jump to navigation

Démographie : l’Europe du Sud en péril 29 avril 2007

Posted by Acturca in Economy / Economie, EU / UE, South East Europe / Europe du Sud-Est.
Tags:
trackback

Les Echos (France), N°. 19907, 26 avril 2007 jeudi, Pg. 11

Daniel Bastien

Italiens, Grecs, Espagnols et Portugais seraient-ils menacés de disparition ? L’effondrement de la fécondité entraîne un vieillissement accéléré des pays d’Europe du Sud, qui risquent de voir leur population décliner à l’horizon de 2025. Les autorités tardent à réagir.

Les images ont la vie dure. Qui n’a pas à l’esprit ces photographies de mammas italiennes, des bambins plein les bras ? Et ces clichés de gamins dévalant en bande les rues des quartiers populaires de Porto ou du Pirée ? Les enfants ont longtemps fait partie intégrante de la culture méditerranéenne. C’est désormais du passé.

En Europe du Sud, la croissance démographique s’essouffle, la population vieillit, et l’immigration prend tant bien que mal le relais d’une natalité défaillante. Cette région n’a pas vraiment connu de baby-boom, mais la fécondité y est restée longtemps élevée et la natalité n’a chuté qu’au milieu des années 1970. L’Italie est la championne de ce coup de vieux (18,2 % de personnes âgées de plus de 65 ans en 2003), suivie par la Grèce (17,3 %), le Portugal (16,7 %) et l’Espagne (17,1 %), menacée de supplanter à terme le Japon en tant que « pays le plus âgé du monde ». La baisse de la fécondité s’est produite plus tard qu’ailleurs, note Alain Monnier (1), directeur de recherche à l’Institut national d’études démographiques (Ined), mais le recul de la natalité a été plus fort et accéléré – le taux a été divisé par deux en trente ans -, et la baisse de l’accroissement naturel deux fois plus rapide que dans le reste de l’Europe occidentale.

Travailler ou procréer

Le taux de fécondité (2) des femmes espagnoles ne dépasse pas 1,34, contre 2,8 en 1975, et, sans l’immigration, les populations de l’Italie et de la Grèce, elles, auraient déjà commencé à baisser. Le mouvement devrait s’accélérer à partir de 2025, et faire perdre à l’Europe méridionale des dizaines de millions d’habitants d’ici à 2050, estime le Conseil de l’Europe. Le nombre des jeunes y a déjà reculé d’un tiers entre 1975 et 2000, deux fois plus que dans toute l’Europe occidentale et de l’Est. Mais, comme partout, la durée de la vie s’est allongée. Moins de jeunes, plus de vieux : la pyramide des âges y ressemble ici à un champignon, là à un sapin de Noël. Or ce phénomène risque de s’accentuer dès 2015 pour porter, à l’horizon 2050, la part des personnes âgées à 35 % en Espagne et 34,4 % en Italie, alors que celle des plus de 80 ans pourrait plus que tripler. Résultat : en Espagne, par exemple, le taux de dépendance du quatrième âge devrait passer de 27 % à 65,5 %, soit la hausse la plus forte au sein de l’OCDE.

L’histoire et les structures sociales comptent pour beaucoup dans ce constat. « Les régimes autoritaires – Franco, Salazar, les colonels grecs – ont fait vivre ces sociétés sur des valeurs anciennes, comme la famille, le christianisme et l’absence de contraception. Avec leur chute, les garde-fous sont tombés, et la fécondité est brutalement descendue au-dessous de la moyenne européenne », analyse Jean-Paul Sardon, directeur de l’Observatoire démographique européen. Dans les pays du Sud, tout concourt à retarder la naissance du premier enfant et à réduire à terme la taille des foyers. « Les jeunes restent chez leurs parents, travaillent, économisent, achètent un logement, et fondent leur famille seulement après », observe le démographe. Un chômage des 18-25 ans élevé, un taux d’emploi souvent faible et une entrée sur le marché du travail très tardive n’arrangent rien. Qui plus est, on y convole moins. Or, les naissances hors mariage restent rares. « Se greffe là-dessus, dans ces régions restées longtemps pauvres, une volonté de rattrapage de niveau de vie, et un enfant, ça coûte ! », rappelle Jean-Pierre Garçon, responsable de la division des migrations internationales à l’OCDE.

« Bombe à retardement »

Ce choix de l’épanouissement personnel au détriment de l’état de parent pénalise la croissance démographique, car les pays du Sud n’ont jamais cherché à favoriser la compatibilité entre travail des femmes et vie personnelle. « On considère que ce n’est ni le problème de l’Etat ni celui des entreprises », souligne Daniel Devolder, chercheur au Centre d’études démographiques de l’université autonome de Barcelone. L’alternative est donc simple : travailler OU avoir des enfants. Ainsi « privatisés », ceux-ci reviennent plus cher qu’ailleurs sur le Vieux Continent. Si les dépenses sociales en faveur de la famille représentent environ 3 % à 4 % du PIB dans les pays d’Europe du Nord, seule, au sud, la Grèce dépasse la barre de 1 %. Mais il ne faut pas oublier que, dans les sociétés modernes, les arguments « natalistes » comme le nombre de crèches ou les aides financières ne suffisent pas pour favoriser les naissances : « Il faut un cadre positif beaucoup plus global, qui inclut aussi bien la qualité du système de santé que la prise en charge des femmes enceintes ou le droit au travail des femmes », relève Jean-Pierre Garçon. Le très efficace modèle français est de ce point de vue une exception, concluent nombre d’experts.

Inéluctables, le vieillissement de la population et le recul du nombre des actifs menacent les retraites et les équilibres budgétaires. Les dettes publiques s’alourdissent, l’expansion est pénalisée. Selon la Commission européenne, la croissance économique potentielle de l’ensemble de l’Union passerait ainsi de 2 %-2,5 % à l’heure actuelle à 1,25 % en 2040. Et si l’on voulait maintenir le ratio de 35 retraités pour 100 personnes en âge de travailler, elle devrait accueillir 13 millions de migrants par an. L’avenir serait encore plus sombre au Sud.

Ces gros nuages n’ont paradoxalement pas inquiété les gouvernants jusqu’à tout récemment. Au niveau communautaire, il a fallu attendre 2005, avec un Livre vert sur la question et le sommet européen de Hampton Court, pour que soit évoqué publiquement le défi démographique. Depuis, conscient de l’existence de cette « bombe à retardement », le commissaire européen à l’Emploi et aux Affaires sociales, Wladimír pidla, veille au grain, et les Etats membres sont désormais tenus d’intégrer ce type de données dans leurs fameux programmes de stabilité et de convergence. Mais les pays du Sud, comme d’autres, semblent marcher sur des oeufs quand il s’agit de réagir.

Espagne. On cite souvent les vagues de régularisations massives d’immigrés latino-américains auxquelles procède Madrid : 600.000 rien qu’en 2005 et 3,9 millions au total fin 2006, soit 8,7 % de la population. C’est l’immigration qui a permis de débloquer une démographie longtemps figée autour de 40 millions d’habitants, l’Espagne détenant en 1995 le record mondial de la fécondité la plus basse, repris depuis par les pays d’Europe orientale. « Cette politique sert en fait surtout à satisfaire le marché du travail et à équilibrer dans l’immédiat les systèmes de retraite et de santé. Elle retarde un processus, sans plus », souligne-t-on à l’OCDE. Car, à plus long terme, « on ne voit pas l’immigration comme une solution ». Il n’est pas certain en effet que le nombre de naissances au sein des familles immigrées reste longtemps à un haut niveau ; en outre, les travailleurs étrangers occupent des postes peu qualifiés et peu payés, donc leurs contributions aux régimes de retraites sont faibles par rapport au minimum qu’ils toucheront bientôt. « Ils représenteront au contraire une ponction sur le système », explique l’organisation internationale. C’est pourquoi le gouvernement Zapatero vient de proposer un plan de réforme des retraites capable d’éviter tout problème de financement… pendant quinze ans.

Les autorités espagnoles sont conscientes que rien ne pousse les couples à avoir des enfants, et la difficulté de concilier famille et activité professionnelle est un thème à la mode outre-Pyrénées, où les journées de travail se terminent plus tard qu’ailleurs en Europe, où les crèches et les prestations publiques sont insuffisantes, où l’emploi est devenu très précaire. L’Etat est à la traîne en matière de politique nataliste. Quant aux régions, elles agissent dans le désordre. Les efforts sont toutefois sensibles, avec la récente création d’un congé paternel, l’introduction de la journée continue dans la fonction publique, un projet de loi sur l’égalité hommes-femmes, une aide de 100 euros par mois pendant trois ans accordée à la naissance de chaque enfant…

Portugal. Longtemps pays phare en matière d’émigration, le Portugal intègre des migrants à tour de bras depuis une dizaine d’années, surtout des « Russes », terme générique pour désigner les personnes originaires d’Europe orientale, essentiellement d’Ukraine. Résultat : le taux de fécondité y est moins catastrophique que dans les autres pays du Sud. « L’évolution y est comme amortie », estime Daniel Devolder, de l’université autonome de Barcelone. Il n’empêche. L’allongement de la durée de vie le plus spectaculaire de toute l’Union européenne et la baisse du nombre des naissances ont poussé le gouvernement Socrates à prendre le taureau par les cornes pour éviter la faillite du système de retraites en 2015. La réforme, qui devrait voir le jour cette année, reculera notamment l’âge de départ au-delà de 65 ans… et les parents ayant moins de 2 enfants seront appelés à cotiser davantage.

Italie. En 2006, le gouvernement italien offrait une prime de 1.000 euros pour chaque enfant né en 2005. Cette année, il a relevé le plafond de ressources donnant droit aux allocations familiales, augmenté les déductions d’impôts pour charges de famille, créé un « Fonds national pour la politique familiale, les revenus et les temps de vie et de travail » et lancé un « plan crèches » pluriannuel doté de 100 millions d’euros par an. Mais, sur le fond, « on ne s’inquiète pas à Rome de la question démographique en proportion du problème ! », estime un diplomate, et les gouvernements successifs n’ont jusqu’ici jamais consenti à mettre sur pied une véritable politique de la famille. De l’autre côté des Alpes comme des Pyrénées, les bébés sont une affaire de famille, pas d’Etat ! L’Italie souffre du même syndrome que l’Espagne, mais depuis plus longtemps : durée de vie très longue, problèmes d’emploi et de logement pour les jeunes, taux d’activité le plus bas de l’OCDE (avec la Turquie), mariages tardifs, peu d’enfants par couple, difficulté des femmes à concilier travail et vie de famille, immigration massive. Le pays est aujourd’hui l’un des plus âgés du monde et la natalité y reste l’une des plus faibles de l’Union, au niveau de celle des pays d’Europe orientale. La fécondité y a touché un plus bas historique en 1995, avec 1,19 enfant par femme.

Grèce. Si on trouvait des Grecs un peu partout dans le monde, on rencontre aujourd’hui de plus en plus d’immigrés en Grèce. Ils représentent quelque 10 % de la population active, essentiellement dans des jobs non qualifiés. La population n’en a pas moins été très tôt vieillissante. Elle commencera même à diminuer dès 2015, menaçant la pérennité d’un système de retraites jugé par l’OCDE comme le plus généreux de tous ceux de ses pays membres, et une croissance économique qui, en moyenne, pourrait ne pas dépasser 0,8 % par an entre 2031 et 2050. Cette situation est qualifiée d’« à haut risque » par Bruxelles, alors que le FMI estime que le système public de retraites représentera 22,6 % du PIB grec en 2050… A Athènes, le sujet est explosif et des commissions diverses et variées planchent sur la question. Mais il y a peu de chances qu’une réforme voie le jour avant la fin de la législature, en 2008.

Commentaires»

No comments yet — be the first.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :