Istanbul, une vraie européenne 9 juillet 2009
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Paris Match (France), Jeudi 9 Juillet 2009
Gilles Martin-Chauffier
Cette semaine démarre la Saison turque en France. L’occasion de découvrir une ville très occidentale. Faire l’Europe sans cette cité, c’est comme imaginer l’Italie sans Rome.
Dire que les Turcs ont adoré la France ! Toute l’élite gouvernementale, formée au prestigieux lycée de Galatasaray, parlait un français parfait. Pendant des générations, les privilégiés d’Ankara et d’Istanbul répétaient tous : « J’ai deux amours, mon pays et Paris. » On n’en est plus là. Entre eux et nous, désormais, même les gestes d’amitié provoquent des écorchures. Ainsi de la Saison de la Turquie qui s’ouvre le 1er juillet. A force de tenir le rôle de l’opposante la plus bruyante à l’entrée des Turcs dans l’Union européenne, la France a déjà gâché le début de la fête. Beaubourg a refusé d’exposer les artistes turcs qui n’auraient intéressé personne ! Le Salon du livre a renoncé à choisir la Turquie comme invité d’honneur en 2010. Et, naturellement, pendant les mois de campagne électorale pour les élections européennes, Ankara a eu le bonheur d’entendre chaque matin toutes les stars de la politique française prendre leurs distances avec ces fameux Ottomans aux impitoyables griffes islamiques, prêts à bondir sur la paisible et prospère petite Europe. Résultat : le Premier ministre turc, Recep Erdogan, a signifié son exaspération et le président, Abdullah Gül, a décommandé sa venue. Quel gâchis ! D’abord parce que la France ne fait pas la loi dans le monde et se montre inutilement odieuse alors que 21 pays de l’Union sur 27 sont favorables à l’inévitable entrée de la Turquie en Europe. Ensuite parce qu’il est absolument navrant que des esprits responsables songent sérieusement à bâtir l’Europe sans la capitale qui l’a conçue et, pendant des siècles, personnifiée : Istanbul, alors appelée Constantinople.
De l’an 500 à l’an 1000, alors que les ténèbres brumeuses du Moyen Age noyaient l’Europe occidentale dans le chaos, la misère et l’ignorance, une ville des Mille et Une Nuits scintillait à l’est et rappelait aux survivants de l’Empire romain que la civilisation pouvait être un enchantement. C’est là que toute notre philosophie morale et politique est née du mariage entre le droit romain, la philosophie grecque et la religion juive. Faire l’Europe sans cette cité, c’est comme imaginer l’Italie sans Rome. La Turquie est reliée à l’Europe par bien plus que par deux ponts. Et cela ne s’est pas arrêté en 1453 à la chute de Constantinople. L’Europe ne se résume pas à Paris, Londres et Madrid et le pouvoir des sultans s’est exercé pendant des siècles encore sur les Balkans. Et ne croyez pas ceux qui parlent de cette occupation comme d’un esclavage. La babouche ottomane était cent fois plus débonnaire que la botte russe ou autrichienne. Du reste, c’est à Istanbul que les réfugiés politiques ou les victimes juives de pogroms se réfugièrent entre 1500 et 1900 – et non l’inverse.
Si de grands crimes ont été commis, en particulier contre les Arméniens, on ne bâtit pas l’Histoire en entretenant de vieilles peurs, mais en attisant de nouveaux espoirs. Or Istanbul, plus que jamais, fait rêver et c’est pourquoi nous donnons la parole à ses habitantes. Méfiez-vous de ceux qui dégustent leurs préjugés comme un bébé tète le sein et ne prenez pas ces femmes pour des aliens sorties du paradis bobo des quartiers huppés de la Ville des villes. Des personnes comme celles que nous avons rencontrées, il y en a des millions, d’Ankara à Izmir et d’Istanbul à Antalya. Dites-vous que chaque Turc regarde la télé cinq à six heures par jour, qu’il existe une centaine de chaînes et qu’en comparaison les programmes de Berlusconi ont l’air conçus par un patronage. Loin d’être à Riyad, on est dans une Europe moderne et délurée. Il n’y a pas plus de femmes voilées qu’en 1980, mais elles sortent de chez elles, mènent une vie sociale, ont des emplois et galopent dans la ville sur leurs escarpins Sergio Rossi. Bien sûr, elles sont les premières déçues de l’Europe. Il y a vingt ans, elles pensaient que le jour de leur entrée dans la fameuse Communauté, elles deviendraient toutes blondes, avec un bon job et de vraies discussions d’intellectuelles. A présent, elles ont compris que ce que Paris offre du bout des doigts à leur islam light, c’est le banc des remplaçants, la deuxième division et le purgatoire éternel. Elles n’en peuvent plus d’entendre leur pays résumé à sa religion. Et n’en peuvent plus de voir celle-ci résumée à des préjugés. Le voile n’est pas une baguette magique, il ne métamorphose pas celles qui le retirent en majorettes émancipées folles d’Europe et ne transforme pas celles qui le portent en mahominettes droguées au djihad. Les femmes turques sont lasses d’être jugées « par catégorie ». Elles se demandent pourquoi leur entrée dans une communauté de 400 millions d’habitants métamorphoserait l’âme de celle-ci. Il y a 6 millions de musulmans en France et l’hippodrome d’Auteuil n’organise toujours pas de courses de chameaux.
Heureusement, elles ont de l’humour et font confiance au temps. Les paroles blessantes et les fanfaronnades péremptoires sont comme l’eau : elles ne se ramassent pas. Mais elles s’évaporent.
C’est Byzance !
Le 1er juillet s’ouvre enfin la Saison de la Turquie en France, initiée par Jacques Chirac avant la fin de son mandat. Neuf mois de manifestations et de rencontres sont prévus. Au programme, littérature, musique, théâtre, cinéma, peinture, histoire, éducation et même économie. A voir notamment, l’exposition « Istanbul, traversée » au Palais des beaux-arts de Lille, jusqu’au 27 juillet : des artistes stambouliotes y racontent leur ville d’origine ou d’adoption. Autre temps fort, l’exposition au Grand Palais, « De Byzance à Istanbul. Un port pour deux continents », du 10 octobre au 25 janvier 2010, pour découvrir toute l’histoire de la ville. Enfin ne manquez pas, côté musique, la tournée du saxophoniste Ilhan Ersahin avec son quartette Istanbul Sessions, à la rentrée.
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