Le dynamisme du secteur privé, un point fort de l’économie turque 12 février 2007
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Le Monde (France), mardi 13 février 2007, p. MDE7
Thierry Coville
L’économie turque se porte plutôt bien : le produit national brut (PNB) a progressé de 6,3 % en 2006. Une politique budgétaire rigoureuse, des mesures d’assainissement du système bancaire et le soutien du Fonds monétaire international (FMI) ont permis de ramener l’inflation en dessous de la barre des deux chiffres. Cette situation repose, en partie, sur le dynamisme des entrepreneurs. Supportant le choc de l’ouverture depuis le début des années 1980, ils contribuent aux deux tiers de la valeur ajoutée manufacturière. Et ils ont réalisé une percée sur les marchés étrangers avec des exportations de biens manufacturés qui ont atteint, en 2006, 80 milliards de dollars (61,6 milliards d’euros). Outre l’industrie textile, point fort traditionnel, l’automobile est un secteur de premier plan sans oublier l’existence de véritables pôles de compétence à l’instar de l’électroménager ou de l’électronique grand public.
Cette réussite est paradoxale. L’interventionnisme étatique a été, en effet, le pilier de la politique économique de Mustafa Kemal Atatürk à partir des années 1930. Un choix lié à l’impact dépressif de la crise mondiale et qui a permis de fait l’établissement d’une base industrielle dans la sidérurgie, le textile et le raffinage. Le poids de l’Etat a encore été renforcé à partir des années 1960 avec la poursuite de la politique d’industrialisation. Autant d’options qui ont limité le développement du monde entrepreneurial. Une inflation très élevée et un secteur bancaire peu intéressé par le crédit aux entreprises ont aussi constitué des handicaps.
» A l’italienne «
Mais la philosophie économique du parti d’Atatürk, traversée par plusieurs courants, défendait également une vision libérale de l’économie qui fut notamment mise en oeuvre dans les années 1950, puis à partir des années 1980. Ce qui a permis l’émergence d’un secteur privé. Les entrepreneurs de la région d’Adana ont ainsi, dès les années 1950, investi dans le textile. Puis sont apparus, dans les années 1960, les entrepreneurs d’Istanbul présents dans des conglomérats diversifiés et, enfin, dans les années 1990, les » Tigres d’Anatolie « , spécialisés dans le textile. Beaucoup de ces groupes ont réussi à se développer en cultivant des liens avec les réseaux proches du pouvoir. Malgré tout, l’environnement général peu propice aux affaires a donné lieu à des comportements » à l’italienne « , favorisant la débrouillardise et l’autonomie. Les entreprises ont financé leur développement grâce à des circuits de financement » familiaux » ou en plaçant une partie de leurs profits à l’étranger, afin de les protéger de l’inflation. Souvent situées dans l’économie informelle, très compétitives, les PME ont réussi leur intégration au sein de l’économie mondiale en se positionnant comme des sous-traitants. Certains experts vont même jusqu’à évoquer un post-fordisme » à la turque « , faisant référence à ces petites structures flexibles qui se défendent bien dans une économie globalisée.
La réussite du secteur privé est également liée à sa capacité à s’organiser. Fondée en 1971, l’organisation professionnelle Tusiad, qui compte plus de 500 membres, regroupe les grandes entreprises turques. Ce lobby patronal s’est révélé une véritable force politique de proposition en faveur de l’adhésion du pays à l’Union européenne (UE). Une autre association patronale, le Musiad, a été créée en 1990. Décidée, à son origine, à regrouper les entreprises situées en dehors des réseaux proches de l’Etat, l’organisation a aussi tissé des liens étroits avec l’AKP, le parti au pouvoir. Le Musiad, dont le slogan est » High morality, high profit « , regroupe environ 7 500 sociétés, essentiellement des PME et des patrons musulmans.
Mais la concurrence de la Chine, notamment dans le secteur textile, impose de passer progressivement à un modèle de croissance plus basé sur les produits à haute valeur ajoutée. Une telle orientation impliquerait une remise en cause du mode de fonctionnement de beaucoup de PME familiales, travaillant dans le secteur informel et ne respectant pas les normes sociales minimales.
* Thierry Coville, professeur associé – Negocia
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