Portes de la Corne-d’Or 2 juillet 2009
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Libération (France), 2 juillet 2009, p. 6
Marc Semo
Histoire. Deux ouvrages éclairent cinq siècles de relations complexes entre l’Occident et la Turquie.
Jean-François Solnon, Le Turban et la Stambouline, Perrin 626 pp., 26,50 euros.
Daniel Panzac, La Marine ottomane, CNRS éditions, 520 pp. 39 euros.
Il y eut longtemps l’image du Turc adepte d’une religion abhorrée, sauvage par nature et irréductible ennemi de l’Europe chrétienne. Ce rejet fut pourtant toujours mêlé de fascination pour la splendeur ottomane. « Le Turc est l’infidèle, mais il est ouvert à la tolérance religieuse ; il est le barbare mais aussi le créateur d’une civilisation raffinée ; il est l’esclave de son maître mais membre d’une société où le mérite prime sur la naissance », écrit Jean-François Solnon dans un livre qui dresse avec une grande finesse le tableau de cinq siècles de rapports ambivalents entre l’Occident et les sujets du sultan. Des relations complexes qui ne furent pas seulement celles des armes. L’évocation des influences mutuelles et d’une histoire commune est pour le moins salutaire alors que s’enflamme le débat sur l’identité européenne de la Turquie. Historien connu pour ses travaux sur la cour de France du XVIe au XVIIIe siècle, ce professeur à l’université de Franche-Comté ne veut pas faire une énième histoire de l’Empire ottoman mais raconter comment l’Europe a regardé les Turcs. Et comment les élites ottomanes ont considéré l’Europe, en s’ouvrant de plus en plus à l’Occident alors que commençait le déclin de l’empire.
Moule de Byzance. La prise de Constantinople, « la seconde Rome », par Mehmed II en 1453 fut un choc pour toute la chrétienté. Certes, la poussée ottomane vers l’Europe avait commencé un siècle plus tôt dans les Balkans et la prise de Byzance n’était que le moment le plus fracassant de cette inexorable marche vers l’ouest. Mais, dès lors, il devient impossible d’ignorer que la Sublime Porte représente un acteur majeur de la scène européenne. Les chroniqueurs de l’époque racontèrent l’horreur de massacres dans la capitale conquise, alimentant les premiers et durables clichés sur la sauvagerie des « enturbannés ». La réalité fut beaucoup plus complexe. Si Sainte-Sophie fut transformée en mosquée, nombre d’autres églises demeurèrent telles et Mehmed II rétablit un nouveau patriarche œcuménique.
Chrétiens raflés. D’entrée de jeu, le sultan se coula dans le moule de Byzance. Fasciné par le monde gréco-romain, il se faisait traduire de nombreux livres et n’hésita pas non plus à braver les interdits de l’islam pour se faire dresser le portrait par le peintre vénitien Gentile Bellini. Peu après la chute de Constantinople, Venise renouait ses liens afin de garder ses routes commerciales vers le Levant. Mais la Sérénissime est aussi la première victime de l’expansion ottomane en Méditerranée.
Moins d’un siècle plus tard François Ier lance une alliance de revers avec Soliman contre les Habsbourg. On hurle à la trahison et une flotte franco-barbaresque attaque même Nice sans succès en 1543. Lors du siège turc de Vienne en 1683, la France fut accusée – à tort – d’avoir encouragé le sultan. Dictée par une évidence stratégique, l’alliance franco-turque continuera avec des hauts et bas jusqu’à la fin du XIXe siècle quand Paris fut supplanté par Berlin.
L’Empire ottoman fascine aussi parce qu’il fut le premier Etat moderne. « C’est une armée qui a créé un Etat », aime à rappeler Solnon. Il n’y a pas véritablement de noblesse héréditaire. Les hauts cadres de l’armée ou de l’administration sont le plus souvent des jeunes chrétiens raflés dans les Balkans et convertis à l’islam. Les plus brillants font de fulgurantes carrières. Sur les quarante-sept grands vizirs qui ont dirigé l’empire entre 1453 et 1623, seuls cinq furent d’origine turque.
Il en était de même dans les harems. « L’empire ottoman offrait ainsi la forme paradoxale d’un Etat où les souverains, descendant d’Osman par leur père – et donc de souche turque -, étaient presque tous des fils de mères esclaves, nées chrétiennes », souligne Solnon.
Considéré longtemps comme une terre de conquête, l’Occident ne commença à fasciner vraiment les Turcs qu’après les premières grandes défaites du XVIIIe siècle. Pourquoi les armées ottomanes ne sont plus invincibles ? Pour les uns, la cause en est la décadence des mœurs et l’oubli de l’islam comme de la tradition. Pour les autres au contraire, il faut savoir s’inspirer de l’Occident et combler le retard. Ce conflit entre conservateurs et modernistes qui furent à l’origine des réformes ottomanes du XIXe a duré jusqu’à la création de la République après la Première Guerre mondiale. Mais même avant, il y eut toujours une fascination turque pour les nouveautés techniques occidentales.
Mercenaires. L’histoire de la marine ottomane est l’expression même de cette adaptabilité et de cette fascination pour la technique occidentale, qui amena jadis le sultan à inviter sans succès Léonard de Vinci puis Michel-Ange pour un pont sur la Corne-d’Or. C’est ce que montre très bien la passionnante monographie de Daniel Panzac. Cavaliers venus d’Asie Centrale, les Turcs ignoraient la mer. Créée pour la prise de Constantinople, leur marine fit toujours appel aux techniques, aux artisans, aux marins des pays conquis, grecs en premier lieu, ou à des mercenaires. Elle n’en resta pas moins longtemps, y compris après la défaite de Lépante en 1571, la plus puissante en Méditerranée.
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