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Un Prix Nobel à Paris 12 avril 2007

Posted by Acturca in Art-Culture, Books / Livres, France, Istanbul.
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Le Figaro (France), Jeudi 12 avril 2007, p. 8

Clémence Boulouque

Dans la géographie d’Orhan Pamuk, les villes ne sont pas si éloignées. Ce printemps, le lauréat du prix Nobel de littérature est invité par la Sorbonne et reste quelques semaines à Paris pour la publication de son récit autobiographique, Istanbul, prévu en librairie début mai.

Et ce sont des temps intimes, antérieurs à toute distinction et à toute reconnaissance, que font surgir ces deux villes. Sans doute était-il temps de découvrir ce visage-là d’Orhan Pamuk, sa ­sensibilité parfois éclipsée par des romans plongeant dans les entrail­les de la Turquie, de ses hier et de ses aujourd’hui, ou par ses combats et sa stature d’homme engagé, dénonçant les dérives islamistes et nationalistes de son pays, où parler du génocide arménien est devenu une insulte à l’identité turque. Or, précisément, en un nouveau regrettable chapitre, c’est au moment où le Stambouliote retourne ainsi sur ses terres d’enfance et d’inspiration, proclame ses filiations, auxquelles il avait rendu hommage lors des cérémonies du prix Nobel, qu’il a dû quitter Istanbul.

Durant sa semaine de décembre à Stockholm, détendu et rayonnant, il avait laissé poindre son bonheur d’enfant, tout en prévenant : « Le prix Nobel ne me protégera de rien. » Parce que le romancier ne le souhaite pas, il ne sera pas fait ici commentaire de sa tournée en Allemagne annulée pour raison de sécurité, des menaces qui l’ont conduit à quitter sa ville, ni de sa décision de gagner les États-Unis pour travailler, sereinement, à son nouveau roman. C’est pourtant d’un amour véritable pour ses terre que le romancier ne cesse de parler – une de ces affections qui, même meurtries, demeurent intactes. Dès son enfance, la cité s’est inscrite en lui, et en noir et blanc : dans Istanbul , la langue d’Orhan Pamuk a, pour grammaire, la mélancolie, ou plutôt cet intraduisible hüzün , « ce sentiment de perte et de souffrance », terme présent dans le Coran, aux accents parfois mystiques, et dont Orhan Pamuk déchiffre en lui et en la culture stambouliote les échos, au fil de pages pensives où il dialogue avec d’autres mélancoliques de la littérature mondiale.

Dans la valise, des cahiers Dans son livre en écheveau où se mêlent ses souvenirs et l’histoire de la ville, les rues, les quartiers du Bosphore respirent ce « sentiment (…) dont Istanbul avait hérité » à la chute de l’Empire ottoman. Dans son texte, il insère des réflexions sur les toiles représentant l’Istan­bul du passé, notamment celles de Melling, comme Yourcenar le faisait avec la Rome de Piranèse. Il ajoute des photographies de la ville et des clichés des siens, en noir et blanc, qui battent dans le coeur de son texte.

Istanbul, miroir du monde et de soi. Où point la mémoire du ­premier amour d’Orhan pour ­cette jeune femme aux cheveux châtains et au nom signifiant « rose noir » en persan. Où l’on entend « les pianos muets » de la maison Pamuk, ces cinq étages dominant le Bosphore, occupés par ses oncles, tantes et grands-parents, par sa famille élargie et nantie et où résonnaient aussi les rancoeurs tues et les disputes de ses parents qui n’allaient pas ­tarder à divorcer.

Adolescent, le romancier voulait être peintre – ce qu’il n’a pas été, mais ne cesse d’être : il invente des pigments invisibles pour des teintes d’émotion et de pensées stambouliotes qui saisissent les fantômes du passé et les âmes en errance. Istanbul est dédié à l’une d’entre elle : son père qui, soudain, disparaissait et partait à Paris. Décédé en décembre 2004, cet homme qui aimait trop la vie pour en sacrifier les attraits à l’âpreté et la solitude d’une vie d’écrivain avait, un temps, rêvé d’un destin de poète, qui aurait commencé dans la capitale.

Au cours de ses fugues françaises, Gündüz Pamuk avait noirci quelques carnets donnés à son fils dans une valise qu’Orhan, longtemps, a hésité à ouvrir, et dont il a fait le sujet et la métaphore de son discours du Nobel à Stockholm, sur les filiations difficiles et indépassables. Là où le père n’a pas réussi à faire advenir son destin d’écrivain, le fils est aujourd’hui célébré. « Paris, où il avait, comme beaucoup d’autres, rempli des cahiers dans des chambres d’hôtel.

Je savais que dans la valise se trouvait une partie de ces cahiers. Il racontait comment il voyait Sartre sur les trottoirs de Paris, il parlait des livres qu’il avait lus et des films qu’il avait vus avec un enthousiasme naïf, comme quelqu’un qui apporte des nouvelles importantes. » La blessure de l’un est le legs de l’autre – une de ces blessures par laquelle, proclame Orhan Pamuk, un écrivain peut bâtir son monde et s’adresser à tous. « Toute littérature véritable repose sur une confiance – d’un optimisme enfantin – selon laquelle les hommes se ressemblent » , disait-il à Stockholm.

Dans Istanbul, dans ses pages et sa vie, Orhan Pamuk invite à avoir confiance en la mélancolie. Istanbul d’Orhan Pamuk traduit du turc par Savas Demirel, Valérie Gay-Aksoy et Jean-François Pérouse Gallimard, 448 p., 22 eur. (À paraître le 10 mai).

Illustration(s) :

Orhan Pamuk : « Toute littérature véritable repose sur une confiance – d’un optimisme enfantin – selon laquelle les hommes se ressemblent. »

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