Avec l’Union pour la Méditerranée, Sarkozy veut-il ériger la mer en frontière ? 10 juillet 2008
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L’Humanité Dimanche (France), 10 juillet 2008, p. 58
Fabien Perrier
Le « grand projet » de Nicolas Sarkozy patauge dans le petit bassin d’une vision politique étriquée : l’Union pour la Méditerranée, inaugurée le 13 juillet à Paris, se résume principalement au contrôle de l’immigration quand les peuples du pourtour méditerranéen manifestent des attentes politiques et sociales fortes. Cette Union, qui n’est qu’une refonte du processus de Barcelone lancé en 1995, ne soulève donc guère l’enthousiasme.
Le 13 juillet, les chefs d’État et de gouvernement de 44 pays sont invités à Paris au sommet inaugural de l’Union pour la Méditerranée (UPM). « Un sujet d’importance vitale pour l’Europe », selon la Commission européenne car l’espace méditerranéen est à la fois une zone de ressources maritimes et pétrolières, et un en semble où s’effectuent des échanges commerciaux et des investissements conséquents. L’UPM, cependant, ne cesse de cristalliser le débat.
À la base, cette Union doit regrouper les pays de la Méditerranée pour qu’ils travaillent ensemble, sur des « projets concrets », selon son instigateur Nicolas Sarkozy. Le président français, à la tête de l’Union européenne (UE) pour six mois (1), se serait-il vu en père fondateur de l’UPM ? Sans doute. Jusque dans le choix des mots, ses propos renvoient aux débuts de la construction européenne. Dans sa déclaration, en 1950, Robert Schuman, ce « père fondateur » affirmait : l’Europe « se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait ». Cinquante-sept ans plus tard, à Toulon, le candidat Sarkozy en campagne annonce, sous l’impulsion de son conseiller Henri Guaino, l’« initiative avec le Por- tugal, l’Espagne, l’Italie, la Grèce et Chypre, d’une Union méditerranéenne ». Au soir de son élection, il reprend le thème : « Le temps est venu de bâtir ensemble une Union méditerranéenne qui sera un trait d’union entre l’Eu- rope et l’Afrique. »
Initialement, seuls les pays riverains de la Méditerranée devaient être impliqués. Quant aux « projets concrets », ils sont conformes aux axes de sa campagne : « immigration maîtrisée », environnement, codéveloppement ou encore lutte « contre la corruption, le crime organisé et le terrorisme ». L’idée révèle plus une Eu- ro- – pe forteresse qu’une Europe prête à de véritables échanges avec son Sud. La Turquie est intégrée dans cette union, alors que l’accord d’Ankara de 1963 marquait la première des étapes vers une adhésion à l’UE.
Fidèle à sa réputation, le président a annoncé la création de l’Union méditerranéenne sans concertation avec ses voisins européens et, apparemment, sans réelle préparation. Du coup, il essuie une fin de non-recevoir et doit revoir sa copie. Les craintes principales, au sein de l’UE, sont exprimées par l’Allemagne : d’un point de vue stratégique, elles concernent un risque de division politique de l’UE, l’abandon du couple franco-allemand moteur de la construction européenne et enfin, la question turque – la communauté turque est importante outre-Rhin. À cela s’ajoutent des arguments financiers : le financement des projets était prévu sur les fonds communautaires. Or, comme l’indique une source bruxelloise, « une initiative qui n’englobe pas les 27 États membres ne peut avoir accès à ces fonds ».
Au fur et à mesure des discussions, le « père fondateur » se transforme en réformateur pour n’enfanter, finalement, qu’un rejeton du processus de Barcelone (Euromed), lancé en 1995 (lire encadré page ci-contre). Le coup de grâce est donné en mars dernier lors d’une conférence de presse con- jointe avec la chancelière allemande. Angela Merkel déclare : « En ce qui con- cerne la coopération entre l’Union européenne et la Méditerranée, nous voulions faire évoluer le processus de Barcelone et lui donner une nouvelle dimension. Cela s’appellera Union pour la Méditerranée, ce sera un projet des 27 États membres de l’Union européenne naturel- le- ment. » Exit, donc, le projet centré sur les pays ayant une frontière méditerranéenne, dans lequel la France jouait le rôle central.
L’accord final, qui date de mai dernier, donne la mesure de l’évolution. Il regroupe les 39 pays d’Euro-med (lire encadré page ci-contre), ainsi que quatre pays riverains : la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, le Montenegro et la Principauté de Monaco. Au niveau des institutions, cette UPM devrait être coprésidée par un pays de l’UE et un de la zone méditerranéenne et être doté d’un secrétariat général qui assure le suivi des projets. Elle fonctionnera selon le principe des « projets concrets ». Sont ainsi proposés le développement d’infrastructures comme des « autoroutes de la mer » ou l’interconnexion de l’autoroute du Maghreb arabe (connexion des réseaux routiers nationaux à une autoroute traversant le Maghreb), la dépollution de la Méditerranée ou le plan solaire Méditerranée (promotion de l’énergie solaire).
C’est à Paris, le 13 juillet, que les nombreuses questions qui fâchent devaient être tranchées. Encore faudrait-il que les invités participent à la grand-messe prévue. Or, comme l’indique Didier Billion, de l’IRIS (2), « ce projet se construit sans enthousiasme ni sur la rive sud, ni sur la rive nord. Il n’arrive pas à enclencher une dynamique. » La Libye a d’ores et déjà fait savoir son refus d’être présente. Le colonel Kadhafi voit dans l’UPM un risque pour « l’unité arabe ou africaine ». L’Algérie n’a donné sa réponse qu’au dernier moment, car de trop nombreux flous résideraient dans le projet. La Turquie qui y voit une menace pour son intégration à l’UE y participera probablement malgré tout. Du côté des dirigeants arabes, la normalisation des relations avec Israël suscite aussi des craintes. Car le conflit au Proche-Orient est le grand absent du processus de Barcelone renouvelé. Et l’UE se garde bien d’adopter une position tranchée vis-à-vis d’Israël.
D’autre part, alors que les attentes politiques sont fortes sur le versant sud de la Méditerranée, en matière de respect des droits de l’homme, de démocratie ou d’aide au développement, les projets en discussion confirment que l’ambition politique de la rive nord renvoie d’abord au contrôle des frontières et à l’« immigration choisie ». Certes, ils intègrent le défi environnemental, mais ignorent les préoccupations sociales.
Enfin, le financement des projets n’est abondé d’aucun fonds nouveau. Quatre sources devraient leur permettre de voir le jour : les fonds communautaires, les institutions financières internationales, les États membres pour les coopérations bilatérales et l’appel à des financements privés. Alors que les privatisations sont encouragées dans les pays concernés, les projets retenus répondront-ils aux besoins collectifs quand la manne essentielle de financement relève de la sphère privée (banques, etc.) ?
Au final, le projet d’Union est devenu une union de projets dont le succès est hypothétiqué par le conflit israëlo-palestinien, les rivalités entre pays et la prédominance de l’économique sur le politique. Peut-être celui qui se voyait « père fondateur » au XXIe siècle a-t-il oublié quelques détails essentiels : rien ne se fait sans l’accord préalable des partenaires et, surtout, l’Europe n’a pu s’unir que parce que la paix était déjà actée entre la France et l’Allemagne. Or, il n’y a toujours pas d’État palestinien.
(1) Voir l’« HD » daté du 26 juin.
(2) Didier Billion est directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Il a notamment publié : « Proche-Orient, Moyen-Orient et Maghreb : entre accroissement des tensions et initiatives diplomatiques ». L’Année stratégique – 2008. IRIS-Dalloz.
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