L’islam et les pièges du fondamentalisme 10 janvier 2011
Posted by Acturca in Middle East / Moyen Orient, Religion, Turkey / Turquie.Tags: BRIC, Dominique Moïsi, Egypte, Indonésie, Islam, Pakistan, Turkey / Turquie
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Les Echos (France), 10 janvier 2011, p. 19
Dominique Moïsi
Les récentes attaques contre la communauté chrétienne copte à Alexandrie en Egypte, l’assassinat la semaine dernière au Pakistan du gouverneur du Punjab Salman Taaser, un défenseur de la laïcité et de la démocratie, ne sont que les dernières manifestations de la guerre que les fondamentalistes mènent contre tous ceux, qu’ils soient chrétiens ou musulmans, qui ne partagent pas leur lecture intégriste et intolérante du monde.
Face à cette escalade de la violence, nos démocraties doivent se garder d’un triple piège. Le premier est de continuer à tomber dans le chantage de nombreux régimes autoritaires : « Si vous ne nous soutenez pas, vous aurez les fondamentalistes ! » Le second est celui de l’amalgame : l’islam ne se résume pas au fondamentalisme. Le troisième consisterait à ne pas confronter la réalité. Les événements récents ne peuvent que conforter les 68 % de Français et 75 % d’Allemands qui considèrent que les musulmans « ne sont pas bien intégrés » dans leur société.
Pour résister au piège du chantage, il convient de bien distinguer les régimes des peuples. La violence qui gagne aujourd’hui du terrain en Tunisie, sinon en Algérie, a des raisons plus politiques, économiques et sociales que religieuses. Elle est le produit de la révolte d’une partie significative de la jeunesse face à l’autoritarisme et à la corruption, face au chômage et plus simplement encore face à l’absence d’espoir. De la même manière en Egypte ou au Pakistan, la sclérose absolue du régime, dans le premier cas, les divisions profondes de la société dans le second, font le lit des extrémismes, enfermant les peuples dans une spirale d’humiliation et de désespoir. Se contenter de renflouer ces régimes ne peut conduire à terme qu’aux catastrophes que l’on souhaite précisément prévenir.
Il faut aussi éviter de tomber dans le piège de l’amalgame, exploité en Europe par toutes les formes de populisme. Il est trop facile de se concentrer sur les « ombres » de l’islam et d’en négliger totalement les « lumières ». Au sein des pays émergents, deux pays méritent sans doute de rejoindre le club des « grands », la Turquie et l’Indonésie. Ils sont tous les deux de manière très différente des anti-Egypte ou des anti-Pakistan, dans la mesure où ils sont démocratiques et ouverts sur la modernité. L’Indonésie, le premier pays musulman au monde sur le plan de la démographie, a ceci de remarquable que ce sont les autorités musulmanes elles-mêmes qui encouragent le respect des autres religions et font la promotion d’un enseignement fondé sur la tolérance.
Ne devrait-on pas déjà substituer au concept de BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) celui de Briti (Brésil, Russie, Inde, Turquie, Indonésie) ? La Chine est seule dans sa catégorie de superpuissance « réémergente » et les deux « petits nouveaux » la Turquie et l’Indonésie sont des pays islamiques qui méritent par leurs performances économiques, mais aussi politiques de rejoindre le club des émergents qui gagnent. Ne sont-ils pas le parfait contre-exemple à opposer à tous ceux qui sont trop heureux d’assimiler fondamentalisme et islam ?
Mais au niveau des perceptions au moins, la réalité est plus complexe et plus troublante et il serait dangereux de se voiler la face. L’image que les fondamentalistes donnent de l’islam contribue inévitablement à renforcer les préjugés qui existent à l’encontre des musulmans dans le monde et à renforcer « l’ère du soupçon ». Ce ne sont pas tant les discours « d’illuminés » en faveur d’un nouveau califat aux marges de l’Europe qui sont dangereux. C’est beaucoup plus la discrétion sinon le silence des représentants de l’islam modéré et officiel après chaque attaque des fondamentalistes qui est préoccupant. Mélange de peur et de fatalisme d’un côté, limites de l’intégration de l’autre. Comment se dissocier pleinement de ceux qui s’expriment en votre nom de la pire manière quand on est soi-même en pleine crise identitaire, pour des raisons politiques, sociales, économiques, culturelles, sinon religieuses ? L’Indonésie est loin. Elle devrait être « proche » Elle est la preuve qu’islam et violence ne vont pas nécessairement de pair, qu’islam et modernité ne sont pas incompatibles. Il est certain que progrès politique et économique contribuent à créer un climat plus favorable que ne le font autoritarisme et chômage.
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