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Turquie : le côté obscur d’Erdogan 14 juin 2011

Posted by Acturca in Turkey / Turquie.
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Libération (Turquie), 14 juin 2011, p. 26

Nedim Gürsel

Lors de la campagne électorale qui vient de s’achever, le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, a demandé au peuple un troisième mandat, prétendant qu’il était mieux placé que n’importe quel homme politique, qu’il soit de gauche, de droite ou du centre pour diriger le pays. Car il était devenu selon ses propres termes «maître» en la matière après neuf années au pouvoir (2002-2011). Son vœu a été exaucé par les urnes et son parti (l’AKP) vient d’obtenir, pour la troisième fois consécutive la majorité au Parlement et cela pour cinq ans. Un si long exercice du pouvoir use, mais ce n’est pas le cas d’Erdogan. Il reste toujours aussi populaire alors qu’il est entrain de devenir de plus en plus autoritaire. Issu d’un mouvement islamiste (Milli Görüs), il se disait «démocrate conservateur» au lendemain de sa première élection. Désormais il n’a pas besoin de qualificatif, il règne en maître et c’est tout.

Quand l’actuel et le futur Premier ministre Erdogan était condamné à quatre mois de prison ferme alors qu’il était maire d’Istanbul, j’étais parmi les rares démocrates républicains qui avaient protesté. Car je considérais qu’avoir déclamé «les minarets sont nos baïonnettes, les mosquées nos casernes et les croyants nos soldats» en se référant aux vers de Ziya Gökalp, fondateur du nationalisme turc, ne pouvait être un délit dans une démocratie. Or ce même Erdogan, une fois Premier ministre, n’a jamais manifesté la même solidarité à l’égard des écrivains ou journalistes jugés pour le même motif. Relativement respectueux de la liberté d’expression au début, il s’est transformé progressivement en accusateur. Son dernier discours au Parlement européen comparaît le livre du journaliste Ahmet Isik (en prison depuis des mois) à une bombe. A ses yeux, mon roman Un long été à Istanbulétait aussi subversif que «les documents illégaux» trouvés chez les militants d’extrême gauche.

Puis vint le temps de la démocratie, les tribunaux militaires furent dissous. Mais le comportement du pouvoir politique n’a pas beaucoup évolué en ce qui concerne la liberté d’expression. Le jour où Recep Tayyip Erdogan déclarait, lors de la remise du prix du ministère de la Culture à Cetin Altan, que la Turquie n’était plus un pays qui poursuivait ses écrivains, j’ai été poursuivi devant la justice pour avoir «dénigré les valeurs religieuses de la population» dans mon roman Les Filles d’Allah et le procureur demanda ma condamnation à une peine de prison allant de six mois à un an selon l’article 216 du code pénal turc. Diyanet (la Direction des affaires religieuses), une instance gouvernementale dépendant du Premier ministre, c’est-à-dire d’Erdogan en personne, rédigea un rapport pour me faire condamner alors qu’elle n’avait aucune compétence littéraire.

Alors qu’il vient de gagner une fois de plus les élections législatives (et il faut, bien sûr respecter le suffrage universel), je ne crie pas victoire mais attire l’attention de l’opinion sur un risque de dérive autoritaire de mon pays qui connut dans son histoire récente des hommes politiques se disant «maîtres», c’est-à-dire capable de bien diriger la Turquie. On a constaté par la suite qu’ils étaient capables du pire en matière de droits de l’homme et de liberté d’expression. J’ai de plus en plus tendance à considérer le vainqueur des élections en Turquie comme «un héros de notre temps» selon l’expression de Mikhaïl Lermentov, à propos de son héros Grigori Pétchorine, courageux, séducteur et ambitieux dont la jeunesse et la formation nous restent presque inconnues.

Nous ne savons pas grand-chose du passé d’Erdogan malgré la publication d’une biographie récente, sinon qu’il est né dans un quartier pauvre d’Istanbul et qu’il en est fier. Devenu très tôt un militant de base du mouvement islamiste de Necmettin Erbakan, le Parti du salut national, il a fait en même temps des études de théologie musulmane. Sa femme et ses deux filles portent le foulard. Erdogan est en somme le représentant ou, comme le dit Lermentov avec ironie, «le héros d’une époque non héroïque». «On naît leader, on ne le devient pas», affirme-t-il comme si tout lui était dû. Il se vante de n’avoir fait que de la politique depuis ses dix-huit ans. Dans ses discours il cite Yunus Emre, poète mystique du XIIIe siècle : «Nous aimons la créature grâce au Créateur !»A un jeune chômeur venu lui demander du travail avec sa maman, il a répondu : «Prends ta vielle et casse-toi !» Mais ne l’a pas traité de «pauvre con».

Au palais présidentiel de Cankaya, Atatürk, fondateur de la république laïque, sirotait son raki à l’heure de l’apéritif en contemplant la steppe anatolienne. Erdogan, lui, a déclaré récemment à l’encontre des gens qui contestaient l’augmentation des prix de boissons alcoolisées : «Ils n’ont qu’à manger du raisin.»

Dernier ouvrage paru : «Belle et rebelle France», Editions Empreinte temps présent, 2011.

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