Modernité vs populisme 6 janvier 2011
Posted by Acturca in Art-Culture, Turkey / Turquie.Tags: arabesk, Fazil Say, Müslüm Gürses, Turkey / Turquie
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Courrier international (France) no 1053, 6 janvier 2011, p. 49 Türkçe
Radikal, Göksel Aymaz, Istanbul
La procédure judiciaire qui oppose [depuis septembre 2010] le pianiste classique Fazil Say au chanteur d’arabesk Müslüm Gürses témoigne d’un choc culturel appelé à connaître de nouveaux épisodes et à impliquer d’autres acteurs. Fazil Say s’en prend ainsi à la musique arabesk au nom de la lutte contre le mauvais goût. Il est mû dans ce combat par l’idée respectable qu’un art qui a atteint un certain niveau de maturité et d’évolution est une nécessité vitale pour tout être humain. Sauf que, sur ce sujet, avoir de bonnes intentions n’empêche pas d’être mal interprété. Say a ainsi réussi à donner à une partie de la population l’impression qu’il la méprisait. Comme on le sait, Fazil Say a déclaré qu' »[il avait] honte du côté flagorneur de l’arabesk », ce à quoi Müslüm Gürses a immédiatement rétorqué : « S’il y a un flagorneur, c’est bien Môssieur Fazil. » Cette polémique a connu un rebondissement judiciaire dès lors que Fazil Say est allé jusqu’à réclamer des dommages et intérêts à Müslüm Gürses.
Mais, surtout, cette controverse est le signe d’un affrontement culturel qui n’est pas près de cesser. En substance, Fazil Say incarne la voix chérie des élites modernistes, qu’un Parti de la justice et du développement [AKP, parti islamo-conservateur au pouvoir] en phase ascensionnelle rend de plus en plus haineuses. Toutefois, se borner à ranger Fazil Say parmi les « élitistes » ne permet pas de comprendre ce qui est en train de se passer. En effet, l’art est par définition élitiste, même si cela ne dédouane pas pour autant l’artiste de ses responsabilités envers de la société. D’ailleurs, Fazil Say, qui n’a jamais rechigné à donner des concerts dans les petites villes d’Anatolie, a toujours dit que jouer pour des « oreilles non éduquées » lui procurait un plaisir particulier. Le problème, c’est que cet artiste moderniste, qui entend lutter contre l’enfermement de la population dans le mauvais goût par le biais de l’arabesk, est aussi devenu une sorte de porte-parole d’une catégorie de personnes incapables de saisir la réalité. C’est dans ce contexte que s’exprime le véritable élitisme d’un personnage comme Fazil Say.
Quant à Müslüm Gürses, qui incarne la sous-culture opposée à ce genre de modernisme, il est devenu un symbole pour ceux qui font une critique libérale de l’élitisme. Ces derniers incarnent également l’émergence d’une nouvelle classe moyenne très intégrée dans le monde globalisé actuel, mais dont les codes culturels diffèrent de ceux des gens qui, comme Fazil Say, ont une conception élitiste de la modernité.
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