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Syrie : symbole de l’évolution de la diplomatie turque 10 novembre 2011

Posted by Acturca in Middle East / Moyen Orient, Turkey / Turquie.
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Atlantico.fr (France) 10 novembre 2011

Guillaume Lagane *

Autrefois ouverte à un rapprochement avec l’Occident, la Turquie s’est par la suite rapprochée de ses voisins frontaliers, notamment l’Iran. Mais le Printemps arabe a changé la donne…

Face aux bouleversements du Moyen-Orient, la Turquie est souvent présentée comme une pièce maîtresse d’un jeu complexe dont elle tirerait les ficelles. En réalité, la diplomatie turque semble avoir des difficultés à suivre une ligne claire. D’abord très hésitante en Libye, elle pourrait, face à la crise syrienne, faire le choix d’une ligne néo-conservatrice d’exportation de la démocratie.

Pendant un demi-siècle, l’axe majeur de la politique étrangère turque fut le rapprochement avec l’Occident. Seul État musulman à rentrer dans l’OTAN (1952), elle cherche durant toute la période à renforcer son lien avec l’Europe, allant même jusqu’à participer à l’UEFA (voir les succès du club de Galatasaray). Il s’agit pour le pays de se moderniser, dans le sillage de la politique de Mustafa Kemal, qui a créé la Turquie sur les cendres de l’empire ottoman. Par voie de conséquence, la Turquie se désintéresse du Moyen-Orient, entretenant des relations très tendues avec la Syrie d’Hafez el-Assad, grand allié de l’Union soviétique.

A partir des années 2000, la montée en puissance de l’islamisme politique, avec la victoire de l’AKP, a modifié cette ligne traditionnelle. Certes, l’AKP a engagé de nombreuses réformes démocratiques, saluées par l’Union européenne. Mais Ankara s’est aussi lassée des atermoiements de l’UE. La Turquie a plutôt redécouvert son environnement régional et lancé une politique de « zéro problème avec ses voisins ». Au fur et à mesure que le gouvernement se libérait du poids de l’armée dans la définition de sa politique, on a ainsi assisté à un spectaculaire rapprochement avec l’Arménie, l’Irak, l’Iran et surtout la Syrie.

Cette politique d’influence « néo-ottomane », retrouvant la géographie de l’empire ottoman, a poussé la Turquie vers des positions plutôt hostiles à l’Occident. Ainsi, elle adopte une politique de conciliation avec l’Iran, malgré son programme nucléaire et la répression des manifestations. Elle met un frein à son alliance avec Israël. Son « modèle » de conciliation entre islam et démocratie devient certes la référence obligée. Mais Ankara se refuse à faire la promotion des droits de l’homme et de la démocratie dans la région. Hostile à la guerre en Irak en 2003, la Turquie ne semble intéressée que par le développement des relations économiques.

Mais les « révoltes arabes » fragilisent la position turque. En Libye, Ankara a au départ refusé l’intervention militaire de l’OTAN. Apparaissant en retrait dans la défense des populations libyennes, la Turquie a semblé privilégier une ligne médiane entre Kadhafi et le CNT. Surtout, les révolutions arabes montrent que la Turquie n’a rien à gagner au maintien du statu quo régional. Les opinions arabes aspirent moins au rejet des idées démocratiques occidentales qu’à leur adoption.

C’est pourquoi, depuis quelques semaines, la diplomatie turque semble à nouveau changer de direction. Après avoir été d’une grande prudence face aux manifestations en Syrie, elle appuie de plus en plus ouvertement le Conseil national syrien (CNS). Si elle n’a pas été jusqu’à le reconnaître comme représentant de la Syrie, à l’instar des nouvelles autorités libyennes, elle met désormais son poids au service de l’opposition syrienne, y compris peut-être dans ses actions armées. Elle fait sans doute le pari qu’elle pourrait profiter de l’arrivée au pouvoir d’une majorité sunnite à Damas. Elle cherche aussi à incarner une Turquie nouvelle, à la fois impliquée dans son environnement régional et décidée à promouvoir les idées démocratiques. Il s’agit donc peut-être donc, pour la diplomatie d’Ankara, d’une mutation nouvelle : de « néo-ottomane », elle deviendrait « néo-conservatrice »

* Guillaume Lagane est un haut fonctionnaire spécialiste des questions de défense. Il est également maître de conférences à Science-Po Paris. Il est l’auteur de Questions internationales en fiches (Ellipses, 2010).

Commentaires»

1. Ergin Ozdemir - 11 décembre 2011

La diplomatie turque, conjugue des objectifs, des moyens, avec une conscience critique. En cela elle converge avec la modalité de la théorie politique que tous les pays utilisent. Ni la religion, ni l’ethnie, ni le passé historique ne sont le paradigme du dynamisme de la politique turque. Parce que d’une part l’espace géopolitique avec ses possibilités, ses problèmatiques, en tant que point d’intersection des volontés libres des acteurs géoplotiques et d’autre part la compétence des acteurs géopolitiques et les moyens dont disposent les acteurs géopolitiques constituent le véritable paradigme critique de la politique turque. En cela la politique étrangère de l’UE, des États Unis, d’Israel, de la France, de la Russie, de la Ligue Arabe constituent, la matière première de la politique étrangère de la Turquie.
L’ottomanité, la traditionnalité, l’islamité, ne veulent pas dire grand chose du moins leur pertinence est très limitées face à une autre modalité d’ analyses dynamiques, plus radicales, plus profondes, plus responsables. La vraie analyse souligne l’importance de la volonté des acteurs, et leur capacité à coopèrer pour les mêmes défis.

Par exemple alors que le monde est en attente d’éducation, de santé, de travail, de culture. Certains États participent à l’armement des tyrans, les mêmes États décident de destituer un tyran pour amener un autre. Tant que les efforts ne convergent pas autour des mêmes objectifs sérieuses conforme à l’environnement social durable les problèmes de base ne seront pas résolus.

Les analyses doivent rappeler notre interdépendence surtout dans la géopolitique. Un autre exemple: la France et l’Europe sont responsables de l’orientation géopolitique de la Turquie, et cela fait plusieurs décennies qu’elles fuient leur responsabilité par le blocage de l’adhésion à l’UE.

Le projet de AKP est de participer à l’existence et au fonctionnement d’un milieu géopolitique prospère et humaniste. AKP n’est pas très expérimenté, et la Turquie n’est pas très riche, sans la volonté générale des acteurs politiques décidées à être plus intelligent plus constructif la Turquie ne peut grand chose. L’ottomanité, l’islamité, la turcité, modernité, traditionnalité ces étiquêtes sont vides de sens si elles ne peuvent rejoindre la volonté libre et dynamique de la Turquie et des autres acteurs.

Je ne suis pas membre de AKP, je suis franco-turc et je vis au Canada, mon regard se veut universitaire. La diplomatie turque se forge à l’intersection de la diplomatie des autres pays, son orientation dépend de cette interaction pas toujours responsable face aux défis humanistes. On dispose des moyens et de la volonté, il nous reste à les conjuguer dans le même sens avec intelligence.


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