Nouveaux regards sur l’Algérie non coloniale 11 avril 2007
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L’Humanité (France), 11 avril 2007, Pg. 16
Mohammed Harbi, historien
Se gardant des anachronismes et des stéréotypes, des travaux contribuent à une réévaluation de l’historiographie du peuple algérien.
L’Algérie des origines, par Gilbert Meynier. Éditions La Découverte 2007, 19 euros.
Recherches sur l’Algérie ottomane. La course, mythes et réalités, par Merouche Lemnouer. Éditions Bouchène 2007, 25 euros.
Depuis les années soixante-dix, plusieurs ouvrages sur l’Algérie proposent des vues d’ensemble qui prennent en compte les progrès de la science historique. À l’origine de cette réévaluation, il y a le souci d’affranchir l’historiographie des stéréotypes du discours colonial et de son envers le discours nationaliste, élaboré par des « fabricants d’histoire nationale ». Issus de la famille intellectuelle des oulémas, ces derniers ont imaginé une histoire à fondements islamo-arabes et érigé par le recours à des artifices une muraille de Chine entre islam et christianisme, Orient et Occident.
Est-il légitime d’affirmer comme relevant de l’histoire de l’Algérie tout ce qui a pu se produire sur son territoire actuel et de considérer le peuple algérien, constitué à partir de son substrat berbère enrichi de multiples apports, arabes notamment, comme identique à lui-même ? Peut-on faire remonter le contentieux entre le Nord et le Sud de la Méditerranée à l’Antiquité, en dépit des échanges de grande ampleur qui existaient entre eux ? Est-il de bonne méthode de jouer sur les anachronismes en assimilant, sans respect du contexte, l’empire colonial français à l’Empire romain quand on sait que cet Empire s’est donné des chefs originaires de l’Afrique du Nord, comme Septime Sévère ou son fils Caracalla, qui en 212 a accordé la citoyenneté à tous les sujets mâles de l’Empire ? Peut-on imaginer le même geste de la part d’un impérialisme à fondement capitaliste ? Nous avons déjà la réponse ! Les révoltes dans l’Empire romain, qui rassemblèrent des forces sociales diverses sont-elles l’expression de l’émergence d’une conscience nationale ou d’une société de classes, comme le laissent croire des lectures fantasmatiques de l’Antiquité ? Toutes ces questions forment la trame de l’Algérie des origines, un livre stimulant et un outil de réflexion pour les Algériens sur eux-mêmes, qui aurait gagné en densité s’il était parti des mythes fondateurs de l’Algérie coloniale.
Le secret de « l’histoire réactive » gît là. Spécialiste de l’histoire ottomane, Lemnouer Merouche l’a bien compris. Après son ouvrage pionnier d’histoire économique sur les Monnaies, prix et revenus, ce disciple de Pierre Vilar qui s’honore d’avoir eu parmi ses maîtres Ernest Labrousse et Maxime Rodinson, vient de publier le deuxième tome des quatre projets de ses recherches sur l’Algérie ottomane. Il est consacré à la course. Des trois formes de violence maritime que définit Michel de Fontenay, la piraterie, le mode de belligérance d’un État associé à des armateurs privés, c’est la troisième. « Le corso » entre chrétiens et musulmans – forme de violence sur mer spécifiquement méditerranéenne, aux confins de la course et de la piraterie mais admise par les moeurs -, qui retient l’attention de Merouche. La course d’Alger connaît trois périodes. La période fondatrice d’un État dans l’affrontement avec l’Espagne (1535-1579), le siècle de la course (1580-1699) et son déclin (1700-1830). Son histoire s’appuie sur une chronologie solide, qui fait place aux mouvements économiques, à l’évolution des idées et de la conscience collective et à la formation d’un système de domination, tout en déconstruisant deux mythes, celui d’Alger « nid des pirates » et celui d’Alger « superpuissance maritime ». On y trouve également une quantification des prises et une galerie des portraits des grands raïs. À la veille de la conquête française, « la course épouse les normes internationales de l’époque ». L’heure des candidats à l’enrichissement et à l’aventure est close. Négociants et hommes de pouvoir se tournent vers l’exportation des produits agricoles, au moment même où s’élaborent les discours de la légitimation de l’expansion européenne fondée sur la légende noire de la course. Chercheurs et lecteurs disposent désormais d’une somme dont ce bref compte rendu n’épuise pas toute la richesse.
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