Notre pays restera laïc et moderne, même hors de l’UE 8 mars 2007
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Courrier international, no. 853, jeudi 8 mars 2007, p. 29
Ahmet Turan Alkan, Aksiyon (Istanbul)
Il est absurde d’affirmer que la Turquie tomberait dans l’islamisme radical si l’Europe la repoussait. Car toute l’histoire du pays montre que son évolution va dans l’autre sens.
La Turquie n’a jamais été dirigée, y compris pendant l’époque ottomane, par des individus se caractérisant par une approche religieuse radicale. Nous n’avons par exemple jamais connu de système théocratique. Bien au contraire. Les dirigeants de notre pays – et je fais là spécifiquement allusion au passé ottoman – ont toujours donné beaucoup d’importance, en fonction des impératifs particuliers du moment, à la modernisation de l’Etat.
Nos médias s’intéressent à longueur d’année à la question de l’adhésion à l’Union européenne (UE), qui fait l’objet de nombreuses discussions, d’interprétations diverses ainsi que de pronostics en tout genre. Ce qui amène l’opinion publique turque à se focaliser elle aussi sur ce sujet. Un étranger qui observerait ce manège serait en droit de s’étonner de cette situation exceptionnelle. En effet, la problématique de l’adhésion à l’UE est toujours perçue en Turquie comme une question de vie ou de mort. Nous avons ainsi tendance à l’aborder sur le mode shakespearien – « être européens ou ne pas être ». Pourtant, quel que soit le cas de figure, la Turquie ne devrait pas connaître de bouleversement majeur. L’adhésion à l’UE ne saurait en effet déboucher sur des solutions miracles pour les problèmes que la Turquie devra de toute façon affronter. Bien entendu, l’adhésion de la Turquie aurait des avantages, et la non-adhésion des inconvénients. Mais attribuer à ces avantages et à ces inconvénients des conséquences démesurées serait perdre le sens des réalités.
Dès l’époque ottomane, des tendances modernisatrices
Dans ce contexte, interpeller les Européens en leur disant que, s’ils n’acceptent pas la Turquie, celle-ci tombera aux mains des courants islamistes radicaux s’avère une méthode particulièrement déplacée. Malheureusement, ce genre d’arguments est régulièrement mis en avant par les inconditionnels de l’adhésion à l’Union européenne, qui croient avoir trouvé là une idée géniale.
A partir du moment où l’Empire ottoman a connu un reflux territorial, le concept de modernisation et de mise à niveau avec les impératifs contemporains, est devenu une obsession de la classe dirigeante ottomane. Ce n’est donc pas un hasard si cette modernisation a d’abord été le fait du palais et de son entourage immédiat. Certains milieux dits « progressistes », qui se gargarisent aujourd’hui en évoquant la façon dont l’exercice du pouvoir dans l’Empire ottoman était dominé par les pressions à caractère religieux, préfèrent ignorer les tendances modernisatrices qui se sont manifestées dès l’époque ottomane. Les mesures prises par le pouvoir ottoman allant dans le sens d’une occidentalisation (ou d’une modernisation) avaient d’ailleurs été approuvées par les institutions religieuses chargées de légitimer les décisions du palais. C’est ainsi qu’une des premières institutions ottomanes à s’ouvrir au progrès occidental fut précisément l’armée.
Il ne fait aucun doute que, en agissant de la sorte, les dirigeants ottomans entendaient se donner les moyens d’être au moins aussi forts que leurs ennemis. Renoncer à l’ordre ancien a certes provoqué des mécontentements, comme dans toute société confrontée à ce type de choix. Et il est vrai que l’on a tenté de limiter cette occidentalisation à certains secteurs et d’empêcher qu’elle puisse faire sentir ses effets à toute la société. Mais ces signes de modernité, initialement réservés à l’armée, se sont finalement répandus dans l’enseignement, dans l’industrie et dans bien d’autres secteurs encore.
Depuis le sultan Selim III (1789-1807) jusqu’à la République (proclamée en 1923), cette politique d’occidentalisation n’a jamais connu de reflux. Cette tendance s’est probablement affirmée avec le plus de force sous le règne de Mahmut II (1808-1839). Car c’est ce dernier qui a jeté les bases d’une société laïque en Turquie. Bien que le pays fût encore régi par le système impérial, Mahmut II n’a pas hésité à prendre des décisions qui allaient permettre à l’Etat impérial ottoman d’évoluer progressivement vers le modèle de l’Etat-nation.
Malgré le caractère profondément conservateur des derniers sultans ottomans – il s’agit d’Abdulmajid (1839-1861), d’Abdulaziz (1861-1876) et d’Abdulhamid II (1876-1909), un souverain très décrié -, tous ont pris des mesures allant dans le sens de la modernisation. Les réformes profondément pro-occidentales de Mustafa Kemal Atatürk (1923-1938) ne constituaient donc pas une première dans l’histoire du pays.
De l’État impérial ottoman au modèle de l’État-nation
Au contraire, en mettant sur pied un Etat résolument moderne et en s’appuyant pour cela sur les bases qui avaient été posées avant lui, Atatürk n’a fait que s’inscrire dans la perspective ouverte par ses prédécesseurs. Présenter l’adhésion à l’UE comme une question de survie et affirmer qu’une non-adhésion pousserait la Turquie dans les bras des fondamentalistes religieux souligne en fait l’inculture historique de ceux qui tiennent ce genre de discours et qui, ce faisant, montrent le peu de foi qu’ils ont dans la société turque et dans les réformes modernisatrices mises en place par Atatürk. Qu’elle soit acceptée ou non au sein de l’UE, la Turquie, grâce à sa dynamique propre, poursuivra de toute façon sa route. Il est certes indéniable qu’Ankara franchirait un cap en adhérant à l’UE. Mais gardons-nous de donner une signification exagérée à cet éventuel événement.
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