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La question laïque en terres d’islam 21 février 2008

Posted by Acturca in Books / Livres, Turkey / Turquie.
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Ouest France (France), 8 février 2008

par Pierre-Jean Luizard (*)

La laïcité peut-elle conduire à une démocratisation en terres d’islam ? Pour répondre à cette question rebattue, il faut revenir en arrière. C’est au cours du XIXe siècle que la laïcité a pris corps dans les pays musulmans passés sous la domination ou l’influence de l’Europe. De l’Indonésie au Maroc, l’ensemble de ces pays dut accepter une relation de dépendance vis-à-vis d’un monde européen, industriel et conquérant. Les loges maçonniques italiennes et françaises ont joué un rôle important dans la diffusion des idéaux laïques. C’est au lendemain de la Première Guerre mondiale que, préparée par les Comités Union et Progrès (Jeunes Turcs), la laïcité a fait irruption en Turquie avec les réformes brutales de Mustafa Kemal.

Cette laïcité version turque a été un modèle pour l’ensemble du monde musulman. Ensuite, l’idée s’est répandue que l’État devait dominer la religion. Et l’on a pu assister à une floraison d’idéologies nationalistes qui allaient chercher dans la race, l’histoire, la langue ou la volonté nationale, des principes d’union, en remplacement des identités religieuses encore dominantes.

Dès lors, les terres d’islam n’ont connu que des laïcités autoritaires qui rendaient difficile l’apparition de sociétés civiles. L’État et l’armée étaient souvent les seuls à porter l’idée laïque dans des sociétés dominées par la tradition religieuse. De Bourguiba à Saddam Hussein, en passant par le chah d’Iran, les discours laïques sont apparus liés à un régime dictatorial ou à un prolongement de la domination occidentale.

Le seul pays musulman où la laïcité a été acceptée et intégrée culturellement est la Turquie. Grâce à une vigoureuse résistance nationaliste, ce pays a pu échapper au démembrement et à la domination européenne. L’État-nation et la laïcité étaient, aux yeux des partisans de Mustafa Kemal, la formule magique qui avait permis à l’Europe de surpasser les autres sur l’échelle de la modernité. En adoptant les valeurs du plus puissant, la Turquie des années 1920-1930 voulait rompre avec un passé qui avait conduit les pays musulmans à perdre leur souveraineté. Ce pays a connu un face-à-face permanent entre des élites laïques et autoritaires, et une société civile qui s’exprimait de plus en plus par l’islam.

Les dernières interventions de l’armée turque rappellent celle de l’armée algérienne, mettant un coup d’arrêt au processus électoral de 1992. La monarchie pahlavie (1925-1978), en Iran, les régimes tunisiens ou baasistes d’Irak et de Syrie ont été confrontés, à l’instar de l’Égypte de Nasser, à des défis semblables. La modernisation imposée de façon autoritaire a fait de l’idéal laïque un repoussoir pour des sociétés bâillonnées.

Lors des entreprises coloniales, la modernité, source de puissance, avait un caractère impérialiste. Car, finalement, que fut la colonisation, sinon la mise en contact brutale de sociétés modernes avec d’autres qui l’étaient moins ? Le plus moderne imposa alors ses valeurs au moins moderne, lui interdisant un chemin indépendant vers la modernisation.

Il y a toujours eu un décalage entre la modernité triomphante du plus puissant et celle, balbutiante, du colonisé. Qu’est-ce qui mesure la modernité ? N’est-ce pas avec le rapport de force et la puissance qu’elle s’impose ? Si la laïcité ou une certaine forme de laïcité est un préalable à toute démocratisation, laïcité et démocratisation dans le monde musulman apparaissent contradictoires.

(*) Chercheur au CNRS (Groupe de sociologie des religions et de la laïcité). Publie Laïcités autoritaires en terres d’islam (Fayard).

Monde musulman et dictature de la raison

Le Monde (France), 9 février 2008, p.19
Le livre du jour

C’est en historien que Pierre-Jean Luizard, chercheur au CNRS au groupe de sociologie des religions et grand spécialiste de l’Irak, s’attaque à la question passionnante et sans doute singulièrement française de la compatibilité entre l’islam et la laïcité. Au siècle dernier, sur les pas de la Turquie de Mustafa Kemal, l’Iran, la Tunisie et l’Irak se sont en effet efforcés d’importer un modèle social et politique venu de l’extérieur. En Turquie, cette introduction relève alors du défi : il s’agit de toute urgence de copier chez le vainqueur ce qui semble constituer sa force pour sauvegarder ce qui peut l’être de son indépendance. L’outil laïc doit permettre de bâtir en toute hâte un Etat-nation pour éviter le dépeçage total et définitif de l’empire ottoman.

Cette laïcité d’Etat, laïcité appliquée  » par le haut à des sociétés peu sécularisées « , présente immédiatement un caractère autoritaire qui sera reproduit en Iran et dans les pays arabes. Ce discours ne se remettra pas d’avoir été à la fois importé puis imposé. Car la laïcité prend les traits d’une mise au pas des populations auxquelles elle s’adresse : concassage des particularismes religieux ou ethnique (Kurdes) en Turquie, émancipation  » imposée des femmes  » en Iran dans les années trente, répression féroce des Frères musulmans par le régime égyptien, offensive frontale avec l’islam  » traditionnel  » en Tunisie, tyrannie en Irak…

Cet autoritarisme, assimilé à la modernité en Occident, va de pair avec un système politique hermétiquement clos de parti unique, et un réformisme militaire à la prussienne, qui considère l’armée comme un vecteur indiscutable de progrès, alors qu’elle engendre invariablement abus de pouvoir, jusqu’au coup d’Etat, et corruption.

Ces laïcités autoritaires se définissent également par la tentative avortée de circonscrire l’influence de l’islam dans un cadre bien défini. Différence fondamentale avec la laïcité à la française, à partir de sociétés aux parcours historiques il est vrai bien différents,  » aucun processus de laïcisation n’a jamais débouché sur une laïcité de séparation de l’Eglise et de l’Etat « . Mais, en dépit des efforts déployés pour enserrer la religion dans un système contrôlé par en haut, cette cohabitation va souvent tourner au cauchemar pour ces régimes, comme le détaille avec minutie Pierre-Jean Luizard. Parce que la religion va devenir à la fois un refuge et une contestation silencieuse, souvent la seule possible. Et parce que la réislamisation va devenir le fait d’Etats en délicatesse avec leurs sociétés, réduits à utiliser l’islam comme béquille identitaire pour potentats affaiblis.

C’est vrai en Egypte, où le régime de Hosni Moubarak troque la réislamisation sociale contre le verrouillage du pouvoir (et de sa rente), comme chez les frères ennemis baasistes syriens et irakiens. Au cours de mémorisation du Coran à Damas répond le drapeau frappé du  » Allah est le plus grand  » à Bagdad.

Au final, ces expérimentations se sont donc avérées contre-productives, à l’exception notable de la Turquie. Cette spécificité turque ne va pas cependant sans vengeance de l’histoire, puisque le gouvernement contrôlé par l’AKP  » post-islamiste « , modèle revendiqué des Frères musulmans syriens en exil, y justifie aujourd’hui très précisément au nom de la laïcité la fin de l’interdiction du port du voile islamique à l’université.

Pour Pierre-Jean Luizard, qui abat le masque dès l’introduction de son ouvrage en estimant que la laïcité constitue un préalable au pluralisme politique, le bilan est donc décevant. Sur les décombres de l’autoritarisme laïc, un réformisme islamique a sans doute une carte à jouer.

Laïcités autoritaires en terres d’islam

Pierre-Jean Luizard

Fayard, 284 p., 19 €.

Au Proche-Orient, la laïcité n’a pas favorisé la démocratie

Le Temps (Suisse), 14 février 2008
Antoine Bosshard

Dans un livre éclairant, Pierre-Jean Luizard tente d’analyser les rapports difficiles de la laïcité et de l’islam.

La laïcité, imposée par tant de régimes en pays musulmans – Turquie, Iran, Irak, Syrie, Egypte, Tunisie – a-t-elle, finalement, contribué à leur démocratisation? C’est la question, théorique en apparence, mais bien éclairante sur la nature de ces sociétés, que pose le chercheur Pierre-Jean Luizard dans ce nouvel essai.

Spécialiste de l’islam et de la sociologie des religions, l’auteur a choisi l’histoire comme grille de lecture. Utile détour, utile rappel du sursaut moderniste qu’ont vécu plusieurs de ces pays – à commencer par la Turquie, mais aussi l’Egypte et la Perse dès le XIXe siècle. Des pays comme mis au défi des progrès techniques et du discours des Lumières apportés par les colonisateurs, français et britanniques. Des modèles, en somme, que leurs dirigeants, bien plus tôt qu’on ne l’imagine ordinairement, se sont efforcés d’imiter. Autant d’efforts de modernisation, d’européanisation qui, face à la résistance des milieux religieux, menacés sur leur terrain, ont connu reculs et avancées.

Luizard montre comment, au triomphe de l’impérialisme, dès 1918, répond, en Turquie le sursaut d’un homme, Mustapha Kémal, qui reconstituera, en quelques années, un pays réduit en miettes par les vainqueurs. Et qui comprendra que la meilleure défense à l’égard des puissances est encore de fonctionner comme elles. On sait à quelle cadence et avec quelle brutalité les réformes laïques, dans un pays dont la religion officielle restait l’islam, furent imposées. Suscitant des émules, à des tempos et des degrés divers, à Téhéran (les Pahlavi), au Caire (Nasser), à Tunis (Bourguiba) à Damas et Bagdad (le Baas).

En fait, observe notre auteur, les sociétés du Proche-Orient étaient fort mal préparées à recevoir la potion laïque, qui leur a été administrée par la force. Et cet autoritarisme, ignorant les particularismes ethniques (les Kurdes) et religieux (le chiisme) au nom de l’unité de l’Etat-nation, est le défaut majeur d’une expérience empruntée au colonisateur. Elle a suscité des résistances farouches, réprimées avec une incroyable férocité. La nature de ces régimes est caractérisée, au reste, par le pouvoir des militaires et par la formule du parti unique. Seule la Turquie a su passer, sans trop de casse, au pluralisme et à la démocratie, sous surveillance de l’armée il est vrai.

On ne peut donc conclure qu’à un échec de ces tentatives, en termes de démocratisation. Aux phases successives du réformisme (le Tanzimat des Turcs) et du passage à l’Etat-nation, succède aujourd’hui celle de la réislamisation de sociétés sécularisées, «presque autant par l’action des pouvoirs laïques que par l’influence de la nouvelle éthique musulmane réformiste», comme en Turquie. Et le pouvoir, «fragilisé par l’émergence de sociétés civiles qui réclament de l’islam, n’en finit pas de courir après cet islam réformiste». Bref, l’islam joue lui-même la carte de la réforme. Il se privatise, il s’individualise. Mais reste rétif au pluralisme.

Pierre-Jean Luizard, Laïcités autoritaires en terres d’islam, Fayard, 274 p.

Commentaires»

1. Boutique musulmane - 28 février 2010

Boutique musulmane…

Face à cette opposition, les califes abbâsides élaborent un nouveau système politique, le sunnisme, pour qui l’ obéissance au pouvoir établi est pratiquement un devoir. Rejetant toute forme de contestation et de rebéllion, les docteurs du sunnisme reco…


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