Du Bosphore à l’Adriatique à travers une chambre noire 12 septembre 2009
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L’Humanité (France), 12 septembre 2009, p. 22
Pierre Barbancey
Photographies . Un parcours alléchant dans les Balkans au moyen de travaux réalisés entre 1878 et 1914. Des images qui instillent, à qui prend le temps de les parcourir, le goût du voyage et de la découverte de l’autre.
Les vacances terminées ou presque, pourquoi ne pas se précipiter à la Conciergerie, à Paris, où vous attendent des photographes français (1). Leurs noms ne sont pas vraiment connus du grand public. Et pour cause. Les travaux présentés ont été réalisés entre 1878 et 1914, au moment où ces photographes découvrent les monuments des Balkans. Le parcours est alléchant, il va « du Bosphore à l’Adriatique », comme le propose l’exposition conçue et produite par le Centre des monuments nationaux dont le commissariat scientifique a été assuré par Léon Pressouyre, professeur honoraire à l’université de Paris-I, et André Guillou, président de l’Association internationale de l’étude du Sud-Est européen (AIESEE). Léon Pressouyre s’est malheureusement éteint cet été, près de ces monuments qu’il affectionnait tant, à Athènes.
De l’émotion il y en a tout au long de ces cimaises pour qui sait prendre le temps de détecter dans ces images le charme d’époques successives. C’est à une surimpression du temps à laquelle nous sommes conviés. D’abord, parce qu’en 1878, au lendemain du congrès de Berlin, un nouvel ordre politique s’installe dans les Balkans. Un ordre qui sera bousculé et finalement détruit à partir de 1914, dans ces mêmes Balkans. C’est bien d’une surimpression qu’il s’agit dans la partie intitulée « l’Antiquité revisitée ». L’oeil d’un photographe du XIXe siècle sur des sites antiques, regardés par le spectateur d’aujourd’hui ! Pour qui s’est récemment rendu à l’acropole d’Athènes, la surprise est de taille face au cliché réalisé peu avant 1880 par Jean-Baptiste Feuvrier. Un dénuement et une austérité renforcés par les tons du noir et blanc. Pas de vendeurs de colifichets, de maillots de foot ou d’ombrelles multicolores. Pas de hordes de touristes. À l’occasion de l’extraction d’une statue captée à Delphes, c’est le regard des ouvriers, plus que la pièce elle-même, qui surprend : ces extracteurs semblent plus impressionnés par le photographe et son appareil que par les objets qui sont entre leurs mains.
Les quartiers avant l’évolution urbaine
À « saute-siècles », on arrive vite « sous le signe de Byzance ». C’est que l’art byzantin, ou plus exactement le style « romano-byzantin », offre aux architectes une alternative au néogothique triomphant. D’Istanbul à Karyes, de Mistra à Salonique, monastères, fresques et autres basiliques s’offrent aux objectifs qui saisissent également les couleurs. « Dans le sillage des Vénitiens », on touche aux côtes dalmates, au Monténégro et aux îles de l’archipel ionien. La vie contemporaine se rapproche. Les photographes, malgré les difficultés de l’époque et le poids du matériel, n’hésitent pas à se déplacer. S’ils saisissent essentiellement l’architecture, la vie se faufile et se profile dans les cadres argentiques, dans une cour vénitienne ou devant un campanile. On longe la loggia d’un palais communal du XVIe siècle à Sibenik, on s’arrête devant un retable à Trogir, on se rafraîchit à la grande fontaine d’Onofrio à Dubrovnik.
L’histoire avance à grands pas. « L’empreinte ottomane » creuse la région. Les longs minarets filiformes se dressent dans les villes comme dans les campagnes, à Istanbul ou à Skopje. À Tirana, le bazar tenu par les Aroumains se dresse au centre de la ville. En mai 1913, Auguste Léon fige pour toujours des officiers serbes devant la mosquée impériale de Pristina.
Enfin, pour clore ce parcours, un ensemble de photos – peut-être les plus belles et les plus émouvantes – qui illustrent « tradition et modernité ». En réalité, les photographes français vont davantage s’attacher « à fixer l’image des anciens quartiers, des rues et des maisons traditionnelles que déjà l’évolution urbaine menace de disparition », comme l’écrivait Léon Pressouyre. Des documents uniques sur des lieux aujourd’hui disparus devant lesquels posent des familles. On retiendra ces rues d’Istanbul, dans le quartier de Péra, bordées de maisons de bois dont on croit déceler l’odeur entêtante.
Les largesses du mécène Albert Kahn
À travers les monuments, c’est bien d’une oeuvre anthropologique qu’il s’agit. Les vingt et un photographes réunis ici – de Jean-Baptiste Feuvrier à Eugène Richtenberger, d’Aymar de La Baume Pluvinel à Gabriel Millet – montrent qu’il est possible de réaliser des clichés autrement qu’avec des appareils numériques qui tiennent dans une poche. À l’époque, ils étaient d’ailleurs plus parcimonieux et n’appuyaient sur le déclencheur qu’après réflexion… Le goût du voyage, de la découverte de l’autre, se couplait avec un sens historique et artistique. Ils étaient d’abord astronomes, géologues ou linguistes, géographes ou ornithologues. Ils ont bénéficié des largesses d’un mécène, Albert Kahn (1860-1940), ébloui par la photographie en couleurs et qui a su lancer des campagnes photographiques, notamment dans les Balkans. À l’heure du tourisme de masse – mais où est l’élitisme de masse cher à Antoine
Vitez ? -, cette exposition vient nous rappeler, non sans paradoxe puisqu’on parle d’images fixes, que le temps se conjugue souvent différemment mais toujours de belle manière, gris, noir, blanc, sépia ou multicolore. « L’homme n’a point de port, le temps n’a point de rive ; il coule, et nous passons ! » s’écriait Lamartine.
(1) Centre des monuments nationaux. Conciergerie. 2, boulevard du Palais, 75001 Paris. Tous les jours de 9 h 30 à 18 heures. Jusqu’au 27 septembre. Catalogue, 144 pages, 22 euros. Éditions du Patrimoine.
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