcs. Il ne resterait plus que 600 Chypriotes grecs sur les 200 000 qui vivaient au nord de Chypre avant l’intervention militaire turque de 1974.
(15) Il y avait, en 1974, sur l’ensemble du territoire de la République de Chypre, 120 000 Chypriotes turcs. Au moins un tiers d’entre eux ont quitté l’île, la plupart pour la Grande-Bretagne, en raison de la dégradation de leurs conditions de vie due au blocus économique de la partie nord et de la baisse des salaires provoquée par l’arrivée des colons turcs.
(16) Selon les estimations du ministère chypriote des Affaires étrangères, le nombre de soldats turcs en zone occupée varie entre 35 000 et 45 000.
(17) En vertu des accords de Zurich et de Londres, les contingents grec et turc devant stationner à Chypre s’élèvent respectivement à 950 et 650 hommes. Ces textes ont également accordé à la Grande-Bretagne deux bases souveraines (Akrotiri et Dhékélia), situées dans le sud de l’île. Ces deux bases, qui abritent au total 3 000 hommes, sont aussi utilisées, selon des sources officieuses, par l’aviation de chasse des États-Unis.
(18) Des étrangers, en particulier des Anglais, achètent des biens appartenant à des Chypriotes grecs – réfugiés au sud de l’île -, mais qui ont été attribués à des Chypriotes turcs et à des colons turcs. La justice chypriote utilise la procédure du mandat d’arrêt européen pour essayer d’empêcher les étrangers d’acquérir ces biens.
(19) Le plan Annan, qui prévoyait l’annulation de toutes les requêtes en indemnisation présentées par des Chypriotes grecs contre la Turquie devant la Cour européenne des droits de l’homme, avait établi un système complexe d’indemnités qu’aurait dû verser le gouvernement chypriote à ses ressortissants lésés par l’intervention militaire turque de 1974.
(20) La Turquie a versé, le 2 décembre 2003, à Mme Loïzidou, Chypriote grecque spoliée de ses biens par l’intervention militaire à Chypre en 1974, la somme de 1,120 million d’euros par application de l’arrêt du 28 juillet 1998 de la Cour européenne des droits de l’homme.
(21) La Cour européenne des droits de l’homme, dans l’affaire Xenidés-Arestis contre la Turquie, a conclu, le 22 décembre 2005, à la violation de l’article 8 (droit au respect du domicile) de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article 1 (protection de la propriété) du Protocole n°1. Elle a demandé à la Turquie d’instaurer dans les trois mois une voie de recours qui garantisse une réparation effective pour cette ressortissante chypriote ainsi que pour toutes les requêtes similaires de ses compatriotes (environ 1 400). À l’évidence, la CEDH souhaite éviter d’avoir à juger ces nombreuses requêtes de Chypriotes formulées contre la Turquie et espère un règlement global de l’indemnisation de tous ceux qui, depuis 1974, ne peuvent jouir de leurs biens situés en zone occupée.
(22) Plusieurs dizaines de Français sont concernés. Le gouvernement français considère qu’il appartient à la Turquie, puissance occupante à Chypre, d’indemniser ses ressortissants conformément au règlement de La Haye de 1907 (Journal officiel, Questions de l’Assemblée nationale, 6 mai 1977, p. 2570).
(23) Le porte-parole du gouvernement chypriote, Christodoulos Passiardis, a déclaré que la visite du premier ministre turc en zone occupée constituait une provocation (Phileleferos du 20 juillet 2006). Voir, aussi, l’article de Laure Marchand : « Erdogan défie l’Europe en paradant à Nicosie », Le Figaro, 21 juillet 2006.
(24) Le gouvernement de la République de Chypre a réaffirmé, pendant les événements du Liban de l’été 2006, son opposition catégorique, formulée dès 1974, à toute utilisation par des États tiers des ports et aéroports de la zone occupée. Le transit des réfugiés du Liban et de l’aide humanitaire s’est donc limité aux seuls ports de Larnaca et de Limassol ainsi qu’aux aéroports de Larnaca et de Paphos, situés dans la zone libre de Chypre.
(25) Le Conseil des ministres de l’Union européenne réuni le 26 avril 2004, au surlendemain du référendum sur le plan Annan, a déclaré dans ses conclusions : « La communauté chypriote turque a clairement exprimé son souhait d’avoir un avenir au sein de l’Union européenne. Le Conseil est résolu à mettre fin à l’isolement de cette communauté et à faciliter la réunification de Chypre en encourageant le développement économique de la communauté chypriote turque. »
(26) L’Organisation de la conférence islamique, fondée en 1969, comprend aujourd’hui 57 États membres dont la Turquie, la « République turque de Chypre Nord » y disposant d’un statut d’observateur. En octobre 2004, une rencontre à Istanbul entre l’OCI et l’UE a été annulée, la présidence néerlandaise de l’UE ayant refusé qu’Ankara invite à cette rencontre la « RTCN » sous l’appellation « État chypriote turc ».
(27) Les personnalités politiques chypriotes grecques citées par M. Talat, à l’exception de M. Christofias, président de la Chambre des représentants et dirigeant du parti communiste AKEL, ont appelé à voter « oui » au référendum du 24 avril 2004 sur le plan Annan. M. Anastassiadès est le chef du grand parti de droite Disy (Rassemblement démocratique) ; M. Vassiliou a été président de la République de Chypre de 1988 à 1993 ; et M. Papapétrou est le président du petit Parti des démocrates unis, qui a présenté parmi ses candidats, lors des élections législatives du 21 mai 2006, une Chypriote turque.
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