Ni dictature militaire ni régime civil autoritaire ! 11 mars 2010
Posted by Acturca in Turkey / Turquie.Tags: AKP, armée, Kadri Gürsel, libéralisme, Turkey / Turquie
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Courrier International (France), 11 mars 2010, page 32 Türkçe
Kadri Gürsel, Milliyet (Istanbul)
L’armée est incontestablement la grande perdante de la lutte de pouvoir qui l’oppose au gouvernement. Si une armée pourtant supposée peser sur l’ensemble du monde politique ne réussit pas à empêcher l’arrestation de ses généraux, on peut affirmer sans hésitation qu’elle n’exerce plus de tutelle sur la société et sur les affaires politiques en général. Désormais, cette culture interventionniste n’est plus de mise. Que la capacité des militaires à intervenir dans le champ politique se trouve en grande partie limitée contribue indéniablement au renforcement de la démocratie en Turquie. Il est en effet très important de préserver cette démocratie de toute intervention de l’armée. Pour autant, le maintien de ce système démocratique ne repose pas seulement sur l’équation consistant à exclure les militaires de la vie politique. Cette exclusion ne fait que permettre à la Turquie de sortir d’une situation anormale. En d’autres termes, elle traduit seulement le processus de normalisation en cours.
Je ne pense d’ailleurs pas que cette normalisation, en tant que telle, suffira à pérenniser le modèle démocratique. On peut se demander si l’une des deux parties impliquée dans cette lutte, arrivée au pouvoir par les urnes, peut être qualifiée de démocrate ? L’AKP est-il vraiment en train de s’imprégner de l’esprit et de la lettre de la démocratie ? Très franchement, je ne le pense pas, car il ne suffit malheureusement pas d’être un civil pour devenir automatiquement un démocrate. Dans quelle démocratie, en effet, accepte-t-on qu’un Premier ministre encourage les patrons de groupes de presse à mettre à la porte les éditorialistes trop critiques à l’égard du gouvernement ? [Allusion à un récent discours du Premier ministre Erdogan.] Si c’est pour que le régime de tutelle des militaires soit remplacé par un régime civil autoritaire, non merci ! La situation actuelle ne peut donc être jugée positive que si, dans cette lutte pour le pouvoir, la mise à l’écart des militaires n’aboutit pas à encourager leurs adversaires à se proclamer les grands vainqueurs. Il conviendrait donc que le leader de l’AKP, dont la tendance à l’autoritarisme est manifeste, ne commence pas à s’imaginer qu’il dispose désormais d’un pouvoir illimité, sous prétexte qu’il vient de remporter la partie. Dans ce contexte, les libéraux qui ont noué une alliance avec l’AKP, du moins les plus honnêtes d’entre eux, ont un rôle extrêmement important à jouer. Dans la mesure où l’influence des militaires sur la vie politique n’est plus d’actualité, ces libéraux [intellectuels considérés comme influents, parmi lesquels des journalistes connus, qui ne sont pas issus de la matrice islamiste turque mais qui soutiennent l’AKP, considérant que ce parti oriente le système politique turc vers davantage de libéralisme] ne devraient-ils pas eux aussi se normaliser et prendre leurs distances avec l’AKP ? Le temps n’est-il pas venu, pour ceux d’entre eux qui ont réussi à garder un minimum de distance vis-à-vis du parti au pouvoir, de critiquer la tendance autoritaire qui se manifeste à la tête de l’AKP ? S’ils décident de critiquer l’AKP sur la base du critère du respect de la démocratie, de la justice et des droits de l’homme, et que ce parti en tienne compte, cela ne fera que consolider le retrait des militaires de la vie politique.
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