Géopolitique du ballon rond 10 juillet 2008
Posted by Acturca in Russia / Russie, Turkey / Turquie.Tags: Allemagne, Espagne, EURO 2008, football, géopolitique, Pascal Boniface, Russia / Russie, Turkey / Turquie
trackback
Libération (France), 10 juillet 2008, p. 29
Pascal Boniface
L’Espagne vient de remporter de fort belle façon l’Euro 2008 de football. Meilleure attaque, meilleure défense, elle est la seule équipe invaincue du tournoi et a enchanté le public par son jeu spectaculaire porté vers l’attaque. Elle met fin à une longue période de disette de titres internationaux, le dernier remporté étant l’Euro de 1964. Et c’est une autre affaire que de voir une équipe soutenue par le roi Juan Carlos et le Premier ministre José Luis Rodríguez Zapatero, l’emportant à Vienne plutôt qu’une équipe espagnole gagnant le titre à domicile dans un championnat de quatre équipes avec le dictateur Franco siégeant dans la tribune officielle.
A l’image de son équipe de football, l’Espagne va de l’avant. C’est un pays européen ambitieux et dynamique, capable d’avoir une vision stratégique progressiste et voulant que l’Europe s’affirme comme une puissance internationale tout en étant respectueuse des autres Etats. L’Espagne est très active sur le plan diplomatique dans le domaine euroméditerranéen ou pour ce qui est du dialogue des civilisations. Elle sert de pont entre l’Europe et l’Amérique latine à l’image de son milieu défensif Marcos Senna, premier joueur d’origine latino-américaine à gagner l’Euro. Longtemps, la sélection nationale était aussi faible que les clubs espagnols (Real Madrid, FC Barcelone, Séville) étaient puissants sur la scène continentale. L’équipe espagnole a su mêler les différents apports régionaux pour avoir une équipe performante. Trois joueurs majeurs jouent à Barcelone (Carles Puyol, Xavi Hernandez, Andrés Iniesta), un quatrième y a été formé (Cesc Fabregas).
L’Allemagne comme d’habitude, sans être spectaculaire, a été puissante. Elle marque son retour en Europe tant dans le domaine footballistique que dans le domaine politique. La réunification a été enfin digérée politiquement économiquement et footbalistiquement. Le football permet à l’Allemagne de ressortir le drapeau national sans être accusée de militarisme ou de nationalisme agressif. Elle peut ainsi développer un patriotisme doux, mais mobilisateur et unificateur mêlant Allemands de l’Ouest et de l’Est qui tous soutiennent l’équipe nationale.
Mais il ne faudrait pas oublier les deux autres demi-finalistes qui ont créé la surprise. On aurait pu avoir une finale 100 % hors Union européenne si la Russie et la Turquie avaient franchi l’étape finale.
Le football russe avait disparu des paysages sportifs dans les années 90 tout comme la Russie semblait à la même époque s’effacer des écrans stratégiques. Poutine, lui-même ancien judoka a misé sur le sport pour redonner une image positive de la Russie sur le plan international et lutter contre le drame social que sont l’alcoolisme et la drogue. Afin de faire du sport, et en particulier du football un élément de cohésion nationale il a demandé aux oligarques d’investir massivement dans le football. Ceux-ci ont habilement accédé à ses demandes. Abramovitch a ainsi donné 30 millions d’euros à la fédération russe de football, et a pris en charge le salaire de l’entraîneur Gus Hiddink. Il a en outre sponsorisé le CSKA Moscou pour 45 millions d’euros. De 2003 à 2006 c’est 400 millions d’euros qui ont été investis dans le football par les grandes sociétés russes. Le Zénith Leningrad (ville dont Poutine est originaire) qui construit un stade de 60 000 places vient de gagner la coupe de l’UEFA. La Russie compte organiser la Coupe du monde 2018 ou l’Euro 2020. Bref, le message est clair : la Russie est de retour. Sur le plan international, elle se fait de nouveau respecter après les années d’humiliation et de recul stratégique avec Eltsine. Sur le plan du football, son équipe fait peur aux adversaires et séduit les amateurs de beau jeu.
Quant à la Turquie, elle a voulu répondre à ceux qui doutent que sa place soit en Europe. Le football est en avance sur la construction européenne. Et la Turquie est fière d’un bon parcours dans l’Euro. Cela donne une image positive du pays, candidat à l’Union européenne. Son jeu séduisant et généreux a séduit les spectateurs, sa demi-finale contre l’Allemagne a montré que la coopération politique entre les deux pays (l’Allemagne est le meilleur avocat de l’entrée de la Turquie en Europe) se poursuit dans les tribunes car les supporters des deux équipes ont pu fraterniser. On a d’ailleurs vu tout au long de la compétition des supporters fiers de porter le maillot national et désireux de fraterniser avec ceux de l’équipe adverse. Preuve que le football permet d’affirmer les identités nationales tout en faisant se rapprocher les peuples.
* Dernier ouvrage paru: l’Atlas du monde global, éditions Armand Colin, 2008, de Pascal Boniface avec Hubert Védrine.
Commentaires»
No comments yet — be the first.