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Le droit des travailleurs s’abîme en Prada 12 mars 2009

Posted by Acturca in Economy / Economie, Turkey / Turquie.
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Libération (France), 12 mars 2009, p. 17

Dominique Manotti

Ouvrière chez un sous-traitant en maroquinerie, Emine Arslan a été licenciée pour s’être syndiquée.

Emine Arslan est une femme turque de 44 ans, mariée, mère de quatre enfants, dont la silhouette trapue et le foulard islamique surprennent les passants de l’avenue Montaigne en ce samedi 7 mars. Depuis huit ans, elle est ouvrière à l’usine Desa d’Istanbul (550 salariés), qui produit de la maroquinerie en sous-traitance pour de grandes marques européennes de prêt-à-porter : Prada, Mulberry, El Corte Inglés…

Emine a été une ouvrière modèle. Entrée à l’usine en 1999, d’abord au noir pendant dix mois, elle est embauchée en 2000. Les ouvrières manient à mains nues des solvants, des produits chimiques, sans aération et sans masque. Les journées sont longues, près de quatorze heures. Et quand il y a un coup de bourre, elles restent parfois trente-six heures d’affilée à leur poste, avec juste un petit temps de sommeil allongées sous la machine, à même le sol. Le tout pour 240 euros par mois, 400 euros si le patron n’oublie pas de payer les heures sup, ce qui arrive.

En Turquie, la durée hebdomadaire du travail est de quarante-cinq heures et le salaire minimum de 305 euros, mais qui respecte la législation ? Pendant huit ans, Emine a été considérée comme une excellente ouvrière. Et puis, le 1er juillet 2008, elle s’est syndiquée, au syndicat des travailleurs du cuir de la centrale Turk Is, et a incité ses camarades à en faire autant. Dans la journée, elle a reçu deux avertissements pour négligence et elle a été licenciée.

Plainte. Soutenue par son syndicat et son mari, elle s’installe alors dans la rue, devant l’usine, elle y restera jusqu’à sa réintégration puisque la Constitution turque lui reconnaît le droit de se syndiquer. Et la presse nationale l’affiche en première page. La réaction du patron est violente. Il lance à ses ouvriers : « Cette usine existe depuis trente-cinq ans. Il n’y a jamais eu de syndicat et il n’y en aura jamais. » Puis Emine et son syndicat saisissent la justice. Là, le patron s’inquiète. Il propose à Emine 8 000, puis 15 000 euros pour qu’elle retire sa plainte et déclare avoir été utilisée par le syndicat. Emine refuse. « J’ai une responsabilité vis-à-vis de mes amies à l’intérieur de l’usine », dit-elle. Nouvelle tactique, deux avocats viennent voir Emine et lui disent qu’elle se met en danger, elle et sa famille. Quelques jours plus tard, sa fille de 11 ans est victime d’une tentative d’enlèvement. Simulacre ou réalité ? La gamine est traumatisée. Mais Emine reste devant l’usine. Sept autres ouvrières de Desa Istanbul sont licenciées.

Parce que son cas soulève un écho considérable en Turquie, la Confédération européenne des syndicats, la Fédération internationale des travailleurs du cuir et des ONG, regroupées dans Peuples solidaires, décident de reprendre l’affaire et de se tourner vers les donneurs d’ordre européens de Desa, pour qu’ils obtiennent de leurs sous-traitants le respect des droits des travailleurs. Et d’abord Prada, qui affiche une « charte de bonne conduite » pour ses sous-traitants, et déclare qu’il « n’hésitera pas à intervenir auprès de Desa si les autorités turques lui font connaître des violations du droit ».

Audits. Entre alors en scène la Llyods Register Quality Assurance (LRQA), chargée de réaliser des audits sur le respect des droits sociaux dans les entreprises à la demande des patrons. Un secteur nouveau, promis à un bel avenir, à peu près aussi fiable que les agences de notation en Bourse. La LRQA fait vite savoir qu’elle n’a trouvé « aucune irrégularité dans Desa ». Prada estime alors « avoir pris toutes les initiatives pour être sûr que tout se passe bien à Desa ». Le 20 janvier, la plainte d’Emine, à laquelle se sont jointes les sept autres ouvrières licenciées, est examinée par le tribunal d’Istanbul, qui conclut à des licenciements abusifs et condamne l’entreprise à payer les salaires et à réintégrer les ouvrières. Mais Prada ne fait pas pression sur Desa, dont le patron fait appel de la décision et ne réintègre personne. Emine entreprend alors une tournée des donneurs d’ordre européens, avec une syndicaliste et une militante. Elles étaient à Paris le 7 mars, devant la boutique Prada de l’avenue Montaigne, réunies par Peuples solidaires. Il n’y avait qu’une trentaine de personnes autour d’Emine, pas assez pour faire bouger Prada.

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