L’incursion turque en Irak, le pouvoir civil et les militaires 17 mars 2008
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Ouest France (France), 17 mars 2008
Levent Ünsaldi *
L’avant, le pendant et l’après des huit jours d’opérations de l’armée turque contre la guérilla kurde du PKK dans le nord de l’Irak (21-29 février) fournissent d’excellents éléments de réflexion quant à la nature des rapports entre civils et militaires en Turquie.
L’avant de l’incursion. – Qui du gouvernement ou de l’armée a décidé de l’intervention ? Les hésitations qui ont précédé l’incursion en Irak en disent long sur les intérêts divergents du gouvernement AKP (Parti de la Justice et du Développement, d’obédience religieuse) et de l’armée. Celle-ci, favorable à une intervention, craignait qu’elle soit politiquement exploitée par le gouvernement. En effet, l’AKP jouait gagnant à tous les coups : en cas de réussite, il mettait en avant « la détermination de notre gouvernement à combattre le terrorisme » ; en cas d’échec, il soulignait « la responsabilité de l’autorité militaire », qu’il ne porte pas dans son cœur.
De ces observations découle le premier enseignement : la très forte dissociation, dans l’esprit des militaires entre l’État (entité sacralisée) et le gouvernement civil (instrument de gouvernance des profanes). Il faut toujours garder cette donnée à l’esprit si l’on veut saisir les rapports entre civils et militaires en Turquie.
Le « pendant » de l’incursion. – Pendant toute la durée des opérations, le Premier ministre – ô combien sensible au principe du primat du politique sur le militaire – disparaît littéralement de la circulation. Il s’en remet volontiers au chef d’état-major pour la conduite des opérations.
D’où ce second enseignement : lorsque les civils se contentent se déclarent incompétents à propos des questions, qu’ils qualifient sans discernement de techniques, l’armée livrée à elle-même s’efforce d’accroître son pouvoir dans le processus de décision.
L’après de l’incursion. – L’incursion turque au nord cède sa place à une polémique assez vive entre l’état-major et les deux principaux partis d’opposition au Parlement, à savoir le CHP (le Parti républicain du peuple, centre-gauche) et le MHP (le Parti d’action nationaliste, extrême-droite). Ceux-ci critiquent le chef d’état-major d’avoir ordonné trop rapidement le retrait sous la pression des Américains. L’état-major, quant à lui, considère ces attaques dénuées de sens et juge qu’elles « nuisent davantage à la détermination des forces armées turques que ne peuvent le faire les traîtres ».
Deux leçons à tirer :
– D’abord, contrairement à ce que l’on croit souvent, il n’y a pas d’alliance permanente entre l’armée et telle ou telle formation politique (l’armée et le CHP au nom de la défense de la laïcité, l’armée et le MHP au nom du nationalisme), mais des points de convergence partiels et momentanés.
– Le second enseignement concerne la symbolique militaire. La violence des termes employés par l’armée (traître, félon…), renvoie en fait à un penchant quasi généralisé, chez les militaires turcs qui, dès lors qu’ils se posent comme représentants exclusifs de l’idée nationale, tendent à considérer comme mauvais esprit quiconque formule des critiques à l’égard de l’armée.
– Un des principaux défis à relever en Turquie est de former un corps des officiers qui ne se croie pas au-dessus de la mêlée et ne se considère pas dépositaire exclusif du sentiment patriotique.
(*) Sociologue (IEDES/Université de Paris I). Auteur du livre Le militaire et la politique en Turquie (Harmattan, 2005).
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