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« L’Étrangère » Le combat d’une femme répudiée 20 avril 2011

Posted by Acturca in Art-Culture, Immigration, Turkey / Turquie.
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Le Figaro (France), 20 avril 2011, p. 27

Jean-Luc Wachthausen

La cinéaste autrichienne Feo Aladag signe un premier film choc sur une jeune mère turque rejetée par les siens.

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La femme sans voile

Eric Neuhoff

Dans « L’Étrangère », la réalisatrice autrichienne Feo Aladag évoque le bannissement d’une jeune Turque par sa famille. Un film coup de poing sur une lente descente aux enfers.

Adieu Istanbul. Umay, qui est battue par son mari, s’enfuit à Berlin pour se réfugier dans sa famille avec son jeune fils. Les choses ne vont pas du tout se passer comme elle le croyait. Honte à toi, ma fille, qui nous déshonore. Le père se couvre la tête de cendres. La mère a des regards qui en disent long. Ses soupirs ne réussissent pas à masquer de longues années de malheur consenti. Les frères prennent le parti de l’époux violent. La tradition a bon dos. Apparemment, il n’est guère de foyer où les gifles ne claquent. La devise du paternel fait froid dans le dos : « La main qui frappe est aussi celle qui apaise. »

Umay en a assez de ces fadaises. Elle veut se reconstruire, quitter le Moyen Âge. La libération de la femme, c’est tout une histoire. Feo Aladag en tire un film vibrant, tendu comme un arc. Son héroïne est une femme debout. C’est un brave petit soldat qui reprend ses études, retrouve une ancienne copine qui travaille dans les cuisines d’un restaurant. Un emploi, tout le monde pousse des cris d’orfraie. Vous n’y pensez pas, les mamans turques sont destinées à rester à la maison, à subir les violences conjugales. Étonnez-vous qu’après cela, pendant l’amour, ce sentiment à sens unique, elles contemplent le plafond avec des yeux de poisson mort.

Une affaire pareille, cela tiendrait en dix lignes dans un journal. La réalisatrice fouille les dessous de ces faits divers qu’on parcourt distraitement. Son ambition est limitée, mais précise. Le sujet dépasse l’immigration turque en Allemagne. Il ne s’agit pas d’une thèse, mais d’un destin, d’une tragédie banale. Ça n’est pas une vie, que cette vie-là. Il serait temps que certains s’en aperçoivent. Il arrive que le cinéma parle de son époque, des problèmes qu’on ne veut pas voir, qu’il fasse cela avec vigueur et réalisme. Un brin d’espoir, par moments. Umay est courtisée par un de ses collègues cuistots. Une éclaircie a lieu, qui permet de sillonner les rues à scooter en zigzaguant sur la chaussée comme dans un film de Nanni Moretti, de contempler le jour qui se lève sur la ville, comme ça, pour rien, pour le plaisir.

Une colère sourde

Cela existe donc, des messieurs qui ne songent pas seulement à vous rouer de coups ? Néanmoins, la tension monte. Cela ne va pas se passer comme ça. L’archaïsme reprend le dessus. Ce premier film ose aborder la réalité, titille les démons de notre société. Cela s’appelle prendre des risques. Dieu – le terme est peut-être mal choisi – sait de quoi on va accuser Feo Aladag. Elle réfléchit sur l’injustice de ce monde, nous intéresse au cas de cette mère courage qui se dresse comme un menhir sur la lande. Celle-ci le paiera. Cher. Cash. Nous ne sommes pas dans un dessin animé.

Cette lente descente aux enfers agit comme un uppercut à l’estomac. On sort de là les jambes tremblantes, le souffle coupé. Voilà qui s’appelle filmer, avoir quelque chose à dire. On partage cette colère sourde, ce dépit rageur, cette compassion désolée. Tout cela devrait être déprimant. C’est le contraire qui se produit. L’Étrangère redonne confiance en un tas de choses : les femmes, l’ardeur, le cinéma.

Feo Aladag : « Une vraie tragédie grecque »

Olivier Delcroix

Le Figaro. – Quel est le point de départ qui vous a poussé à faire ce film ?

Feo Aladag. – Vous devez savoir avant toute chose que je suis actrice depuis l’âge de 15 ans. En même temps, j’ai étudié la psychologie et la communication, ce qui m’a conduit à écrire dans un certain nombre de journaux. Il y a environ huit ans, j’ai donc été contactée par les responsables d’Amnesty International pour réaliser deux spots publicitaires sur « La violence contre les femmes ». J’ai accepté, tout en leur faisant remarquer que le champ d’étude était très vaste. « Ne vous inquiétez pas, nous allons vous fournir la documentation.  » Je les ai vus arriver en bas de chez moi avec une voiture bourrée de dossiers ! Une fois que j’ai mis le nez dans ces articles, je n’ai jamais pu m’en détacher durant quatre mois ! Après avoir réalisé ces petits films, j’ai continué de me renseigner. Toutes ces recherches m’ont menée vers l’histoire de L’Étrangère. Cela faisait vibrer quelque chose de fort en moi.

Quoi exactement ?

Le thème du « crime d’honneur » suscitait une question très profonde : qu’est-ce qui est plus fort que l’amour que l’on porte à ses proches ou à sa famille au point de commettre l’irréparable ? On veut tous être aimé pour ce que l’on est, et surtout par ses parents. Dans L’Étrangère , Umay, cette jeune femme Turque d’origine allemande qui retourne à Berlin dans sa famille pour fuir un mari violent à Istanbul, va vivre un drame quasiment digne d’une vraie tragédie grecque. Elle va être rejetée de tous les côtés jusqu’au sacrifice final. Et ce parce que sa famille baigne dans une tradition archaïque et malsaine, qu’elle n’arrive pas à surmonter. Attention, je n’ai rien contre les traditions. Nos sociétés modernes sont toutes basées sur des traditions. Mais je voulais pointer l’absurdité de certaines d’entre elles, archaïques jusqu’au « crime d’honneur ».

Comment avez-vous choisi l’actrice Sibel Kekilli ?

Je l’avais remarquée dans le film Head On de Fatih Akin. Ce n’était pas mon choix au départ. Mais finalement, le jour où nous nous sommes rencontrées dans un café à Berlin, la chanson que j’écoutais dans ma voiture en arrivant était celle de Robbie Williams She Is the One  ! C’était comme un signe. (Rires.) Elle a été parfaite dans le rôle d’Umay.

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