Constantinople révèle ses naufrages antiques 15 janvier 2008
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Libération (France), 15 janvier 2008
Lise Barnéoud
Nous sommes en plein coeur d’Istanbul, à deux pas de la rive occidentale du Bosphore. Ici, la rumeur de la ville est étouffée, aucun bruit de klaxon, aucune sirène de police. Mais des coups de pioches et des plaintes de brouettes rouillées qui cahotent parmi un amoncellement de céramiques, d’os et de morceaux d’amphores datant de plus de mille ans. Bienvenue à Yenikapi, ancien port byzantin probablement fondé au IVe siècle après Jésus-Christ par l’empereur romain Théodose Ier. Bienvenue à Yenikapi, future gare ferroviaire de la ligne de Marmaray qui reliera l’Europe à l’Asie par un tunnel sous le Bosphore.
Chaînon manquant. Lorsque les ingénieurs ont commencé ce gigantesque chantier ferroviaire il y a trois ans, la découverte de vestiges portuaires n’a surpris personne. « Nous nous doutions de la présence d’un port puisque nous avions des témoignagnes littéraires du Ve siècle évoquant une activité portuaire d’importance à Constantinople, explique l’archéologue Aksel Tibet, coauteur d’un rapport pour l’Unesco sur l’impact du projet Marmaray sur le patrimoine historique. Mais nous ne nous attendions pas à découvrir autant de vestiges et surtout autant d’épaves. »
Depuis le début de ces fouilles de sauvetage, en novembre 2004, pas moins de 29 épaves datant du Ve au XIe siècle de notre ère ont été mises à jour. D’autres vestiges d’importance ont été découverts sur ce site, comme ce tronçon de muraille érigée par l’empereur Constantin lorsqu’il fit de Byzance la capitale romaine, en 330 après Jésus Christ, ou ces deux chambres funéraires datant du XIIe siècle. Mais les épaves sont définitivement ce qui intrigue le plus les archéologues. « C’est la première fois que nous découvrons autant de bateaux sur un même site, commente Aksel Tibet, debout sous une bâche blanche protégeant la carcasse d’un navire en chêne. Certains font 25 mètres de long. Une partie d’entre eux sont des bateaux à rame qui pouvaient assurer un transport rapide sur des trajets courts. Les autres sont des embarcations à voile. On a même retrouvé les cordages de certains de ces voiliers ! » Pour Nergis Günsenin, archéologue turc coresponsable des fouilles, « ces cargos dévoilent un chaînon manquant capital dans l’histoire de la marine ». Certains sont en effet construits selon une technique antique dite du bordé, où l’on commence par poser les planches qui forment la coque, alors que d’autres se rapprochent des constructions modernes où l’on fixe d’abord le squelette du bateau avant d’y clouer les planches extérieures.
Tsunami. Plus surprenant : la plupart de ces épaves possèdent encore leur cargaison, particulièrement bien conservée dans ce milieu resté humide. On trouve ainsi des amphores de vins en provenance du nord-ouest de l’Empire, des blocs de marbre, du blé. Sur un des bateaux, on a même retrouvé les affaires personnelles de l’équipage : brasero, marmites, panier rempli de fruits. L’histoire de ces épaves raconte d’abord l’histoire de leur naufrage.
Mais pourquoi autant d’embarcations auraient-elles échoué précisément ici ? Ont-elles coulé ensemble ? Existait-t-il un courant qui rendait ce port particulièrement dangereux ? « Une dizaine de bateaux semblent inclinés de la même manière, raconte Nergis Günsenin. Nous pensons qu’ils ont probablement coulé en même temps, suite à une tempête. Pour les autres, nous ne savons encore pas grand-chose. » Certains évoquent même un tsunami qui aurait ravagé la ville au Ve ou VIe siècle et entraîné un échouage collectif de la flotte sur le Bosphore. « Mais ce n’est qu’une hypothèse », précise Aksel Tibet.
Coût. Une centaine d’ouvriers travaillent sur les trésors du chantier. « Tout est financé par les entrepreneurs du projet Marmaray, souligne ce chercheur de l’Institut français d’études anatoliennes. C’est une chance pour nous autres archéologues d’avoir non seulement des fonds pour organiser ces recherches, mais également la possibilité de fouiller en plein coeur d’Istanbul. » D’autant plus que deux autres chantiers sont en cours dans le cadre de ce projet, l’un à Sirkeci et l’autre à Usküdar, deux quartiers d’Istanbul. « Comme la ville n’a jamais cessé d’être habitée et que ses constructions sont très denses, très peu de fouilles ont pu être effectuées à l’intérieur de la ville, poursuit Aksel Tibet. Ces fouilles d’urgence nous permettent donc de rattraper notre retard : en tout, la superficie explorée dans le cadre du projet Marmaray est supérieure à la superficie de l’ensemble des fouilles archéologiques effectuées à Istanbul depuis un siècle ! »
Mais concilier le temps des archéologues avec le calendrier des ingénieurs n’est pas toujours évident. « Chaque jour de retard coûte des sommes astronomiques au projet », confie Aksel Tibet. D’où un rythme de travail éreintant. « Il nous faut encore au moins un an de fouilles », prévoit Nergis Günsenin. Quant au temps de traitement et de restauration des bateaux, il est évalué à près de dix ans. De leur côté, les promoteurs du projet Marmaray promettent l’achèvement de la ligne ferroviaire d’ici 2009.
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