Vers une première visite d’un président turc en Arménie ?

Agence France Presse, 3 septembre 2008

Burak Akinci

Le président turc Abdullah Gül devrait se rendre samedi en Arménie voisine pour assister à un match de football, à l’invitation de son homologue arménien Serge Sarkissian, ce qui marquerait un tournant dans les difficiles relations turco-arméniennes.

Invité en août par le président Sarkissian à assister au match Arménie-Turquie de qualification pour le Mondial 2010 de football, M. Gül entretient officiellement toujours le doute sur sa venue.

Ses services refusent de commenter l’information, mais pour les médias turcs, la décision est prise: M. Gül ira en Arménie.

Une telle visite serait la première dans l’histoire des relations entre l’Arménie et la Turquie, qui n’entretiennent pas de rapports diplomatiques en raison de leur profond différend sur le caractère génocidaire des massacres d’Arméniens sous l’empire ottoman au début du XXème siècle.

Les préparatifs du déplacement –qui ne devrait durer que quelques heures– sont en cours, a-t-on précisé de source diplomatique. Le sous-secrétaire d’Etat au Affaires étrangères, l’ambassadeur Ünal Ceviköz, accompagné de diplomates, doit se rendre mercredi à Erevan pour mettre la dernière touche au voyage.

Des agents des services de sécurité turcs sont déjà allés sur place pour étudier avec leurs collègues arméniens les mesures de sécurité en cas de possibles manifestations de protestations.

La Turquie a refusé l’établissement de relations diplomatiques depuis que l’Arménie, ex-république soviétique, est devenue indépendante en 1991, essentiellement en raison des efforts d’Erevan, soutenu par la diaspora, pour obtenir la reconnaissance des événements de 1915-1917 comme un génocide.

La Turquie rejette catégoriquement le qualificatif de génocide et fait valoir que 300.000 Arméniens et au moins autant de Turcs sont morts dans des combats après que les Arméniens eurent pris les armes en vue de la création d’un Etat arménien indépendant.

Ankara soutient d’autre part les turcophones azéris dans le conflit du Haut-Karabagh, qui oppose l’Arménie à l’Azerbaïdjan, et a fermé sa frontière en 1993 avec l’Arménie.

De timides signes de réchauffement sont apparus avec la confirmation de discussions secrètes entre les deux parties en Suisse. Mais quant à la question, centrale, de la reconnaissance d’un génocide qui a fait 1,5 million de morts selon les Arméniens, les lignes ne semblent pas bouger.

En 2005, le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan avait un fait premier pas en proposant que les deux Etats installent une commission mixte d’historiens et s’en remettent à ses conclusions. Erevan a rejeté cette idée.

Le parti gouvernemental de M. Erdogan, l’AKP, a annoncé mardi qu’aucun de ses députés ne se rendra à Erevan, vraisemblablement pour ne pas donner un caractère politique au voyage du président alors que l’opposition parlementaire et les milieux nationalistes y sont farouchement opposés.

« Moi j’aurai préféré me rendre à Bakou pour un match et non à Erevan », a sèchement déclaré le chef de l’opposition Deniz Baykal.

« La constitution arménienne est fondée sur des revendications territoriales de l’est de la Turquie (…). Comment un président turc peut-il visiter ce pays? », s’est de son côté demandé le professeur Mustafa Ünal de la faculté de sciences politique d’Ankara.

L’influente organisation patronale, Tüsiad, voit cependant dans un voyage présidentiel l’opportunité pour Ankara de promouvoir son idée de créer une platefome caucasienne afin de prévenir les conflits comme celui survenu en Géorgie.

Et sur le plan sportif, le sélectionneur turc Fatih Terim, a espéré mardi que la rencontre de samedi puisse contribuer à la normalisation des liens. Les Turcs iront à Erevan « pour jouer un match et non pour la guerre », a-t-il souligné.