La casse tête turc de l’Europe 16 juillet 2008
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Bakchich (France), 16 juillet 2008
Marc Duchanteau
Jours tranquilles à Istanbul. La justice turque accuse 86 personnes de tentative de coup d’Etat, la Cour constitutionnelle veut interdire le parti au pouvoir. Et au milieu de ce joli foutoir, la France, présidente éphémère de l’Europe doit gérer le cas turc, et ses velléités pro-européennes. Un casse tête diplomatique pour le Quai d’Orsay, qui planche sur divers scenarii.
La Cour constitutionnelle turque envisage ni plus ni moins d’interdire le Parti de la justice et du développement (PJD) et de condamner ses principaux membres, notamment le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan suite à la mise en cause pour inconstitutionnalité, le 5 juin 2008, de l’amendement sur la libéralisation du port du voile dans les universités, proposition formulée en février par le chef du gouvernement. Une situation de crise se profile donc à court terme à Ankara.
Les islamistes de l’AKP sont avant tout des modernistes qui ont beaucoup investi à l’ouest du pays et globalement maîtrisé « la cause kurde » en favorisant la construction d’écoles et de dispensaires. Farouches partisans de l’intégration européenne, ils représentent une force de progrès et non une base arrière d’Al Qaïda.
« L’affaire du voile turc » tient donc plus du prétexte et pourrait être comparée, avec humour, à l’interdiction par les autorités françaises du port du fichu par les jeunes femmes corses. Cette image montre la fragilité de l’argumentation du Parti républicain du peuple (CHP), les durs du parti kémaliste (du nom de Mustapha Kemal, le père de la Turquie moderne, viscéralement laïc), souhaitant une application stricte de l’article 2 de la Constitution qui évoque les aspects intouchables et non amendables de la loi fondamentale ; la laïcité de la République est l’un d’entre eux. Le Président Abdullah Gul échapperait, quant à lui, à toutes sanctions bien qu’ayant l’étiquette AKP. Il est vrai que son autorité est bien faible et que les rênes du pouvoir sont tenues par Erdogan, qui devient finalement l’homme à abattre pour les Kémalistes.
Le Quai d’Orsay embarrassé
Le cabinet du ministre français des Affaires étrangères a sorti sa boule de cristal pour évaluer le scénario le plus plausible et permettre au Président de la République d’adapter ses discours une fois la décision prise par la Cour constitutionnelle. Un point d’autant plus important que le chef de l’État français préside l’Union Européenne et que les diplomates savent combien il sera difficile de faire parler d’une même voix les membres de l’UE. Les Allemands ont déjà une position tranchée, plutôt favorable à l’AKP…
Selon des membres du Quai d’Orsay, la décision prise par la Cour constitutionnelle, le 5 juin dernier sur l’amendement sur la libéralisation du port du voile dans les universités, donne un avant-goût de celle qu’elle pourrait prendre à l’encontre de l’AKP, en l’espèce son interdiction. Toujours selon le Quai, elle devrait être prise dans les prochaines semaines et, en tout cas, avant l’automne. Elle serait finalement relative puisqu’elle ne devrait pas s’accompagner d’une interdiction de poursuivre une activité politique des 71 membres visés par la procédure et ne toucherait donc pas le Président Gul ou son Premier ministre Erdogan. Ceci laisserait la porte ouverte à la création d’un nouveau parti politique que conduirait l’actuel chef du gouvernement.
Les différents scénarii du Quai d’Orsay
Les Kémalistes ont pourtant un objectif : écarter le Premier ministre qui, par sa forte personnalité, a su rassembler des courants politiques différents, voire opposés. Pour cette raison, il n’est pas à exclure un durcissement de la position de la Cour qui pourrait interdire pour une durée de 5 ans l’exercice d’un mandat pour tout ou partie des membres de l’AKP tout en laissant, pour un temps, la magistrature suprême à Abdullah Gul, le président turc. À n’en pas douter, une telle éventualité bouleverserait le paysage politique local.
La Cour constitutionnelle pourrait être plus clémente qu’il n’y paraît en première lecture. Dans les semaines à venir, elle n’interdirait pas l’AKP et se contenterait de formuler des recommandations. La démarche juridique serait un avertissement fait au pouvoir en place, lui faisant clairement comprendre qu’il n’avait pas intérêt à poser, à l’avenir, de nouveaux amendements visant à modifier la constitution. Les attendus de son jugement pourraient clairement expliciter cette position. L’AKP devrait désormais s’aligner scrupuleusement sur les textes fondamentaux.
Cette position, même si elle est jugée peu crédible par les autorités françaises, a été rapportée à Ankara dans les différents milieux diplomatiques européens. Même si des variantes juridiques peuvent compléter cette analyse, notamment une interdiction d’exercer la vie politique pour quelques députés, dont le Premier ministre Erdogan, sans interdire l’AKP, un constitutionnaliste turc, proche du dossier, maintient qu’il faut s’attendre à une position modérée de la Cour.
Un signal fort pour l’Europe
Cette affaire de voile risque d’avoir une incidence importante sur l’évolution des négociations entre l’Union Européenne et la Turquie. Recep Tayyip Erdogan est un européen convaincu. Cette prise de position ne satisfait pas tous ses compatriotes, notamment les durs du Kémalisme. Par ailleurs, il y a une donnée qu’il ne faut pas écarter de l’analyse : les trois quarts de la population turque sont sunnites et le quart restant alévis, mouvement religieux proche du chiisme. En d’autres termes, il est difficile de craindre une évolution de type iranien et très relatif de s’inquiéter d’une déviance à la saoudienne.
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