Le troisième triomphe électoral de M. Erdogan 18 juin 2011
Posted by Acturca in Turkey / Turquie.Tags: AKP, élections législatives, Recep Tayyip Erdogan, Turkey / Turquie
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Marianne (France) 18 juin 2011, p. 31
Élie Barnavi
Avec près de 50 % de voix, les islamo-conservateurs du Parti de la justice et du développement (AKP) se sont assuré dimanche dernier la majorité absolue au Parlement d’Ankara, leur permettant de gouverner la Turquie sans partage pour un troisième mandat de cinq ans et faisant ainsi de leur chef, Recep Tayyip Erdogan, le leader le plus puissant depuis Atatürk.
Comment s’explique cette remarquable continuité dans un pays jadis connu pour osciller entre coalitions instables et coups d’Etat militaires ? Il y a d’abord, sous la houlette d’un parti qui se présente comme l’équivalent musulman de la Démocratie chrétienne et d’un chef populaire au charisme gouailleur, une croissance économique phénoménale – près de 9 % en 2010 – qui a hissé la Turquie au 17e rang mondial et lui a ouvert les portes du G20. Il y a ensuite ce qui reste peut-être l’accomplissement le plus glorieux de ses gouvernements : l’assujettissement au pouvoir civil d’une armée autrefois toute-puissante et volontiers putschiste. Il y a, enfin, l’émergence de la Turquie comme puissance régionale, voire internationale. Au carrefour de l’Orient et de l’Occident, musulmane mais laïque, membre de l’Otan mais porte-parole autoproclamée de la « rue arabe », la Turquie s’est imposée comme un acteur de poids dans une région dont l’instabilité même la fait apparaître comme un îlot de stabilité et un « modèle » à suivre.
Pour autant, tout n’est pas rose au pays de M. Erdogan. Le chômage atteint 12 % et les inégalités s’accroissent. Le problème des minorités reste entier, notamment celui des Kurdes et des Arméniens ; après une phase prometteuse, la Turquie est retombée dans le vieux et double tropisme du déni et de la répression. Les réformes destinées à lui ouvrir les portes de l’Union européenne sont au point mort. De toute manière, personne n’y croit plus ; d’ailleurs, le projet européen a-t-il jamais été autre chose qu’un outil pour mater les généraux ? Sur le plan extérieur, il semble bien que la posture néo-ottomane théorisée par le ministre des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu, qui vise à restaurer le lustre impérial d’antan, ait trouvé ses limites. En effet, l’environnement régional rend la position d’Ankara, à cheval entre son appartenance à l’Alliance atlantique et ses amitiés compromettantes avec tout ce que le monde compte de dictateurs, difficilement tenable.
Surtout, les tendances autoritaires du Premier ministre ont de quoi inquiéter les démocrates turcs comme les instances internationales. Des observateurs locaux et étrangers évoquent la « poutinisation » de la Turquie, l’AKP s’emparant progressivement de tous les leviers de l’Etat jusqu’à vider de son sens la séparation des pouvoirs. Les attaques contre la presse sont quotidiennes – l’index de la liberté de la presse de Reporters sans frontières a classé la Turquie en 138e position ! Plus de 60 journalistes sont emprisonnés, quelque 500 font l’objet de poursuites. L’Economist Intelligence Unit (EIU) attribue à la Turquie un régime « hybride », quelque part entre « démocraties défaillantes » et « régimes autoritaires ». Et la Turquie est régulièrement montrée du doigt par la Cour européenne des droits de l’homme.
Le résultat des élections est donc plutôt une bonne nouvelle. En effet, si l’AKP avait réussi à accaparer les deux tiers du Parlement, il aurait pu rédiger une Constitution à sa mesure et ouvrir la voie à un régime présidentiel au bénéfice d’Erdogan, assuré de rester au pouvoir au-delà de 2015. Avec « seulement » 325 sièges sur 550, il lui faudra composer avec les trois partis laïcs qui ont réussi à franchir un seuil électoral punitif de 10 %. Soudain conciliant, le Premier ministre a promis une large consultation avec l’opposition, les médias et les universitaires. Nous verrons bien..
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