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Vers l’interdiction du parti au pouvoir ? 25 mars 2008

Posted by Acturca in Turkey / Turquie.
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Libération (France), 18 mars 2008, p. 15

Marc Semo

Le procureur de la Cour de cassation turque demande l’interdiction de l’AKP, le parti au pouvoir issu du mouvement islamiste, pour « activités contraires à la laïcité ». Les onze membres de la Cour constitutionnelle ont commencé hier l’examen de l’acte d’accusation alors que les Européens appellent la justice turque « à ne pas se mêler de politique ».

Que signifie la procédure ?

« C’est un recours contre la volonté nationale », a dénoncé le Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan. C’est la première fois qu’une telle requête est lancée à l’encontre d’un parti au gouvernement. Dans les 162 pages de son réquisitoire, le procureur Abdurrahman Yalçinkaya demande aussi cinq ans d’interdiction d’activités politiques pour 71 dirigeants de l’AKP (Parti de la justice et du développement), dont le Premier ministre et le chef de l’Etat, Abdullah Gül. La Cour constitutionnelle a déjà dissous depuis 1962 quelque 24 partis, notamment des petites formations d’extrême gauche ou prokurdes, ainsi que des partis islamistes, comme le Refah (en 1998), mais seulement après que le leader de ce parti Necmettin Erbakan – qui fut le mentor d’Erdogan – eût quitté le pouvoir sous la pression de l’armée. La Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg avait en 2003 jugé cette dissolution légitime. Cette jurisprudence est rappelée dans l’acte d’accusation qui affirme : « L’AKP a été fondé par un groupe qui a tiré les leçons de la fermeture des partis islamistes antérieurs et qui cherche à utiliser la démocratie pour instaurer la charia – la loi islamique – en Turquie. » Le réquisitoire s’appuie sur des déclarations, y compris des phrases de discours extraites de leur contexte, et énumère les diverses mesures lancées par l’AKP pour islamiser peu à peu la société turque.

Pourquoi maintenant ?

Le port du foulard à l’université a été légalisé le mois dernier par les députés de l’AKP avec le soutien de l’extrême droite nationaliste. La principale force de l’opposition laïque, le CHP (Parti républicain du peuple), a aussitôt saisi la Cour constitutionnelle sur ce point. Ce parti, comme l’armée et la magistrature, estime que les principes de la République jacobine fondée par Mustafa Kemal en 1923 sont aujourd’hui en danger alors que l’AKP, au pouvoir depuis 2002, s’est encore renforcé aux élections de juillet (47,3 % des voix) et occupe les trois premières charges de l’Etat. « La dissolution d’un parti peut être une nécessité pour la défense de la démocratie et cela est prévu dans les constitutions de nombreux Etats européens », assure Onur Oymen, numéro deux du CHP évoquant le cas Batasuna en Espagne. Mais l’initiative du juge Abdurrahman Yalçinkaya suscite une réprobation quasi générale, y compris de la part d’éditorialistes peu suspects de complaisance pour l’AKP comme Ertugrul Ozkök, du quotidien Hürriyet qui se dit « inquiet qu’au XXIe siècle la pratique des interdictions de partis reste en vigueur en Turquie ». L’intelligentsia libérale est encore plus déchaînée et le quotidien Radikal titrait dimanche : « Y en a marre ! »

Quelles conséquences ?

« Cette procédure ressemble à un ultime baroud des laïcards autoritaires, qui en donnant de la laïcité cette image d’une idéologie d’Etat, font un grand cadeau à l’AKP », souligne Ahmet Insel, professeur à l’université Galatasaray. De nombreux intellectuels libéraux commençaient à prendre leurs distances avec l’AKP, dénonçant dans une pétition la lenteur des réformes et le manque d’engagement européen du gouvernement. Désormais, ils font à nouveau bloc derrière ce parti qui a beau jeu de se poser en défenseur de la démocratie et de la volonté populaire. Une fois admise la recevabilité de la plainte, la procédure va durer plusieurs mois et cette épée de Damoclès de l’interdiction restera suspendue sur l’exécutif. Les tensions politiques entre laïcs et islamistes vont nécessairement s’aggraver. D’autant que l’AKP va tenter en catastrophe des changements constitutionnels afin d’éviter la dissolution. D’où la crainte d’une instabilité politique croissante, mais aussi économique, qui inquiète les experts et les marchés.

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