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Mèmed le Mince contre les gros propriétaires 7 juillet 2011

Posted by Acturca in Art-Culture, Books / Livres, France, Turkey / Turquie.
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Libération (France) jeudi 7 juillet 2011, p. Liv-6

Marc Semo

La saga de Yachar Kemal publiée en «Quarto». Conteur prolifique descendant d’antiques seigneurs kurdes, de fameux bandits et de poètes errants, Yachar Kemal reste à 88 ans le plus grand écrivain turc vivant. Longtemps il fut même, avec le poète Nazim Hikmet, le seul célèbre à l’étranger avec ses romans traduits en une trentaine de langues, et fut pressenti plusieurs fois pour le Nobel. Le premier lauréat turc fut finalement en 2006 Orhan Pamuk, romancier de talent, dont l’oeuvre néanmoins n’a ni la puissance, ni la résonance de celle de son devancier. La publication en «Quarto» de la magnifique Saga de Mèmed le Mince, classique de la littérature de la révolte, est une occasion de la redécouvrir. Mèmed est un jeune paysan affamé de justice autant que de pain. Il fuit la misère et le travail de la glèbe «avec les chardons qui vous happent la jambe comme un chien». Il refuse l’arrogance du pouvoir de l’agha, le propriétaire terrien, fort avec les faibles et faible avec les forts. Les yeux du jeune Mèmed disent tout, «sa vitalité, sa haine, son amour, sa peur, sa force». Il prend le maquis, en sachant que c’est une voie sans issue. «Jamais bandit ne sera maître du monde», dit un vieux chant turc.

Rage. C’est «un homme obligé», un homme contraint à la révolte, comme l’expliquait Yachar Kemal dans un livre d’entretiens avec Alain Bosquet, dont une version raccourcie sert d’introduction au volume qui regroupe les quatre romans. Le premier a été écrit par Kemal quand il avait tout juste 25 ans et le dernier achevé alors qu’il dépassait la soixantaine. Mais avec une même rage chevillée au corps. Tout homme qui un jour décide de dire non se retrouve en Mèmed. D’où le succès mondial de cette épopée.

Bègue. L’univers romanesque de Yachar Kemal plonge ses racines dans la terre et la violence. La terre, c’est celle de la Cukurova, la grande plaine méridionale au pied des monts du Taurus, face à la Méditerranée où s’installèrent ses parents, des Kurdes fuyant l’Anatolie orientale et la poussée des forces russes pendant la Première Guerre mondiale. En Cukurova, les Ottomans sédentarisèrent aussi de force des nomades turkmènes après avoir écrasé leur révolte, et ils y mourraient en masse décimés par les fièvres. La violence, c’est aussi celle de la vendetta, l’obsession du prix du sang dans laquelle il grandit après l’assassinat de son père, poignardé à la mosquée devant ses yeux, alors qu’il avait 4 ans. Sous le choc il resta bègue jusqu’à 12 ans. «Enfant j’avais une part en moi qui baignait dans le sang et l’autre dans l’envoûtement des rêves; une part hantée par des voleurs de chevaux et des bandits barbouillés de sang, l’autre investie par les grands conteurs d’épopées», raconte Yachar Kemal, autodidacte qui fut berger puis conducteur de tracteurs avant de se lancer dans le journalisme, puis le roman. C’est à Cumhuriyet, le quotidien de la gauche turque, à la fin des années 50 que le jeune Kemal Sadik Gökçeli, pris le pseudonyme qui le rendit célèbre. Une partie de ses reportages, Pêcheurs d’éponges, sort le mois prochain chez Bleu Autour.

Loups. Romancier ou journaliste, Yachar Kemal est d’abord un extraordinaire raconteur d’histoires. Ses longues errances et ses multiples métiers lui ont fait connaître les hommes autant que la nature. Dans Mèmed, il narre une Turquie agraire, aux montagnes toujours peuplées d’aigles et de loups. Il vit les changements, le basculement vers l’ère industrielle. «J’étais le témoin d’une tragédie», répète volontiers le romancier qui fut un écologiste de la première heure. Avec ses livres, Yachar Kemal a aussi contribué à réinventer une langue. Ce turc moderne, sans mémoire, appauvri, purgé par la révolution kémaliste des mots arabes ou persans, il le féconda avec le parler populaire.

Jusqu’au bout Yachar Kemal reste un écrivain engagé. Il fut arrêté la première fois à 17 ans parce que suspect de sympathies communistes. C’est d’ailleurs devant un tribunal qu’eut lieu la première lecture publique de la première de ses nouvelles, «Le nouveau-né». «Le juge me confia après qu’il avait beaucoup aimé l’histoire», raconte-t-il en riant. Ce Kurde qui pense et écrit en turc s’est de longue date battu pour les droits des siens, ce qui lui valut pas mal de procès et de menaces de mort. Mais jamais il ne capitula. «Je suis trouillard et je déteste les héros, mais comme beaucoup d’hommes je ne peux m’empêcher de courir au-devant de ma peur», nous confiait-il une fois. Comme Mèmed le rebelle qui poursuit sans trêve son combat contre les aghas, ces tyrans de la terre devenus patrons d’usine ou de holding : «Aujourd’hui, derrière le vernis capitaliste le comportement des aghas n’a pratiquement pas changé.»

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