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Islam-Occident : la nécessité d’une vision 31 août 2011

Posted by Acturca in EU / UE, Immigration, Middle East / Moyen Orient, Religion.
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Le Figaro (France) no. 20863, mercredi 31 août 2011, p. 15

Alain-Gérard Slama

Les civilisations sont comparables à des fleuves. Elles débordent, envahissent, saccagent, puis rentrent dans leur lit. C’était la grande leçon de Fernand Braudel dans sa thèse sur la Méditerranée. Ce fut aussi, dans les années 1930, celle d’Henri Pirenne qui démontra que les sociétés musulmanes ne se sont jamais vraiment mélangées au monde européen, et qu’elles n’ont jamais été perméables à son influence. L’orientaliste Bernard Lewis, qui nous donne sous la forme d’un recueil d’articles originaux ou révisés le condensé précis et nuancé d’une oeuvre immense*, prolonge la même analyse en soulignant que, selon la doctrine de l’islam, il n’est pas acceptable qu’un bon musulman veuille quitter son pays pour s’établir à jamais en terre infidèle.

En une période hypnotisée par le présent, ces trois réflexions, que toute l’actualité semble démentir, ont la vertu d’un rappel à l’ordre : elles obligent à poser le problème des relations de l’Occident avec l’islam en situant celui-ci dans la longue durée. Deux facteurs ont en effet fortement bousculé ces relations. Mais, à moins de prévoir le pire, ces facteurs ne remettent pas nécessairement en cause la « loi » fondamentale, qui est la vocation des civilisations à se recentrer, tôt ou tard, sur leur espace propre.

Le premier de ces facteurs d’affrontement résulte de la démographie. Des millions de musulmans, attirés par la recherche de meilleures conditions de vie, sont devenus citoyens de plein droit en Europe. Ils revendiquent le même droit en Allemagne. Parmi eux, beaucoup, sinon la plupart, ne sont pas pour autant devenus des citoyens à part entière, compte tenu de leur attachement à une religion dans laquelle Dieu et César, le droit divin et l’État, la communauté et la société ne font qu’un. L’intégration à un modèle laïque de fidèles qui se définissent par rapport à leur seule religion, et pour lesquels ceux qui ne partagent pas leur croyance sont des infidèles n’est certes pas une mission facile ; elle reste pensable quand il s’agit de minorités éduquées, désireuses de se plier aux lois du pays d’accueil. Elle devient impossible quand elle se heurte au grand nombre.

Le second facteur est le déclin économique de pays qui ne peuvent plus en imputer la responsabilité au colonisateur. De là une colère qui engendre deux types de réponses. L’une, à l’oeuvre au Moyen-Orient, est le rejet des régimes dictatoriaux, qui se sont imposés au nom du progrès, et qui se voient accuser d’être les principaux obstacles à la modernisation.

Sans céder à la tentation de copier les valeurs occidentales, les révoltés du « printemps arabe » recherchent une voie vers la démocratie, et c’est un devoir pour l’Europe de les y aider, dans la mesure où, note Lewis, si les deux civilisations n’ont pas la même conception de la liberté, elles partagent la même aspiration à la justice.

L’autre réponse impute l’échec du monde musulman à la trahison de la religion ancestrale et à la nécessité de revenir à l’islam authentique. Sans être nécessairement violents, ses inspirateurs se réclament eux aussi de la démocratie, comme en Iran, mais ils travaillent à une restauration islamique qui n’est pas à exclure en Turquie. Leur frange extrême prétend renouer avec une interprétation impérialiste du djihad que Khomeyni a réveillée en lançant, contre Rushdie, une fatwa en dehors des limites de l’Oumma ; après avoir pris pour cible l’empire soviétique, cette lecture abusive du Coran a été retournée contre les États-Unis le 11 septembre 2001, et l’Europe, déjà touchée à Londres et à Madrid, aurait tort de se croire à l’abri.

Quand on les situe dans le long terme, on mesure l’erreur de considérer ces deux changements comme des ruptures irréversibles. La prise en compte de l’aspiration de toute civilisation à persévérer dans son être devrait conduire plutôt vers un tout autre cap : l’Europe ne doit pas se faire d’illusions sur sa capacité d’influencer l’islam. Mais elle doit renouer avec l’initiative de l’Union pour la Méditerranée, qui permettrait à la fois de mieux maîtriser l’immigration et d’aider au développement des pays du Sud. Il n’y a rien là de bouleversant, dira-t-on. Il n’est pas indispensable de s’appuyer sur Lewis, Pirenne et Braudel pour arriver à cette conclusion. Sans doute, mais une politique ambitieuse, pour éviter d’être réduite à de médiocres calculs, a besoin de cette prise de hauteur historique que l’on appelle une vision.

* Bernard Lewis, « Le Pouvoir et la Foi. Questions d’islam en Europe et au Moyen-Orient », éditions Odile Jacob.

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