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Le réveil du cinéma turc 16 avril 2007

Posted by Acturca in Art-Culture, Istanbul, Turkey / Turquie.
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Le Monde (France), lundi 16 avril 2007, p. TEL4

Catherine Bédarida

Condition des femmes, répression politique, conflits autour des Kurdes ou de la laïcité : les cinéastes turcs s’emparent de l’actualité la plus aiguë, par le biais du documentaire ou de la fiction, comme en témoigne la sélection nationale du 26e Festival du film d’Istanbul (du 31 mars au 15 avril), qui a fait pour la première fois la part belle au documentaire.

A l’instar du romancier Orhan Pamuk, Prix Nobel de littérature 2006, les documentaristes et cinéastes turcs pointent les zones de fragilité, les lignes de fracture de leur société. Ainsi Berrin Balay Tuncer, dans son film Requiem pour les femmes, attaque de front une tradition meurtrière qui perdure dans les milieux pauvres à l’extrême est de la Turquie. La réalisatrice a enquêté sur les crimes d’honneur, une pratique qui consiste à tuer les femmes soupçonnées d’adultère ou violées.

Dans cette région délaissée du pouvoir central obsédé par sa lutte contre les Kurdes, seul le clan protège les plus démunis. Et quand le clan ordonne à l’un de ses membres de tuer, un refus d’obéir entraîne l’exclusion. Les autorités policières et judiciaires ferment souvent les yeux. Les militantes de Ka-Mer, une association de femmes créée en 1997 (www.kamer.org.tr), organisent la défense des victimes, sensibilisent l’opinion et interpellent les pouvoirs publics.  » J’ai choisi le cinéma pour toucher un large public et rompre le silence qui entoure ces crimes « , explique Berrin Balay Tuncer. Son film, tout en révolte contenue, évite les écueils de la pitié. Un paysage d’une solitude infinie, une couche de neige qui vient recouvrir la honte, une voix qui appelle en vain : ses images parlent d’elles-mêmes.

Si l’adhésion de la Turquie à l’Europe est un espoir pour les cinéastes, ils restent néanmoins critiques envers la politique de leur gouvernement.  » La peine de mort a été abolie en 2002 pour complaire aux exigences de l’Union européenne, mais la question n’a fait l’objet d’aucun débat public ou parlementaire qui aurait permis une dénonciation en profondeur. Ainsi, ses partisans ont pu relever la tête au sujet du leader kurde emprisonné, Abdullah Öcalan « , déplorent Necati Sönmez et Emel Çelebi, un couple de réalisateurs auteurs de Pour l’exemple, un documentaire sur l’histoire de la peine de mort en Turquie. Leur film s’appuie sur les lettres rédigées par les condamnés, à la veille de leur pendaison, et sur les témoignages d’avocats encore bouleversés par les exécutions auxquelles ils ont assisté. Une simple date de mort, les paroles gauches des criminels à leur famille pour s’excuser de les faire souffrir, les images de prisons à présent abandonnées : la sobriété du film dénonce avec force le caractère inhumain et inefficace du châtiment.

Le passé récent de la Turquie est aussi un thème récurrent de la fiction. Les films revisitent la période de la dictature qui a suivi le coup d’Etat de 1980 (Retour à la maison, d’Ömer Ugur) ou plongent au coeur des sectes musulmanes intégristes (Takva, d’Özer Kiziltan).  » Il était grand temps « , estime la nouvelle directrice du festival, Azize Tan, une jeune femme née en 1971 et éduquée dans les écoles françaises d’Istanbul. Selon elle, le cinéma turc, très vivant et populaire dans les années 1960, a subi un coup d’arrêt sous la dictature.  » Les cinéastes de la nouvelle génération, ouverts sur le monde, en contact fréquent avec l’Europe, se penchent sur l’histoire et les conséquences du coup d’Etat. Ils en ont les moyens : alors que, dans la plupart des pays, les films américains sont en tête du box-office, ici, plus de la moitié des entrées se font sur la production turque.  »

Cinéastes en quête d’Europe

D’essor récent, le cinéma documentaire perce lentement sur quelques-unes des douze chaînes hertziennes turques, notamment CNN Turquie ou NTV, et sur des canaux satellitaires privés. Pour sa part, TRT, la seule chaîne publique, diffuse largement ses propres productions.

 » Les rares fois où les chaînes prennent l’un de nos films, elles ne paient pas les droits, partant du principe que nous avons bien de la chance d’être diffusés « , dénonce Sehbal Senyurt, fondatrice de l’Association des réalisateurs de documentaires, créée en 1997 pour défendre les droits des auteurs.  » Les chaînes sont nombreuses en Turquie, mais, hormis la TRT, elles vivent de la publicité et ont peu de moyens. Depuis un an, nous avons obtenu qu’un minimum soit versé, au moins par les principales chaînes.  » Les nouveaux programmes en langue kurde devraient donner lieu à quelques productions. Quant aux canaux islamiques, ils produisent peu et  » leurs films n’ont aucun succès commercial « , assure Azize Tan, directrice du Festival du film d’Istanbul.

L’Association des réalisateurs organise chaque automne à Istanbul le Festival 1 001 documentaires, qui accueille des films et des cinéastes d’Iran, d’Irak, d’Arménie et du Moyen-Orient, et permet un état des lieux de la création dans la région. Les professionnels européens y animent des ateliers sur les techniques et la production.  » Nous essayons de favoriser les coproductions avec l’Europe. Elles sont déjà facilitées avec la France, grâce à la signature d’un accord « , précise Sehbal Senyurt. Dans le même but, le Festival du film d’Istanbul propose depuis 2006 ses Rencontres sur le pont, deux jours de travail entre professionnels de l’audiovisuel turcs et européens, tels Arte ou la ZDF allemande.

La plupart des auteurs de documentaires financent eux-mêmes leurs projets, avec un appui universitaire ou des aides européennes. Necati Sönmez et Emel Çelebi, réalisateurs de Pour l’exemple, vont participer à un atelier en mai au Festival de Cannes : ils travailleront sur leur nouveau projet, le portrait d’un exilé soudanais, originaire de la province du Darfour, arrivé à Istanbul il y a deux ans, avec l’espoir de passer vers l’Union européenne. Sehbal Senyurt a entrepris des démarches auprès de diffuseurs européens pour son film Le Nid des hirondelles, hommage à Hrant Dink, le journaliste arménien assassiné à Istanbul en janvier 2007.

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