Athènes réinvente l’espace balkanique 19 avril 2007
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Courrier international (France), no. 859, jeudi 19 avril 2007, p. 16
Zeljko Trkanjec, Jutarnji List (Zagreb)
En mal de partenaires stratégiques européens, la Grèce se tourne vers ses voisins avec l’ambition de devenir le pôle de stabilité de la région. Une occasion à saisir pour la Croatie, estime un quotidien de Zagreb.
Jusqu’à l’entrée de la Bulgarie dans l’Union européenne, cette année, la Grèce n’avait pas de frontière terrestre avec les autres pays de l’UE. Pendant plusieurs décennies, le plus riche et le plus « rodé » des pays du sud-est de l’Europe a été en marge des événements politiques en raison de son isolement géographique. Dès la création de l’UE, des partenariats régionaux se sont constitués, de l’axe moteur Berlin-Paris jusqu’à la coopération étroite entre les pays scandinaves, en passant par le Benelux et les pays méditerranéens, au sein desquels la Grèce a toujours été marginalisée face à l’Italie ou l’Espagne.
Entre-temps, une nouvelle génération d’hommes politiques grecs a vu le jour, une génération soucieuse d’affirmer la puissance de son pays en dehors de ces frontières. Mais où ? A l’Ouest, l’espace était occupé par l’Italie ; à l’Est par la Turquie, avec laquelle les relations sont toujours délicates. Il ne restait donc que les Balkans, la région qui devait donner plusieurs nouveaux membres à l’UE. Dans leur cheminement vers l’Europe, ces derniers auraient sans doute besoin de l’aide grecque et de son expérience européenne, s’est-on dit à Athènes.
La Grèce a une frontière terrestre commune avec l’Albanie, au nord, dans l’Epire, ainsi qu’une frontière maritime, au large d’Igoumenitsa et de Corfou, dont le potentiel touristique commence à intéresser les investisseurs grecs. De plus, selon des sources officielles, les immigrés albanais travaillant en Grèce envoient annuellement près d’un demi-milliard d’euros dans leur pays d’origine, ce qui contribue à la stabilisation économique de l’Albanie. Les sommes qui circulent sur le marché noir sont au moins égales, sinon supérieures, aux chiffres avancés par les autorités officielles. En Macédoine, qui n’a toujours pas réglé son différend politique avec Athènes au sujet de son nom, la Grèce est le principal investisseur, notamment dans la reconstruction du réseau routier. Depuis que la Bulgarie est entrée dans l’UE, Athènes a développé des relations stratégiques avec Sofia. Traditionnellement, la Grèce a de bonnes relations avec Belgrade et elle suit aujourd’hui la formation du nouveau gouvernement serbe avec une grande attention, en espérant que la Serbie reprendra rapidement le chemin européen.
Chef d’orchestre d’une « symphonie balkanique »
Elle s’inquiète de l’absence de compromis au sujet du statut du Kosovo et considère qu’il faudrait donner davantage de temps aux deux parties. Elle regarde également avec un grand intérêt ce qui se passe en Bosnie-Herzégovine, où elle est présente, avec ses soldats et ses fonctionnaires internationaux, depuis le début de l’application des accords de Dayton [de 1995]. Pour composer ce que le président Carolos Papoulias a appelé un jour une « symphonie balkanique » (ou plus prosaïquement pour devenir le centre de gravité de la région), la Grèce a besoin de partenaires. Elle les a déjà trouvés avec la Bulgarie et la Roumanie, mais elle aspire à élargir sa zone d’intérêts vers l’Europe centrale. Là, elle s’est heurtée à la Slovénie, qui prétendait, avec de bons arguments, être « le pont » entre l’UE et les Balkans. Ancienne République yougoslave, cette dernière est économiquement présente dans toute la région, et reste liée par la langue et les réseaux aux anciens membres de la Fédération. Mais elle a un gros problème : plus les initiatives régionales se multiplient, plus les Slovènes affichent leur volonté de se désengager de la région, jugée trop instable. Reste la Croatie. Depuis 2000, les rencontres bilatérales se multiplient entre les deux pays, notamment dans le cadre du Processus de coopération de l’Europe du Sud-Est (SEECP). C’est le canal par lequel Athènes veut construire « les nouveaux Balkans », et elle voit la Croatie comme l’un de ses alliés dans ce projet.
Athènes et Zagreb, comme les deux pôles d’un espace qui attend toujours une stabilisation durable, pourront exercer une influence bénéfique sur les processus en cours. Notamment celui du nouvel Accord de libre-échange d’Europe centrale (CEFTA), qui va au-delà des Balkans. Ces activités communes, entre Zagreb et Athènes, ne devraient en aucun cas mettre en question les liens tissés par la Croatie avec ses pays voisins d’Europe centrale et l’Italie. Le projet de modernisation du corridor européen X, que cela soit le réseau routier ou ferroviaire, ainsi que le renforcement de la coopération dans le cadre de la construction du futur corridor entre la mer Adriatique et la mer Egée sont dans l’intérêt commun de Zagreb et d’Athènes. Les deux pays partagent aussi le même intérêt stratégique pour installer une fois pour toutes la paix et la stabilité dans la région dont ils sont les deux pôles extrêmes. Une occasion qui doit être saisie malgré les avertissements de ceux qui, à Zagreb, clament qu' »on n’a pas besoin des Balkans ». Car même les Balkans sont en train de changer.
Encadré(s) :
Financement, Courrier international
La Grèce a investi entre 40 et 50 milliards d’euros dans les Balkans depuis 2002, ce qui a permis, selon des sources officielles, de créer quelque 200 000 nouveaux postes de travail. Le gouvernement actuel a récemment rendu public son « Plan hellénique pour la reconstruction des Balkans », qui prévoit d’investir un demi-milliard d’euros supplémentaire dans la région d’ici à 2011 ainsi que de créer des fonds de garantie pour y attirer les investisseurs privés.
Vu d’Athènes
Un eldorado pour les touristes et les PME
Eleftherotypia, (Athènes)
Les Grecs n’ont pas attendu l’entrée des pays des Balkans dans l’Union européenne pour y investir, s’y enrichir et les revisiter. Ils semblent en effet redécouvrir la région après vingt ans d’ignorance. Selon les derniers chiffres, près de 25 000 Grecs s’y rendent pour Pâques, Noël et même pendant l’été. La religion crée une proximité, la distance est réduite et, surtout, les prix défient toute concurrence. Il est ainsi plus économique d’aller en Roumanie ou en Bulgarie pour un séjour tout compris que de prendre un vol simple pour une île des Cyclades.
Ce sont les entreprises grecques qui ont ouvert la voie aux touristes. Les délocalisations des sociétés grecques vers les pays balkaniques sont un phénomène inévitable, car les charges et les taxes y sont bien moins élevées qu’en Grèce. Depuis la fin des années 1990, les entrepreneurs grecs qui peinent à surmonter leurs difficultés quotidiennes n’hésitent pas à traverser la frontière. Sur place, ils trouvent une main-d’oeuvre bon marché, mais surtout très enthousiaste et férue de la langue et des coutumes grecques.
Au-delà de cet eldorado économique, les Balkans attirent également les Grecs en quête de rêve. Beaucoup aspirent à devenir entrepreneurs, mais peu d’entre eux y parviennent. L’ouverture des pays de la région a permis à beaucoup de Grecs de gravir des échelons en passant de l’autre côté de la frontière. C’est ce qui est arrivé à Dimitri Tzikas. Simple employé dans une entreprise privée, il a fondé Elvial, une petite entreprise familiale qui déclare aujourd’hui un chiffre d’affaires annuel de 39 millions d’euros. Dimitri a connu tous les échelons dans son métier. Après avoir débuté comme stagiaire dans une société de fabrication de volets en aluminium, il est devenu, au fil des ans, directeur de production. Il a ensuite changé d’entreprise mais pas de secteur, et a pu se spécialiser dans l’aluminium.
Un matin de 1997, Dimitri a décidé de franchir le pas. Il a vendu son appartement pour quelques millions de drachmes [quelques milliers d’euros] et a emprunté des fonds à la banque pour créer sa propre société. Il a fait ce que faisaient alors tous les entrepreneurs : il a tenté d’investir en Grèce, mais sans grand succès à cause de la chute brutale des cours de la Bourse qui a endetté beaucoup de jeunes entrepreneurs. Les Balkans sont alors apparus à Dimitri comme la solution la plus fiable pour rebondir. « Il était devenu difficile de s’imposer dans le secteur en Grèce et les Balkans nous tendaient les bras », explique-t-il. Il a alors installé sa société familiale de l’autre côté de la frontière, en Bulgarie, et il ne lui a fallu que quelques mois pour qu’elle devienne rentable. Depuis, Elvial s’est développée et plusieurs filiales ont été créées : Elvial Bulgaria, puis Elvial Romania et maintenant West Balkans Doo.
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