L’Empire ottoman au soleil couchant 15 juin 2010
Posted by Acturca in Art-Culture, Books / Livres, History / Histoire.Tags: History / Histoire, Tariq Ali
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Les Echos (France), 15 juin 2010, p. 15
Philippe Chevilley
Un jour, pas si lointain on l’espère, l’oeuvre de Tariq Ali rejoindra la liste des sagas « cultes », qui, des « Chroniques de San Francisco » à « Millénium », sont devenues grâce au bouche-à-oreille des phénomènes d’édition. Car son « Quintet de l’Islam » est non seulement une formidable épopée romanesque, mais aussi un outil ludique et philosophique indispensable pour appréhender sans tabou le monde musulman.
Dans les trois premiers tomes (« Le Sultan de Palerme », « Le Livre de Saladin » et « A l’ombre des grenadiers »), l’écrivain anglais, né à Lahore, nous présentait un islam médiéval (entre le XIIe et le XIVe siècle) raffiné et tolérant Dans le quatrième tome, publié ces jours-ci, il fait un saut dans le temps et aborde la question de son déclin.
« La Femme de pierre » se passe à l’aube du XXe siècle, en 1899 très précisément, en Turquie. Révolutions industrielle et politiques, grandes manoeuvres européennes… Un monde nouveau est en train d’émerger, mais ce qui reste de l’Empire ottoman est figé dans son passé. Nilofer, une jeune femme qui, par bravade, a épousé un instituteur grec, revient après neuf ans d’absence avec son fils de dix ans dans le palais d’été familial au bord de la mer de Marmara. A peine arrivée, son père, Iskander Pacha, est victime d’une attaque. Alors qu’il recouvre progressivement ses facultés, toute la famille converge vers le palais et un grand déballage affectif a lieu. Les secrets les plus lourds sont confiés à « La Femme de pierre », une statue sans âge, dressée au fond du jardin. Tandis que le patriarche orchestre des débats sur le déclin ottoman, s’ourdit un complot visant à renverser le régime du sultan.
Palais mélancolique
Ce quatrième tome est sans doute le plus austère et le plus didactique de la série. Tariq Ali conserve sa construction à tiroirs, style « Mille et Une Nuits », chaque personnage racontant son histoire. On voyage ainsi d’Alexandrie à Berlin en passant par Paris. Mais l’essentiel de l’action se résout à un huis clos dans ce palais mélancolique. Moins flamboyant, « La Femme de pierre » n’en est pas moins plaisant à lire et captivant. Tariq Ali, comme à l’accoutumée se joue des préjugés. Il montre que, dans une famille musulmane turque d’il y a cent ans, les femmes ont déjà leur mot à dire -Nilofer sera jusqu’au bout maîtresse de son destin – ; que l’homosexualité, prisée des califes et sultans, a droit de cité – l’oncle Memed et son compagnon le baron Jacob forment un couple savoureux – ; et qu’on peut convoler en justes noces avec des juifs – telle Sara, la mère de Nilofer, troisième femme d’Iskander Pacha…
Aux désordres amoureux de ses héros répondent les soubresauts d’un monde islamique qui a perdu pied… Tariq Ali ne tourne pas autour du pot. C’est la faute aux religieux bornés et aux sultans ultraconservateurs, si l’Empire ottoman connaît alors son soleil couchant. L’écrivain rappelle l’interdiction de l’imprimerie au XVIe siècle ou des horloges publiques (parce que le temps était jugé circulaire, sacré et non linéaire). Les « barbus » refusant toute réforme par principe, pour ne pas perdre leur pouvoir, ont contraint le train ottoman à rester en gare.
Plus pour longtemps… les Jeunes Turcs fourbissent leurs armes – on devine le futur Atatürk parmi les jeunes officiers comploteurs rassemblés au palais. L’écrivain défend le principe de la laïcité, tout en suggérant qu’il n’y pas de gouvernement miracle. L’évocation des derviches lui permet de montrer en parallèle un islam mystique, aimable et bon vivant, loin de l’image rébarbative qu’en donnent aujourd’hui les intégristes de par le monde.
La femme de Pierre de Tariq Ali, traduction de Gabriel Buti et Shafiq Naz, Sabine Wespieser Editeur, 392 pages, 25 euros.
livre très politiquement correct, presque trop! Chaque composant de l’empire ottoman est cité, on n’oublie ni minorités religieuses, ou ethniques ou sexuelles. C’est est presque trop parfait.
Plus un manifeste qu’un ouvrage littéraire. Se lit avec grand plaisir, un peu « mille et une nuits » mais je reste un peu sur la réserve, je ne sais pourquoi.