Kirkourk, pomme de discorde entre le Kurdistan et le reste de l’Irak 19 avril 2007
Posted by Acturca in Middle East / Moyen Orient, Turkey / Turquie.Tags: Turkey / Turquie
trackback
La Croix (France), no. 37726, mardi 17 avril 2007
Agnès Rotivel
En Irak, les Kurdes qui jouissent d’une quasi-autonomie veulent que leurs frontières soient étendues. Ce qui n’enchante ni les Américains ni les Turcs; Erbil, de notre envoyée spéciale.
Mohammed Ihsan est constamment sur la brèche. À la tête du récent ministère des affaires extra-régionales du Kurdistan irakien, il est chargé du dossier de la ville de Kirkouk et de tous les territoires revendiqués par les autorités de cette région. « Kirkouk est une ville historiquement kurde, il n’y a pas de discussion là-dessus », estime le tout jeune ministre. Éduqué en Grande-Bretagne, il a ensuite émigré aux États-Unis, en Californie, où il a travaillé pour les droits de l’homme et réalisé des films sur les massacres de Saddam Hussein. Il est rentré au Kurdistan en 2001. Depuis un an, il se bat pour ramener Kirkouk dans le giron du Kurdistan et obtenir un redécoupage de la région qui inclurait quatre villes majoritairement kurdes : Chamchamal, Kalar, Tuz Kermatu et Kifri, qui, du temps de Saddam, avaient été placées dans d’autres provinces afin de diminuer le poids des Kurdes dans cette région.
Les ambitions des Kurdes, qui jouissent d’une quasi-autonomie en Irak, ne s’arrêtent pas là. Ils veulent que les frontières soient étendues pour épouser la ligne des montagnes Hamrin, soit une boucle comprenant le Sanjar, l’ouest de Mossoul et jusqu’à Mandali dans le Sud-Est, près de la frontière iranienne. La nouvelle Constitution irakienne prévoit la tenue d’un référendum pour déterminer si Kirkouk doit être rattachée au Kurdistan ou rester en Irak, le 15 décembre 2007. « Tous les Irakiens sont liés par cette Constitution, c’est notre cadre. Et personne n’a le droit de la changer », assène le ministre. L’article 140 prévoit en effet le départ des « colons arabes » installés à Kirkouk par la politique d’arabisation de Saddam Hussein, la redéfinition des frontières de la province de Kirkouk qui entoure la ville, un recensement et l’organisation d’un référendum.
Pour les Kurdes, il n’y a aucun doute, une fois les Arabes partis, la population votera pour le retour dans le giron kurde. Contre la somme de 15 000 dollars (12 000 €) et de la terre dans leur région d’origine, compensation accordée par le gouvernement de Bagdad, 12 600 familles arabes seraient prêtes à partir. Mais ce qui paraissait à portée de main il y a encore un an se complique de plus en plus. Le premier ministre irakien, Nouri Al Maliki, a bien signé l’application de l’article 140, mais il a ajouté une phrase selon laquelle le peuple irakien devra aussi voter sur le retour de Kirkouk au Kurdistan. « Un obstacle de taille, estime Denise Natali, jeune chercheuse en sciences politiques, professeur à la toute récente université du Kurdistan à Hawler (appellation kurde d’Erbil). Le pouvoir politique kurde ne veut pas lâcher sur Kirkouk. Il estime que c’est son honneur et son devoir de la reprendre. Mais c’est peut-être une erreur d’exiger Kirkouk maintenant. Et simultanément le temps joue contre les Kurdes, car ils n’ont plus autant d’influence au sein du gouvernement irakien. »
En fin de semaine dernière, Mohammed Ihsan s’est rendu une nouvelle fois à Bagdad pour discuter de l’organisation du recensement et du référendum. Le trajet n’est pas si long, mais, avec les très nombreux groupes terroristes actifs dans cette région, le voyage est risqué, même si le ministre dispose d’une protection rapprochée tout le long du trajet. Et les négociations se présentent mal. Début avril, les leaders kurdes ont menacé de quitter le gouvernement à Bagdad, où ils soutiennent le plus grand groupe chiite, si le gouvernement du premier ministre continuait à retarder ce dossier. Et les obstacles se multiplient.
L’administration américaine, bien que très proche des Kurdes, n’est pas pressée de faire aboutir cette question qui, de tout temps, hérisse la Turquie, pour qui Kirkouk est aussi la ville des Turkmènes. La Syrie et l’Iran ne veulent pas non plus d’un Kurdistan fort et économiquement indépendant – Kirkouk est assise sur d’énormes gisements pétroliers -, qui pourrait donner des idées à leur propre population kurde. Les relations entre la Turquie et le Kurdistan se détériorent de jour en jour. Ankara a réagi violemment aux propos du président du Kurdistan, Massoud Barzani, qui, dans une interview à la télévision Al-Arabiya, il y a quelques jours, a déclaré : « Si la Turquie intervient sur la question de Kirkouk, alors nous nous mêlerons du problème de Diyarbakir et d’autres villes en Turquie. » Le chef de l’armée turque, le général Yasar Buyukanit, a déclaré qu’une « opération militaire au Kurdistan est nécessaire », afin de déloger les activistes du PKK (Parti des travailleurs kurdes) de Turquie, responsable récemment de la mort de plusieurs militaires turcs dans l’est du pays.
L’obstination du gouvernement kurde envers Kirkouk n’entraîne pas l’assentiment de tous les Kurdes. Même si Kirkouk relève du tabou. Tranchant avec l’attitude nationaliste de ses dirigeants, Aza, jeune avocat de 27 ans, ne veut pas mourir pour Kirkouk. « Pourquoi s’engager dans une épreuve de force avec la Turquie, et risquer une nouvelle guerre ? On est en paix au Kurdistan, l’économie démarre, il y a du travail. » « Et qui irait se battre ? demande-t-il. Les ministres ? Ils ont tous un ou deux passeports étrangers, ce seront les premiers qui partiront. »
Commentaires»
No comments yet — be the first.