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Turquie : la confrérie de l’ombre 8 juin 2011

Posted by Acturca in Turkey / Turquie.
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Le Monde (France) mercredi 8 juin 2011, p. 3

Guillaume Perrier, Istanbul Correspondance

La communauté religieuse de Fethullah Gülen a infiltré la police, la justice et l’AKP, le parti au pouvoir en Turquie. De quoi peser sur les élections du 12 juin

Fidèle à ses méthodes, le premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, a monopolisé la campagne électorale, occupé les écrans de télévision et sillonné la Turquie au pas de charge, assurant deux à trois meetings par jour. Après les élections législatives du 12 juin, le leader turc devrait rester aux commandes du pays pour quatre années supplémentaires. Mais dans l’ombre, un puissant lobby socioreligieux, la communauté de Fethullah Gülen, pèse de tout son poids pour assurer la reconduction au pouvoir du Parti de la justice et du développement (AKP). « Tous leurs leaders et leurs membres sont sur le terrain, organisent des manifestations et travaillent pour l’AKP pendant cette campagne. Ils travaillent peut-être plus que le parti lui-même », s’étonne le journaliste et universitaire Mehmet Altan, fin connaisseur des rouages de la confrérie religieuse. L’appui de cette secte musulmane est décisif.

Fondé par l’imam turc Fethullah Gülen, le mouvement compterait environ 3 millions de membres dans les pays turcophones et quelque 10 millions de sympathisants. Une centaine d’entre eux figureraient parmi les députés sortants. Soupçonnée d’avoir infiltré la bureaucratie turque, de contrôler la police et une partie de l’appareil judiciaire, la confrérie étend patiemment son influence dans les cercles de pouvoir.

Parmi les candidats à un siège de député, rares sont les membres ouvertement déclarés de la communauté. « Il y en a deux qui sont très proches de Fethullah Gülen », mentionne Cemal Usak, dirigeant de la fondation des écrivains et des journalistes, l’organe de la confrérie chargé des relations extérieures. Ilhan Isbilen, 65 ans, candidat AKP en bonne position à Izmir, est l’un des compagnons de la première heure.

En septième position sur la liste de la première circonscription d’Istanbul, conduite par Recep Tayyip Erdogan, Muhammed Cetin est lui aussi assuré d’être élu. Cet enseignant de 48 ans, qui vit sa première campagne électorale, a suivi le parcours typique du « güléniste » modèle. Après des études en Angleterre, il a enseigné en Asie centrale et au lycée Fatih d’Istanbul, dans des établissements de la confrérie, qui s’organise autour de ses écoles, présentes dans 120 pays à travers le monde. Muhammed Cetin a ensuite dirigé, de 2003 à 2008, l’Institut de dialogue interreligieux implanté aux Etats-Unis, une fondation paravent. Chroniqueur pour le journal Zaman, la vitrine médiatique du mouvement, il est également l’auteur d’un ouvrage hagiographique, Service civique sans frontières, qui décrit le réseau Gülen comme un mouvement d’entraide socioreligieux.

Bien qu’elle s’en défende, la confrérie, née dans les années 1970 autour des prêches de l’imam turc Fethullah Gülen, issue du courant Nourdjou et modelée par les idées du penseur Said Nursi, prospère depuis vingt ans dans les coulisses du pouvoir politique. L’Etat turc, quelle que soit la couleur du parti majoritaire, a utilisé, dès le début des années 1990, les réseaux de ces « missionnaires de la turcité », actifs dans les pays d’Asie centrale nouvellement indépendants.

Le social-démocrate Bülent Ecevit, plusieurs fois premier ministre, s’était lié d’amitié avec Fethullah Gülen. Puissant, organisé, élitiste et opaque, le réseau musulman a rapidement attiré les soupçons de l’armée et de ses subordonnés. Et une procédure judiciaire ouverte contre Gülen, en 1999, l’a finalement obligé à s’exiler aux Etats-Unis, où il réside toujours.

En son absence, les disciples de « hodja efendi » ont renforcé la confrérie, investie dans l’industrie, la banque, les médias, l’humanitaire, les universités, les hôpitaux… Depuis 2003, le pouvoir à Ankara est occupé par l’AKP, un parti frère. Et la menace des militaires a été éloignée. Une spectaculaire série de procès contre des officiers de haut rang accusés de complots contre le gouvernement, dont l’affaire Ergenekon, a été appuyée par le journal Zaman et la chaîne Samanyolu (Voie lactée), et offre aujourd’hui une revanche à Gülen.

Sur le plan économique, depuis 2004, la forte croissance turque a largement profité aux petits patrons de province, ceux-là mêmes qui forment le tissu du mouvement religieux et financent ses écoles dans le monde entier. Depuis 2005, les gülénistes ont formé leur propre patronat : la confédération des entrepreneurs turcs (Tüskon). Elle compte 30 000 membres, dont 30 des 200 plus grandes entreprises du pays, et les réseaux commerciaux de ses hommes d’affaires sont incontournables.

La Tüskon supervise, par exemple, toutes les visites à l’étranger du président Abdullah Gül et du ministre de l’économie Ali Babacan. Dans les pays qu’ils visitent, un détour par l’école turque du réseau Gülen est toujours prévu au programme.

La très active diplomatie turque a elle aussi été guidée par les idées de la confrérie. « Le ministre des affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, est proche du mouvement et, quand on regarde certaines orientations de la politique étrangère, comme l’ouverture vers l’Afrique, on voit qu’elle se superpose avec les intérêts de la communauté de Gülen. Mais aujourd’hui c’est plus Gülen qui court-circuite le gouvernement que l’inverse », souligne Gareth Jenkins, analyste basé en Turquie.

Enfin, depuis plus de dix ans, le mouvement socioreligieux poursuit une stratégie d’entrisme au sein des institutions-clés du pays : les corps de fonctionnaires territoriaux, les enseignants, les imams… « Les services secrets et surtout la police sont tombés sous leur contrôle », estime M. Jenkins. Mais l’arrestation, en mars, de deux journalistes turcs, Ahmet Sik et Nedim Sener, qui enquêtaient sur les liens entre les fidèles de Fethullah Gülen et la police, a jeté une ombre sur la communauté, soupçonnée d’avoir cherché à faire taire les auteurs. Un ancien commissaire divisionnaire, Hanefi Avci, a lui aussi dénoncé l’infiltration de la police par Gülen, avant d’être accusé de collusion avec un groupe terroriste. « C’est Frankenstein. On a créé un monstre », résume un intellectuel stambouliote.

Malgré le soutien affiché de la communauté de Fethullah Gülen à l’AKP, paradoxalement, les relations avec M. Erdogan demeurent houleuses. Les têtes pensantes de la confrérie jugent le premier ministre peu fiable. « Il ne s’entend pas avec eux », confirme Mehmet Altan. « Erdogan est porté sur les conflits, recherche le pouvoir, tandis que les gülénistes promeuvent le dialogue, au moins dans leur discours, et calculent les effets à plus long terme », ajoute Gareth Jenkins. Le bras droit de Fethullah Gülen, Hüseyin Gülerce, a écrit dans Zaman qu’il soutenait l’AKP, tout en souhaitant qu’il obtienne moins de 330 sièges, une majorité relative qui l’obligerait à composer avec l’opposition pour réformer la Constitution.

Le parti nationaliste dans la tourmente des « sex tapes »

Qui fait chanter les Loups gris du parti nationaliste (MHP) ? Depuis plusieurs semaines, « l’affaire des cassettes du MHP » fait les gros titres de la presse et plonge la campagne des législatives dans une ambiance de règlements de comptes. Un mystérieux site Internet a poussé à la démission dix responsables du parti de l’Action nationaliste, la troisième force politique du Parlement sortant. Deux élus quittent d’abord leurs fonctions, début mai, après la publication de vidéos compromettantes, tournées à leur insu dans une chambre d’hôtel. Sur la bande, on voit les deux hommes se livrer à une critique acerbe du parti au pouvoir (AKP) en compagnie de deux femmes. Mais le mystérieux groupe promet de nouvelles révélations. Une semaine plus tard, quatre autres hiérarques dénoncés par le site Internet jettent l’éponge. Deux d’entre eux ont été filmés en compagnie d’étudiantes. Une troisième vague de menaces et de vidéos coupe encore quatre têtes. Les relations extraconjugales de ces cadres du MHP sont là aussi abondamment documentées. L’espionnage a été soigné, précis. Du travail de professionnel.

Déjà en 2010, le leader du parti kémaliste (CHP), Deniz Baykal, avait été poussé à démissionner après la divulgation d’une sex tape par un site Internet. Cet épisode avait précipité la réforme du CHP. La machination affaiblit cette fois le MHP, qui n’est pas certain de franchir le seuil critique des 10 %, nécessaire pour entrer au Parlement. Selon le président du parti nationaliste, le complot « a été préparé de l’autre côté de l’océan ». Devlet Bahçeli accuse ainsi la confrérie de Fethullah Gülen de tirer les ficelles de cette campagne. L’influence de la communauté de Gülen, notamment au sein de la police, leur permet de pratiquer des écoutes à grande échelle. Elle prête aussi le flanc à de nombreuses théories du complot.

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