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Vu des médias arabes. Une fascination turque 17 juin 2011

Posted by Acturca in Middle East / Moyen Orient, Turkey / Turquie.
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Mediapart (France), vendredi 17 juin 2011

Tewfik Hakem *

Le modèle turc peut-il être le remède à l’impuissance arabe ? Plus que jamais cette vieille question est d’actualité… Il y a deux ans, le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, avait exhorté les pays arabes à créer un espace analogue à celui de Schengen pour répondre aux défis de la mondialisation.

Utopie pour utopie, celle-ci avait l’avantage d’être plus réaliste que les autres. Plus réaliste en tout cas que le rêve du panarabisme marxiste qui a créé une multitude de dictatures militaires ennemies entre elles. Plus pacifique que la vieille chimère de la grande oumma islamique qui a enfanté l’intégrisme fondamentaliste et le terrorisme. La semaine dernière, le Parti de la justice et du développement (AKP) de M. Erdogan, formation issue de la mouvance islamiste, a réalisé lors des législatives son meilleur score et engrangé sa troisième victoire consécutive. Succès largement commenté par les analystes arabes.

Journaliste libéral, le Saoudien Abderrahmane Al-Rached, qui dirige la chaîne satellitaire Al-Arabiya, et tient une chronique dans le quotidien Acharq Al-Awsat, salue dans une tribune publiée par les deux médias à capitaux saoudiens la victoire du premier ministre turc. Sous le titre « Après Nasser et Khomeiny, Erdogan » , Abderrahmane Al-Rached écrit : « Le monde arabe a toujours eu besoin d’un leader pour accomplir ses mutations. Dans les années 50, le modèle du monde arabe était Nasser. Sauf que sa révolution moderniste a échoué. Dans les années 80, les révolutionnaires iraniens et à leur tête l’imam Khomeiny ont représenté le rêve d’une oumma islamique indépendante. Le rêve s’est terminé en cauchemar. Et aujourd’hui ? Je ne sais pas dans quelle mesure l’exemple turc va influer sur les pays arabes en pleine mutation, mais une chose est évidente: dans nos rues, Erdogan est un héros populaire. »

La Turquie est-elle le nouveau modèle pour les Arabes ? Abderrahmane Al-Rached pose la question autrement : « Je ne sais pas si c’est notre vision qui a changé vis-à-vis de la Turquie ou si c’est la Turquie qui a changé alors que le monde arabe a du mal à évoluer. » Dans son analyse, l’éditorialiste développe l’idée d’une nation qui s’est réconciliée avec elle-même et avec le monde. « La Turquie est un modèle différent. Un modèle de pays islamique normalisé et raisonnablement démocrate. Un pays doté d’une diplomatie équitable. La Turquie est avec la Syrie quand elle est agressée par Israël et contre lerégime syrien quand celui-ci réprime son peuple. La Turquie entretient des relations avec Israël mais jamais sur le dos des Palestiniens. Son gouvernement est islamiste libéral mais dans un système laïc. »

De son côté Youssef Cherif de l’autre quotidien panarabe édité à Londres, Al Hayat, note depuis Ankara que le nombre des femmes élues au parlement turc passe de 50 à 78, un chiffre record obtenu « grâce au parti islamiste d’Erdogan, qui a présenté le plus de candidates » , écrit-il pour suggérer que, contrairement à ce que l’on pourrait croire, au pays d’Atatürk, les islamistes ne sont pas les plus machistes.

« Ce n’est pas seulement une victoire électorale, c’est le début de la deuxième république turque » , assure sur le site d’Al Jazira, le journaliste égyptien Fahmi Howeidi. Du courant islamiste, Fahmi Howeidi est un journaliste connu et reconnu par ses pairs, toutes tendances confondues. Il a été choisi parmi les sept journalistes musulmans qui ont interviewé le président américain Barack Obama après son discours du Caire adressé au monde musulman en juin 2009.

Le principe sacré de laïcité

Pour Fahmi Howeidi, la nouvelle victoire écrasante du premier ministre Recep Tayyip Erdogan va permettre à la Turquie « de passer d’une république militaire à une (deuxième) république civile » . Fahmi Howeidi a fait partie des journalistes égyptiens et tunisiens invités par le gouvernement turc à suivre les élections législatives. Dans le cadre du « soutien de la Turquie au Printemps arabe » , cela va sans dire.

Dans les rues d’Ankara et d’Istanbul, le journaliste note avoir vu beaucoup d’étrangers venus soutenir les candidats : « J’ai été étonné de voir des jeunes communistes venus des quatre coins de l’Europe soutenir le parti socialiste turc et des sympathisants de l’AKP, encore plus nombreux, venus des Balkans et des pays islamiques pour soutenir le parti d’Erdogan » , écrit-il.

Le facteur syrien

Tournées et diffusées par Al Jazira, les images des réfugiés syriens fuyant les répressions féroces du régime de Bachar El-Assad et recueillis fraternellement par les voisins turques ont sans doute accentué l’élan de sympathie des Arabes vis-à-vis de leur ancien occupant ottoman.

En tout cas, il est impossible de trouver dans la presse arabe consultée un article en défaveur du premier ministre turc. A défaut, le quotidien francophone algérien Liberté, populaire dans la région de Kabylie pour son positionnement anti-intégriste et anti-arabisation forcée, rappelle qu’en Turquie le principe de laïcité est sacralisé. Dans un article intitulé « Ce modèle qui fascine » , M. A. Boumendil écrit :

« Le scrutin législatif en Turquie n’a pas non plus laissé de marbre les pays arabes engagés, à des degrés plus ou moins importants, dans un dur et incertain processus de mutation démocratique. La donne islamiste est au cÅ?ur de la problématique politique et démocratique dans ces pays. Les exemples les plus parlants sont ceux de la Tunisie et de l’Égypte, qui ont réussi à se débarrasser de leurs dictateurs, mais peinent à se soustraire à leur régime.

« En Tunisie comme en Égypte, les premiers bénéficiaires de la révolte populaire sont les partis islamistes. Ennahda en Tunisie, comme les Frères musulmans en Égypte, soucieux de ne pas effaroucher les armées de leurs pays respectifs et, accessoirement, une partie importante de l’électorat, jurent qu’ils ont trouvé en AKP turc un modèle idoine. Ils sont confortés en cela par les « spécialistes du monde arabe et musulman » d’outre-mer, qui se sont bizarrement multipliés sur les plateaux de télévision à la faveur du printemps arabe. Sauf que les uns et les autres feignent d’ignorer qu’aucun pays arabe et du Maghreb ne ressemble à la Turquie, où le principe de laïcité est sacralisé. »

* Tewfik Hakem est un journaliste indépendant. Il assure sur France Culture une émission quotidienne consacrée à la littérature.

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