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La Turquie laïque mobilisée contre le Premier ministre 16 avril 2007

Posted by Acturca in Turkey / Turquie.
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Libération (France), no. 8068, lundi 16 avril 2007, p. 8

Marc Semo

Il n’y avait ni pancartes ni banderoles de partis, mais des dizaines de milliers de drapeaux et de portraits de Mustafa Kemal Atatürk, brandis par une foule immense de près d’un demi-million de personnes ­ voire d’un million, selon les organisateurs ­, scandant «la Turquie est laïque et restera éternellement laïque». Lancée par l’Association pour la pensée d’Atatürk et d’autres ONG «kémalistes» de gauche, «la marche pour la République», qui a parcouru samedi le centre d’Ankara jusqu’au mausolée célébrant la mémoire du père de la Turquie moderne, a encore accru la pression sur le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, le leader de l’AKP (Parti de la Justice et du Développement), issu du mouvement islamiste. Aujourd’hui s’ouvre officiellement le dépôt des candidatures pour succéder à l’actuel chef de l’Etat, Ahmet Necdet Sezer, juriste laïc et républicain, dont le mandat s’achève en mai. Erdogan, l’ancien maire du grand Istanbul, fut un islamiste fervent, mais il se proclame aujourd’hui «musulman-démocrate», comme on est chrétien-démocrate en Occident, voire même simplement «musulman conservateur». Il doit maintenant décider s’il entre en lice pour la présidence. Le résultat ne ferait guère de doute, car le chef de l’Etat est élu par l’Assemblée nationale et l’AKP y dispose depuis les législatives de novembre 2002 d’une très confortable majorité de 353 voix sur 550.

Verrou

Le président de la République dispose de pouvoirs surtout honorifiques, mais il peut bloquer certaines lois et surtout les nominations dans la haute fonction publique, proposées par le Premier ministre. Une prérogative dont avait largement usé Ahmet Necdet Sezer, dénonçant les tentatives d’infiltration des islamistes dans les rouages de l’Etat. L’installation au palais de Cankaya, l’Elysée turc, de Recep Tayyip Erdogan ou d’un autre poids lourd de l’AKP ferait sauter cet ultime verrou institutionnel. D’où la mobilisation du camp laïc. Le président Ahmet Necdet Sezer évoquait vendredi «une menace sans précédent» sur l’actuel système politique turc. La veille, le général Yasar Büyükanit, dans une conférence de presse exceptionnelle, affirmait «espérer que le prochain président sera une personne véritablement attachée aux valeurs fondamentales de la République, dont la laïcité, et pas seulement en parole». Il ne donnait aucun nom, mais le message était clair. Nombre de commentateurs ont relevé qu’il s’agissait moins d’un veto à Erdogan que d’un rappel des fondamentaux. L’éventualité que la République laïque puisse être représentée par un chef de l’Etat dont la femme porte le foulard hérisse les kémalistes et une bonne partie de l’opinion. Quelque 57,3 % des Turcs se déclaraient contre une présidence Erdogan, selon une large enquête d’opinion menée il y a deux mois par l’institut Metropoli.

Jacobin

La puissante armée turque, pilier du flanc sud-est de l’Otan, se considère, avec ses 600 000 hommes, comme la gardienne de la République, inspirée du modèle jacobin créé par Mustafa Kemal sur les décombres de l’Empire ottoman, après la Première Guerre mondiale. Par trois fois ­ en 1960, 1971 et 1980 ­, elle sortit de ses casernes, jugeant la République en danger, avant de rendre le pouvoir aux civils. Mais le pays a depuis changé de catégorie. Les militaires le savent. Déjà, en février 1997, ils avaient agi plus subtilement en forçant la démission du Premier ministre Necmettin Erbakan ­ leader historique de l’islamisme politique turc et mentor d’Erdogan ­, sous la pression d’une mobilisation de la société civile laïque. On avait alors parlé de «coup d’Etat postmoderne».

Symbole

Le camp laïc semble tenté de réitérer la même opération, et notamment le CHP de Deniz Baykal (le Parti républicain du peuple), nationaliste et social-démocrate, qui reste la principale force d’opposition au Parlement. «La manifestation de samedi a dépassé par son ampleur tous les pronostics et elle montre un véritable sursaut républicain, d’autant qu’il y avait énormément de femmes et de jeunes qui sont les plus inquiets de voir remis en cause leur manière de vivre», explique Ali Sirmen, éditorialiste de renom de Cumhuriyet («la République») le quotidien de la gauche kémaliste. Mais nombre d’intellectuels de la gauche libérale s’inquiètent des relents nationalistes qui caractérisent cette nouvelle mobilisation kémaliste. «C’est une Turquie sur la défensive, laïcarde plus que vraiment laïque, qui dénonce pêle-mêle la menace extérieure et les pressions de l’Europe autant qu’elle craint cette autre partie de son peuple qui porte le foulard», analyse Ahmet Insel, professeur à Galatasaray et proeuropéen convaincu.

Pour le moment, Recep Tayyip Erdogan garde le silence sur ses intentions. La date limite de dépôt des candidatures est le 25 avril. Les cadres du parti multiplient les appels incitant leur leader charismatique à s’installer dans le fauteuil qui fut celui de Mustafa Kemal. Cette victoire serait un symbole. Mais une bonne partie des milieux industriels et des classes moyennes, qui avaient appuyé l’AKP parce qu’il faisait de l’Europe sa grande priorité, s’inquiètent maintenant de la montée des tensions et préféreraient un compromis pour la présidence.

«Laïcité menacée» en Turquie 

Libération, no. 8067, samedi 14 avril 2007, p. 8

Le président turc, Ahmet Necdet Sezer, a estimé vendredi que la laïcité républicaine était hautement menacée. «Les activités visant la laïcité et les tentatives de faire entrer la religion en politique accroissent les tensions sociales», aaffirmé le chef de l’Etat, estimant aussi que des «puissances étrangères» souhaitaient voir la Turquie devenir une république islamique modérée. En mai, le Parlement élira son successeur et l’actuel Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, issu du mouvement islamiste, pourrait se présenter, ce qui inquiète le camp laïc. La veille, le chef d’état-major des armées, le général Yasar Büyükanit, avait formulé le voeu que le prochain président de la République soit un défenseur de la laïcité. (AFP)

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