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Les drôles de notes du concours de l’Eurovision 1 Mai 2009

Posted by Acturca in Art-Culture, Economy / Economie, France, South East Europe / Europe du Sud-Est.
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L´Expansion (France), 1 mai 2009, p. 74-75

Sébastien Julian

La mélodie, le look, la voix… Bien sûr, tout cela compte pour remporter le plus grand télé-crochet européen. Mais des statisticiens prouvent que des critères moins artistiques ont aussi leur importance.

Depuis des décennies, l’Eurovision est l’événement télé et grand public du printemps, et, plus récemment, c’est devenu le terrain de jeu d’économistes et de statisticiens. Plus de trois heures de spectacle, des artistes venus des quatre coins de l’Europe et 160 millions de téléspectateurs qui votent en direct pour leur chanteur préféré. Myriam fait partie des fans. Pour cette jeune mère de famille, pas question de rater son rendez-vous annuel avec la pop britannique, l’électro-sirtaki grec ou le disco roumain : « L’Eurovision fait partie des incontournables, au même titre que l’élection de Miss France ou le concert des Enfoirés. » Cette année, le 16 mai, Myriam n’aura d’yeux que pour Patricia Kaas, la candidate choisie pour représenter la France. Mais elle ne se fait pourtant aucune illusion sur le résultat du concours. « Même s’il a lieu à Moscou, dans un pays où Patricia Kaas est très populaire, la France, une fois de plus, sera dans le bas du tableau. Ce sont toujours les pays de l’Est qui gagnent ! » Réaction de dépit et de mauvaise foi ? Pas si sûr.

Effectivement, cinq des six pays les mieux notés en finale depuis 2004 sont des pays de l’Est : l’Ukraine, la Russie, la Serbie, la Turquie et la Bosnie. A eux seuls, ces cinq pays concentrent un tiers des points distribués par le public dans la période récente. Certes, la Grèce reste le pays le plus favorisé, avec 967 points cumulés depuis 2004. Mais les membres fondateurs du concours qui y participent encore (Allemagne, France, Pays-Bas, Suisse, Belgique), et plus généralement les pays d’Europe de l’Ouest, se « disputent » les dernières places. La France n’a reçu que 122 points au cours de ses cinq dernières participations. Le Royaume-Uni fait pis avec 105 points. La Belgique et les Pays-Bas ont reçu, à eux deux, moins de 20 points depuis 2004 ! Ce nouveau mur entre l’Est et l’Ouest s’est bâti si vite qu’il a fini par attirer l’attention des économistes et des statisticiens.

Derek Gatherer, chercheur à l’université de Glasgow, s’est penché sur le sujet au début des années 2000. « A l’époque, mes collègues français, espagnols et britanniques trouvaient les résultats des votes de plus en plus bizarres, alors j’ai créé un modèle pour vérifier. » Très vite, les travaux de Derek Gatherer donnent raison à ses confrères : la plupart des votes observés le soir de l’Eurovision avaient une très faible probabilité de se produire : entre 1 et 5 %. L’explication ne tarde pas à venir : certains pays ont une préférence très marquée – et souvent réciproque – pour d’autres. La Biélorussie, par exemple, donne systématiquement 12 points (la meilleure note) à la Russie depuis 2004. La Grèce et Chypre s’offrent 12 points chaque année. La Croatie récompense toujours généreusement la Bosnie. Et inversement. La France, elle aussi, a ses préférences : elle donne à chaque fois des notes très élevées à l’Arménie et à la Turquie. « Aujourd’hui, le tiers des votes est parfaitement prévisible », affirme Derek Gatherer. Du coup, grâce à ses équations, il a pu prédire la victoire de la Serbie en 2007 avec plusieurs mois d’avance.

Londres puni pour la guerre en Irak

Le concours de l’Eurovision est-il donc joué d’avance, voire manipulé ? « Attention aux amalgames », tempère Farid Toubal, économiste à l’université Paris I. « Les échanges de votes lors de l’Eurovision reflètent en partie la proximité culturelle entre tel ou tel pays. Cela n’a rien d’anormal, puisque la proximité culturelle explique aussi une partie des échanges commerciaux. » Mais, plus ennuyeux, les études économétriques mettent aussi en évidence un « vote politique ». « Les échanges de votes entre les pays Baltes (Estonie, Lettonie et Lituanie) restent anormalement forts, même une fois corrigés des effets culturels », confirme Laura Spierdijk, économiste de l’université de Twente, aux Pays-Bas. Parfois, les humeurs politiques sont telles qu’il n’y a pas besoin d’études pour les mesurer. Ainsi, la Grande-Bretagne, alors fraîchement entrée dans le conflit irakien, n’a marqué aucun point lors de la finale 2003 ! Et en 2005, en plein débat sur la directive européenne dite Bolkestein, censée attirer chez nous les plombiers polonais, la France n’a reçu que 11 points. « Deux arènes coexistent lors de l’Eurovision », conclut Derek Gatherer : l’une musicale, l’autre politique. Pour compliquer le tout, la religion joue aussi un rôle : l’Irlande (catholique) et Chypre (orthodoxe) offrent plus de points aux pays qui partagent la même religion, constate Laura Spierdijk.

Finalement, une question se pose : les notes reflètent-elles encore la qualité de la chanson ? Oui, rassure Victor Ginsburgh, professeur à l’Université libre de Bruxelles. D’après ses calculs, le rôle de la qualité dans la note finale est dix à quinze fois plus important que celui des variables culturelles ou de la langue. Mais tous les économistes ne sont pas aussi affirmatifs.

Le retour d’un jury deprofessionnels

Dans le doute, l’Union européenne de radio-télévision, l’organisateur de l’Eurovision, vient de modifier le règlement. Cette année, le public ne comptera que pour moitié dans la note finale. L’autre moitié sera laissée à l’appréciation d’un jury de professionnels. La France, dont la dernière victoire est celle de Marie Myriam, en 1977, va-t-elle en profiter ? Pas sûr. « Certes, avec la présidence française de l’Union européenne, nous nous sommes replacés. Mais les chanteurs utilisant la langue de leur pays sont généralement désavantagés, explique Farid Toubal. Même si Patricia Kaas fait un bon score à l’Est, ses chances sont donc réduites. » Pour Derek Gatherer, c’est l’Arménie qui remportera le concours. On saura le 16 mai s’il voit juste.

Une supériorité écrasante des Pays de l’Est

Total des points reçus lors des finales du concours de l’Eurovision de 2004 à 2008 L’ouest du continent, à l’exception – et encore – de l’Espagne, fait pâle figure à l’Eurovision depuis cinq ans. La qualité des artistes présentés n’est pas la seule explication : les pays de l’Est font preuve d’une solidarité qui leur assure un avantage souvent décisif.

Une compétition à l’échelle du continent

160 millions. C’est le nombre de téléspectateurs qui suivent le programme sur le Vieux Continent.

8,8 millions. C’est la quantité d’appels téléphoniques et de SMS reçus lors de la finale 2008. Un chiffre en hausse de 22 % par rapport à 2004.

450 000 euros. C’est le montant de la dotation française à l’Eurovision. Membre fondateur du concours, la France fait partie des trois plus gros contributeurs.

30 000 à 40 000 euros. Ce sont les recettes générées par les appels téléphoniques en France. France Télévisions perçoit 25 % de cette somme.

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