L’art contemporain place Istanbul au coeur de la mondialisation 22 septembre 2007
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Le Monde (France), 20.09.07
Emmanuelle Lequeux, Istanbul, Envoyée spéciale
Istanbul est une ville au coeur du monde : toute l’intelligence de la Biennale d’art contemporain qui s’y tient jusqu’au 4 novembre est d’en témoigner. Dans un pays gouverné pour la seconde législature d’affilée par des islamistes modérés, au coeur du débat européen, au centre de la globalisation, cette cité aux deux continents est un des visages de la mondialisation.
C’est ce potentiel qu’a cherché à exploiter Hou Hanru, le concepteur de cette méga-exposition éclatée dans toute la ville, en mettant l’accent sur des symboles du monde du travail et de la modernité. Le sous-titre de cette dixième édition (www.iksv.org) annonce le programme : « Non seulement possible, mais aussi nécessaire : l’optimisme à l’âge de la guerre globale. »
Reste à savoir si les Stambouliotes seront intéressés. Les seuls visiteurs autochtones aperçus après le vernissage étaient deux policiers à l’air sceptique. Pourtant, la centaine d’artistes venus du monde entier essaient de rappeler que l’art n’est pas coupé de la réalité. On n’est guère surpris d’entendre ce discours de la part d’Hou Hanru : ayant quitté la Chine avant de s’installer dix ans à Paris pour rejoindre aujourd’hui The Art Institute de San Francisco, il a toujours défendu une vision politique de l’oeuvre d’art.
Le choix des quatre lieux d’exposition est symptomatique de son engagement. Seul cas particulier : Santral Istanbul, un nouveau centre d’art, situé non au centre de la capitale mais au fond de la Corne d’or. C’est une ancienne centrale électrique magnifiquement restructurée pour accueillir l’art moderne et contemporain turc, sorte de mini Tate Modern de Londres. Avec ses turbines et ses machines dignes des Temps modernes, elle remet le monde du travail au centre des préoccupations esthétiques.
Les artistes investissent, également, un bâtiment époustouflant des années 1970, le centre culturel Atatürk (AKM). Avec son escalier aérien et ses milliers d’ampoules, il est resté dans son jus. Souvenir de ce temps où la Turquie se tournait vers la modernité à l’Occidentale, ce lieu fait débat et des voix réclament sa destruction.
Mêler art et monde du travail
Hou Hanru a choisi de jouer de l’aura de l’AKM en le confrontant à d’autres hauts lieux de l’utopie moderniste : le bâtiment du siège du Parti communiste français, à Paris, construit par Oscar Niemeyer, mis en scène dans une vidéo par Nina Fischer et Maroan El-Sani et le bâtiment de l’ONU à New York, éclairé par des clichés de Daniel Faust. Seul regret : beaucoup des photos et vidéos présentées sont faibles.
C’est un peu le même problème qui se pose dans le marché au textile, tout autant investi par les artistes. Dans le méandre de ses blocs de béton et de ses vendeurs de rouleaux de tissus ou de machines à coudre, au milieu de ses porteurs surchargés de sacs, le visiteur est invité à se perdre (quitte à rater parfois des oeuvres).
Il y a quelque chose de fort et d’incongru à mêler ainsi l’art et le monde du travail. Le collectif français Claire Fontaine rappelle sur une affiche que « quiconque lutte pour la classe des exploités est un immigrant dans son propre pays ». Le jeune Français Julien Prévieux produit en réponse à des annonces d’emploi des « lettres de non-motivation », où il dissèque avec précision la rhétorique du monde du travail et refuse avec superbe les jobs proposés.
C’est peut-être la partie de l’Antrepö (près du Musée IstanbulModern) qui s’avère la moins réussie, la plus cacophonique. Elle se laisse aller au défaut d’Hou Hanru : les collectifs d’architectes, sociologues ou artistes auxquels il aime faire appel pour interroger la réalité des villes tombent souvent dans le diagramme complexe, illisible, tué par trop de textes.
Hou Hanru a choisi sa priorité : inventer des micro-utopies pour demain, qui dépassent de loin les débats sur la mort de la sculpture ou le retour de la peinture. Peut-être l’essentiel est-il qu’elles aient lieu dans la cité, quitte à échapper aux amateurs d’art. Istanbul les entendra-t-elle ?
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