Faire plus d’enfants nous éloigne de l’Europe 22 mai 2008
Posted by Acturca in Turkey / Turquie, Turkey-EU / Turquie-UE.Tags: démographie, Eyüp Can, Jacques Attali, nataliste, natalité, population, Recep Tayyip Erdogan, Turkey / Turquie
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Courrier International (France), 22 mai 2008, p. 30
Eyüp Can, Referans ( Istanbul)
La politique nataliste prônée par le Premier ministre aura des répercussions négatives sur l’économie et sur les réformes démocratiques. Mais, surtout, elle effraiera les Européens.
La démographie est une bombe à retardement pour la démocratie. » Cette phrase laconique émanant du penseur et économiste français Jacques Attali, de passage en Turquie, résonne comme une mise en garde à l’égard du Premier ministre Erdogan, qui ne rate jamais la moindre occasion de demander aux familles turques de « faire au moins trois enfants ». « Il y aura dans les prochaines années 20 millions d’habitants de plus en Turquie. Réfléchissez bien à la façon dont vous allez gérer cette augmentation et aussi à la façon dont vous allez expliquer cela à l’Europe », a ajouté Attali, qui n’a pas caché son étonnement face à l’argumentation du Premier ministre turc, qui encourage la natalité en agitant l’épouvantail du vieillissement européen. Selon Attali, sur ce sujet, la comparaison entre l’Europe et la Turquie ne tient pas. En effet, dans le contexte d’un pays comme la Turquie, qui connaît des problèmes particuliers dans le domaine de l’enseignement, de la santé et surtout de l’emploi des femmes, l’encouragement à une natalité forte n’est pas sans risque pour le développement d’une culture démocratique. Jacques Attali n’est ni opposé à l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, ni favorable à une interdiction de l’AKP [parti islamiste modéré, au pouvoir en Turquie]. Bien au contraire. Il a ainsi eu le courage d’écrire que « la croissance de l’économie française, outre le développement des technologies de la connaissance, est également liée à la perspective d’adhésion à l’UE d’un pays dynamique et disposant d’un grand marché comme la Turquie ». Cet intellectuel français estime ainsi que, dans les conditions démographiques actuelles, la Turquie est déjà en mesure de devenir une des locomotives de l’Europe.
L’obsession nataliste d’Erdogan est aussi un formidable argument pour tous ceux qui en Europe s’opposent à la Turquie et qui ne manquent jamais de rappeler que « les Turcs seront plus nombreux que les Français ou les Allemands ». Erdogan, qui doit en principe convaincre les Européens des bienfaits d’une adhésion turque, ne fait donc ainsi que jeter de l’huile sur le feu. L’insistance avec laquelle il évoque la nécessité de faire au moins trois enfants exaspère aussi particulièrement les femmes turques. Même celles qui éprouvent de la sympathie pour le Premier ministre considèrent ses déclarations comme blessantes, y voyant même un manque de délicatesse. Que ce soit au nom d’une politique de planification familiale ou pour garder une population jeune, le choix du nombre d’enfants n’a pas à être imposé !
La forte natalité de la Turquie est actuellement en train de diminuer. Dans ces conditions, nous avons trente ans devant nous pour progresser. Encourager les Turcs à « faire au moins trois enfants », sous prétexte que dans trente ans « nous aurons raté le coche », sans développer de politiques visant à améliorer la qualité de notre démocratie, de notre économie et de notre enseignement n’est franchement pas sérieux. Il semble que le Premier ministre, qui ne cesse de répéter à l’envi cette rengaine nataliste, ait contracté la phobie du vieillissement de la population. Or cette insistance ne sied pas à un Premier ministre favorable à l’amélioration des standards démocratiques et au développement économique de la Turquie.
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