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Chalayan l’humaniste 6 juillet 2011

Posted by Acturca in Art-Culture, France, South East Europe / Europe du Sud-Est.
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L’Express (France) no. 3131, mercredi 6 juillet 2011, p. STY48-51

Charlotte Brunel

Une exposition magistrale à Paris, aux Arts décoratifs, une monographie et toujours une collaboration avec Puma… L’été Chalayan sera brûlant. Une belle leçon de mode engagée et poétique, à méditer.

Est-ce qu’un créateur de mode peut faire rêver en parlant à travers ses vêtements de tolérance, d’exil ou encore de la fuite en avant d’une société obnubilée par la vitesse ? C’est en tout cas le pari du musée des Arts décoratifs, à Paris, qui vient d’inviter le très conceptuel Hussein Chalayan en ses murs. A l’heure où la crise économique européenne aiguise les sentiments xénophobes et fissure un peu plus la foi dans le progrès technologique, l’esprit visionnaire et humaniste du créateur britannique d’origine chypriote prend aujourd’hui toute sa mesure. « Je me vois comme un conteur qui insuffle des idées dans un corps », aime à dire Hussein Chalayan, du haut de ses 40 ans. De vêtements en installations, de films en défilés et en documents de travail, tels des dessins préparatoires inédits, l’exposition des Arts décoratifs (1) délaisse la chronologie pour mieux faire ressortir les thèmes fondateurs de cette incroyable mythologie de mode contemporaine. Qui aura suscité dans le milieu autant de passions que d’incompréhensions… Ainsi, depuis ses débuts, en 1993, l’ancien élève du Central Saint Martins College n’en finit pas de bouleverser notre regard sur le vêtement, lui faisant enjamber, en pionnier de la transversalité, les frontières avec l’architecture, le design ou encore l’art. Mettant en scène ses questionnements philosophiques dans des défilés spectaculaires chorégraphiés comme des performances.

« La question des barrières est un thème fondateur dans l’oeuvre de Hussein Chalayan et occupe le premier étage du musée, explique Pamela Golbin, commissaire de l’exposition. L’idée était de montrer comment ses collections lui permettent de dépasser un certain nombre de limites. » Qu’elles soient géographiques, comme dans Ambimorphus (automne-hiver 2002), qui prône le métissage des cultures avec ses vêtements traditionnels turcs peu à peu « contaminés » par des éléments occidentaux. Ou encore politiques, avec Afterwords, présentée en pleine guerre du Kosovo, sans doute sa collection la plus connue, dont les robes, dépliables en tables ou en housses de fauteuil, racontait l’exil forcé des populations. Comme un écho à sa propre histoire de déraciné. Car, loin de l’image du créateur conceptuel et désincarné qui lui a longtemps collé à la peau, l’exposition révèle au contraire la dimension autobiographique et terriblement humaine du travail de couturier. Né en 1970 à Nicosie, Hussein Chalayan a grandi dans la partie turque de l’île, séparée de la grecque par une ligne de démarcation. Une instabilité politique qui l’oblige à s’exiler à Londres avec son père…

D’île en île, le jeune Chalayan va découvrir la nécessité du changement (son nom, turc, signifie « cascade ») et l’ouverture aux autres cultures. Et deviendra d’ailleurs – un peu malgré lui – le héraut des adversaires de l’intégrisme religieux en 1997, avec son défilé de femmes nues sous leur tchador qui lui vaut les projecteurs de la presse et les foudres des barbus. Une collection qu’il est heureux d’avoir faite, à l’époque, car « aujourd’hui ce serait trop dangereux », mais dont la portée politique semble l’avoir dépassé (seule la vidéo du défilé est visible, pour éviter, dit-on, de choquer). « Ce qui est drôle, c’est que cette collection partait d’une réflexion sur la forme, raconte Pamela Golbin. Explorer les formes inconnues, à partir d’une anatomie qui elle ne varie pas, est en effet une idée clef du travail de Chalayan. » Robes avec Airbag intégré, aux ailerons déployés, déformées par la vitesse (Inertia, printemps-été 2009)…

Peu de créateurs auront poussé aussi loin dans la mode la notion de morphing, empruntant leur technologie à l’univers de l’automobile ou encore de l’aéronautique. « J’aime montrer ce processus de transformation, qui est celui même de la vie », explique-t-il. Consacré à la notion de mouvement, le deuxième étage de l’exposition explore ainsi les déplacements du corps, les migrations et la vitesse, avec en toile de fond cet avion qui est devenu son emblème et le sujet de son premier film (Temporal Meditations/Présence), réalisé en 2003. Mais ce qui est extraordinaire avec Chalayan, c’est sa façon d’utiliser la technologie pour susciter, au-delà de la réflexion ou de la prouesse, l’émotion et la poésie. Démonstration avec ses célèbres pièces mécaniques dont on pourra admirer six modèles, telle cette robe en résine de l’automne 2011 qui s’ouvre pour laisser échapper cinquante pollens en cristal Swarovski – sponsor de l’exposition -, métaphore de l’ouverture au monde du Japon d’après-guerre. Ou encore celles de la collection 111, véritable histoire de la mode mécanisée et actionnée en coulisses par les créateurs des effets spéciaux de Harry Potter. Les panneaux d’une robe New Look se soulevaient par exemple pour former une tunique très Paco Rabane. « Sa manière de travailler s’apparente à celle d’un artiste, car ses pièces spectaculaires sont en fait commandées à l’avance par des galeries d’art ou par Swarovski, qui le soutient depuis longtemps », poursuit Pamela Golbin. Aujourd’hui, pourtant, Chalayan semble avoir calmé un peu le jeu sur les shows spectaculaires pour se recentrer sur une mode plus en phase avec le corps. « Auparavant, le corps était davantage la toile sur laquelle s’imprimait une idée, aujourd’hui, il s’agit plus de la façon dont ils fusionnent », explique-t-il. Et le musée des Arts décoratifs n’est pas resté insensible à cette érotisation : ses formes épurées et cocon jouent à cache-cache avec la peau comme les transparences solaires de la bien nommée collection Dolce far niente (printemps-été 2010). Ni à sa volonté de démocratisation. Fatigué de son étiquette trop élitiste, le créateur, qui fut pourtant le premier à dessiner des vêtements pour l’enseigne Topshop à la fin des années 1990 et dirige la création de Puma depuis 2008 (voir encadré page 50), lancera pour la saison prochaine une ligne bis baptisée Grey Label. « La modernité de Chalayan réside dans cette capacité à réconcilier une démarche artistique très personnelle avec l’aspect commercial de la collection », résume Pamela Golbin.

De plus en plus schizophrène ? Cet été, l’actualité Chalayan ne faiblira pas. En plus d’une sublime monographie publiée chez Rizzoli (2), Comme des garçons vient de concevoir son premier parfum, Airborne, voyage olfactif entre sa Chypre natale et Londres, sa ville d’adoption. En attendant octobre prochain, quand le créateur défilera de nouveau à Paris, après trois saisons d’absence.

(1) Hussein Chalayan, récits de mode. Jusqu’au 13 novembre. 107, rue de Rivoli, Paris (1er), www.lesartsdecoratifs.fr
(2) Hussein Chalayan, 276 p., éd. Rizzoli, 65 €.

L’âme créative de Puma

Après avoir collaboré avec Alexander McQueen, Yasuhiro Mihara ou encore Sergio Rossi, la griffe de sport, aujourd’hui propriété du groupe PPR, avait franchi un cap en 2009, en nommant Hussein Chalayan à la direction de sa création. Un casting de rêve, tant leurs champs de réflexion et d’expérimentation sont au diapason. Mobilité urbaine, vitesse, passion pour la technologie : tout semble les rapprocher. Baptisée Urban Mobility, la collection que Chalayan dessine pour Puma n’en finit donc pas de penser le mouvement. Cet été, les vestes aux imprimés jungle se transforment en sacs, tandis que les sacs à dos s’équipent de capuches intégrées. Pour l’hiver, les fans du créateur reconnaîtront le clin d’oeil à sa collection Inertia du printemps-été 2009, dans la silhouette hérissée de piquants de sa basket Puma Clyde.

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