Le retour des Tatars 21 décembre 2007
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Le Vif / L’Express (France), 21 décembre 2007, P. 98
Sylvaine Pasquier, De notre envoyée spéciale
Ce peuple qui régna, durant trois siècles, sur la péninsule ukrainienne, fut déporté par Staline. Il revient peu à peu sur ses terres, mais se heurte aux descendants des colons russes, majoritaires. Les affrontements couvent et empoisonnent encore le climat entre Kiev et Moscou.
Les familles vendent tous leurs biens pour pouvoir revenir Seules 15 écoles dispensent un enseignement en tatar
Longs cheveux auburn et minijupe, Ousnia, 19 ans, grimpe les sentiers escarpés vers l’antique forteresse de Kirk Yer, où l’Empire byzantin avait établi un avant-poste. Ce nid d’aigle fut au xve siècle le bastion des premiers souverains tatars : fondateur du khanat de Crimée, Haci Giraï a combattu des années pour instaurer son indépendance face aux khans de la Horde d’Or. Ousnia elle-même est issue de la longue histoire de ces clans turco-mongols qui s’établirent dans la péninsule, où ils se sont mêlés aux descendants de multiples invasions, Grecs, Scythes, Bulgares, Génois… C’est aux karaïtes, adeptes d’une branche du judaïsme, que les Giraï, musulmans sunnites, confieront ce haut lieu, lorsqu’ils établiront, au début du xvie siècle, leur capitale dans la vallée, à Bakhchisaraï – où vit désormais la jeune étudiante.
Père garagiste, mère enseignante, Ousnia est née en Ouzbékistan, où sa famille a été déportée par Staline en 1944 : « J’avais 4 ans lorsque mes parents sont rentrés en Crimée, au début des années 1990. » Elle est fière de Bakhchisaraï à plus d’un titre : la cité abrite le palais des khans, témoignage d’une ancienne splendeur – qui a pris fin avec l’annexion de la Crimée par la Russie tsariste. Et c’est là aussi que réside Mustafa Jemilev, héros de la longue marche vers la terre promise, à la tête depuis 1991 du Mejlis – conseil exécutif et représentatif des Tatars. Ex-dissident jeté autrefois au goulag, cet homme frêle a la détermination non violente d’un Gandhi : « Nous voulons que l’on nous accorde le statut non pas de minorité, mais de peuple autochtone de la Crimée, rappelle-t-il, et la restauration de nos droits. » Ces revendications indignent la majorité russophone de la péninsule – 58 % au recensement de 2001 – pour la plupart des colons injectés en masse après la déportation. « J’admets que les Tatars sont originaires de Crimée, convient l’historien Andreï Magline, mais leur concéder juridiquement ce qu’ils réclament, c’est le premier pas vers la reconnaissance de l’Etat national qu’ils cherchent à obtenir depuis quinze ans. Je ne veux pas de ça, et Kiev pas davantage. » Partisans de la révolution Orange prodémocratique de 2004, les Tatars ont beaucoup espéré du président Viktor Youchenko, qui les soutient discrètement, sans s’engager plus avant.
En 2006, environ 260 000 Tatars, selon des sources internationales, avaient déjà regagné la péninsule baignée par la mer Noire – dont Khrouchtchev fit cadeau à Kiev, en 1954, lors du tricentenaire du rattachement de l’Ukraine à la Russie. Inférieure à 1 % au début des années 1980, leur présence excéderait aujourd’hui 13 % de la population. Par ailleurs, de 100 000 à 150 000 d’entre eux attendraient encore en Asie centrale, ou disséminés en Russie. « Nous prévoyons de 15 000 à 20 000 retours d’ici à 2010, avance Volodymyr Khomenko, représentant du président ukrainien à Simferopol – capitale de la République autonome de Crimée. Mais, les familles ont beau vendre tous leurs biens, beaucoup ne peuvent faire face à l’augmentation des coûts du transport et de la réinstallation en Crimée. « L’Etat fait le maximum pour aider, assure Volodymyr Zagorodnyi, fonctionnaire du Comité ukrainien des religions et des nationalités, mais certains en Crimée nous le reprochent. » Remzi Ilyasov, l’un des sept élus tatars au Parlement de la république autonome (100 sièges), sait à quoi s’en tenir : « Parce que les russophones ont le nombre pour eux, ils estiment avoir tous les droits, observe-t-il. Ici, les deux tiers des députés locaux sont prorusses et certains étalent leur chauvinisme. » A l’égal du maire de Moscou, Youri Loujkov, qui vient périodiquement leur apporter son soutien, les plus radicaux clament que la péninsule est russe. Lorsque l’Ukraine a accédé à l’indépendance, la Crimée a brièvement fait sécession, réclamant son rattachement à la Russie. Si tel avait été le cas, riposte Mustafa Jemilev, « la Crimée aurait connu le même sort que la Tchétchénie ».
Depuis 1991, l’Ukraine prend en charge, du moins en partie, l’accueil des arrivants, le logement, l’éducation, la santé… Durant les quinze dernières années, Kiev y a consacré 950 millions de hryvnias (environ 141 millions d’euros). Certains pays, en particulier la Turquie, apportent des subsides, mais Moscou n’a pas versé un kopeck de compensation pour les vies fauchées et les biens spoliés.
En Crimée, les Tatars – dont la langue a été interdite en déportation – se heurtent à un nouveau processus de russification. Seules 15 écoles locales dispensent un enseignement en tatar. « Elles accueillent un dixième de nos enfants », souligne Mustafa Jemilev. Les autres fréquentent en majorité des établissements russes. A Kiev, le Comité des religions et des nationalités assure que ceux-ci peuvent suivre des cours de tatar. Le chef du Mejlis ne s’en satisfait guère : « En Asie centrale, la première génération a pu transmettre. C’était déjà moins vrai de la seconde. Il y a des familles où l’on parle russe, faute de connaître assez notre langue. Mon père, lui, n’aurait jamais accepté. »
Chaque semaine, la télévision de Crimée accorde quatre heures et demie de programmes à TV Tatar, dont dix minutes quotidiennes d’information – « Mais il faut aussi faire place aux nouvelles relatives aux minorités arménienne, grecque, bulgare…, explique l’un des journalistes, Chefki Ganiev. On manque de temps. Et le principal litige avec la direction, c’est que notre journal est diffusé à 18 heures, quand les gens ne sont pas rentrés du travail ! »
Sujet prioritaire entre tous : la question de la terre et du logement. Lorsque l’Ukraine indépendante a distribué les milliers d’hectares détenus par les fermes collectives et les usines, les déportés n’ont pas été prévus dans la répartition. Or, d’année en année, les prix du foncier s’envolent. Aux arrivants tatars l’Etat ukrainien propose un logement, à condition de patienter, ou bien de construire eux-mêmes sur un lopin qui leur sera désigné. Où ? Ni sur le littoral, où la spéculation va bon train, ni dans leurs localités d’origine, mais là où la terre, moins fertile, est peu coûteuse, dans des zones isolées, parfois dépourvues d’eau courante. De surcroît, les pouvoirs locaux renâclent. Au 1er janvier 2007, au total 35 000 logements financés par le budget de l’Etat ont été livrés et 115 000 Tatars sont parvenus à s’offrir une maison avec leurs propres deniers sur les quelques arpents alloués. Certains s’intègrent, créent des entreprises. Et les autres ? Hébergés par des parents ou réfugiés dans des baraquements, ils se lancent dans l’occupation des terres. Le long des routes, on voit de-ci de-là des parcelles flanquées de banderoles et de pancartes. Le Mejlis affirme que ces saisies, menées en bon ordre, ne lèsent personne. « Quand un terrain public doit être privatisé, précise Andreï Magline, il reçoit un statut intermédiaire : il cesse d’appartenir à l’Etat sans pour autant avoir de propriétaire. C’est alors que les Tatars passent à l’action. » D’autres affirment que les occupants ont déjà leurs propres terres et qu’ils en accaparent d’autres pour les revendre à leur profit. « Ils agissent en toute impunité et la communauté internationale leur prête une attention excessive, s’insurge Sergueï Tsekov, dirigeant nationaliste du Bloc russe. Ce qu’ils veulent, c’est qu’on fasse nos valises et qu’on rentre à Moscou ! »
Les incidents se multiplient, opposant des Tatars à de pseudo-unités cosaques. « Il s’agit de groupes paramilitaires financés en partie par le business local, en partie par les organisations russes », précise Linur Yunusov, rédacteur en chef de l’hebdomadaire Evénements. Les affrontements avec les Tatars servent à couvrir des agissements illégaux – ou des stratégies à long terme. La Russie n’apprécie guère que l’Ukraine ait l’intention d’intégrer un jour l’Otan. Et pas davantage la perspective d’avoir à retirer, en 2017, sa Flotte de la mer Noire, basée à Sébastopol – alors qu’elle cherche au contraire à la renforcer. « Peu avant l’échéance du bail, je n’exclus pas que Moscou jette une allumette en Crimée, poursuit-il. Déjà, Leonid Hrach, un communiste, a prétendu avoir découvert un camp de « terroristes » tatars, une invention qui n’a pas résisté à l’examen. Le Mejlis et Jemilev lui-même ont opposé une fin de non-recevoir à toute tentative d’importer ici l’islamisme radical. »
« Tant que Mustafa restera aux commandes, observe Chefki Ganiev, l’unité et les actions pacifiques seront préservées. » Mais il y a de la contestation dans les rangs. « Jemilev a le pouvoir depuis quinze ans. Qu’avons-nous obtenu ? » s’insurge Vasvi Abduraïmov, un intellectuel saisi par la politique. Et il a ce mot terrible : « Ce n’est pas en prison qu’on apprend la démocratie. »
RUSSIE
bonjour ,
l’union des russophones de France,
considère la Crimée à majorité
russophone, a 70% se sentent liés à la Russie,c’est encore plus voyant à Sébastopol ,port d’attache de la flotte russe de la mer noire
oui à l’indépendance de la crimée,