La Turquie, n’a plus le statut de « rentier stratégique » des USA 23 juin 2008
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Le débat stratégique (France), N°97; Juin 2008
Par Ugur Kaya
Les relations turco-américaines Washington et Ankara ont certes traversé une crise surprenante quand en 2003, à la veille de la guerre d’Irak la Turquie refusa le passage aux troupes américaines vers Bagdad. On s’interroge aujourd’hui, sur l’attitude de la Turquie face à une montée possible de la crise iranienne. L’espace de manœuvre turc reste limité mais la Turquie, en fait a cessé d’être dépendante d’une « rente stratégique » servie par les États-Unis.
Une région d’états rentiers
Ankara a joui pendant longtemps d’un soutien en contrepartie de sa position d’alliée « de l’avant » à l’égard de la Russie et du Moyen-Orient. Mais elle est aujourd’hui trop développée économiquement et politiquement pour accepter le même niveau d’aide et de dépendance qu’auparavant. Dans une région qui abonde en « Etats rentiers », le cas turc mérite une certaine attention. L’expression d’« Etat rentier » est plutôt utilisée par les économistes.
Le concept d’Etat rentier a été développé par H. Mahdavy , pour caractériser la structure politico-économique en Iran. Avec le boom pétrolier, bien d’autres Etats rejoignent cette définition. Elle désigne plus généralement les pays jouissant d’un revenu permanent, faiblement lié aux processus de production économique nationale. Comme il est perçu directement par l’Etat, celui-ci n’est alors pas obligé de lever impôt pour conduire sa politique. Il distribue sans collecter, ce qui, à première vue, peut séduire le citoyen. Même financièrement indépendants, ces Etats ont alors tendance à être isolés de leur propre société et les revenus rentiers risquent de déformer les équilibres économiques.
L’Irak qui touchait 575 millions de dollars de rente pétrolière en 1972, encaisse plus de 12 milliards de $ en 1979 . Les « rentes » ne proviennent pas nécessairement de matières premières énergétiques ou minières : la drogue pour l’Afghanistan ou la Colombie, constituent à leur façon des rentes de monopole ; enfin les aides étrangères liées aux intérêts stratégiques des puissances, comme celles dont bénéficient la Syrie, l’Egypte, Israël ou la Turquie, peuvent être définies comme des « rentes stratégiques ».
Il s’agit moins d’une inféodation que d’une location de leur position géo-stratégique. Pour Damas, les ressources étrangères ont atteint 2 milliards de $ au début des années 1980. Sa bonne conduite pendant la première guerre du Golfe a aussi encouragé les apports occidentaux . Le Caire, qui recevait les pétro-dollars du Golfe jusqu’à Camp David, change de ‘client’ et depuis travaille avec Washington. Ces dernières années, l’Egypte touche entre 1,8 à 2 milliards de $ par an dont presque 1,2 milliards d’aide militaire .
Israël Turquie : semi autonomes
Sur le plan théorique, Israël et la Turquie posent des problèmes particuliers. Pour Israël, les aides américaines représentent un peu moins de 3 milliards de $ dont 85% sont militaires pour un PIB de 150 milliards de $ et pour un budget étatique de 57 milliards de $. Participations modestes par rapport aux royalties qui atteignent plus de 80% des revenus de certains pays pétroliers. Cependant, l’Etat d’Israël peut ainsi jouer le rôle de ‘distributeur’ de sécurité grâce à l’appui manifeste des Etats-Unis sans avoir à ‘collecter’ le vrai prix de la sécurité offerte à ses citoyens. La Turquie, elle, était devenue Etat rentier après la fin de la deuxième guerre mondiale. Dans les années cinquante, la somme des aides américaines militaires et économiques, représente 3,4% du PIB et la part proprement économique des aides couvre 83% du déficit commercial. (encore 3,2% et 80% dans les années 60). Cette décennie voit les pays européens et même l’URSS, après 1965, contribuer au soutien financier à la Turquie, cassant ainsi le monopole américain. Mais le vrai changement s’opère dans les années 70, avec l’embargo américain sur la Turquie, suivant l’opération de Chypre . La décision d’intervention prise par le gouvernement turc montre dès lors la limites du poids de la « rente » sur la politique turque et la force croissante des dynamiques internes.
Vers l’autonomie régionale ?
Avec la fin de la guerre froide, seule une aide militaire très réduite est maintenue. Parallèlement, les dons de gouvernements ou d’institutions internationales cèdent la place aux crédits privés (19% en 1985 et 67% en 2007). La Turquie se développe, ses exportations passent de 3 milliards de $ en 1980 à 120 milliards à l’heure actuelle. De surcroît, elle est aussi devenue une destination touristique pour Russes, Iraniens et Arabes, ainsi que pour leurs fonds d’investissement. Depuis la crise de 1998, les relations syro-turques s’améliorent de façon inattendue. Ankara craignait naguère qu’Israël – son allié stratégique – s’entende avec Damas avant une solution du contentieux turco-syrien. Mais la Turquie a de moins en moins besoin d’Israël.
Si les relations turco-israéliennes se rafraîchissent, ce n’est pas tant à cause de ‘l’islamisme’ que de l’autonomisme turc. De son côté, Téhéran collabore davantage avec la Turquie – contre le PKK. Malgré des protestations américaines, les deux pays ont signé des accords importants dans le domaine énergétique. Si la carotte américaine a disparu, les Etats-Unis disposent toujours du bâton. La question kurde demeure le talon d’Achille de la Turquie. Mais, il semble improbable qu’Ankara soit un bon allié en cas de conflit iranien, surtout si Washington exige de la Turquie qu’elle prenne parti.
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