Séisme : les négligences coupables de la Turquie 12 novembre 2011
Posted by Acturca in Istanbul, Turkey / Turquie.Tags: Bursa, catastrophe naturelle, construction, Istanbul, rénovation urbaine, séisme, tremblement de terre, Turkey / Turquie, Van
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Le Monde (France) samedi 12 novembre 2011, p. 8
Guillaume Perrier
La ville de Van a subi un nouveau séisme mercredi 9 novembre, un de trop. La secousse, de magnitude 5,6 sur l’échelle de Richter, n’était pas d’une puissance aussi importante que celle qui a frappé la région le 23 octobre (7,2). Celle-là avait fait 603 morts et plus de 5 000 blessés, endommagé les trois quarts des bâtiments de la région, à majorité kurde, et rendu environ 15 000 d’entre eux inhabitables.
Mercredi soir, après les centaines de répliques enregistrées depuis deux semaines, 25 immeubles du centre-ville, déjà fragilisés, se sont effondrés. Parmi eux, deux hôtels, dont l’un, un édifice de six étages, abritait des journalistes et des secouristes. Une douzaine de morts ont été retirés des décombres. Vingt-cinq personnes ont pu être sauvées, mais plusieurs dizaines restent portées disparues.
Comment ces établissements ont-ils pu être autorisés à rester ouverts ? Sur les lieux du désastre, le vice-premier ministre Bechir Atalay a été accueilli par une population excédée, qui a lancé des appels à sa démission. Ces deux derniers tremblements de terre montrent une nouvelle fois l’état d’impréparation des autorités turques face à ces catastrophes à répétition.
La polémique sur l’état du bâti dans un pays traversé par trois failles sismiques est relancée. Après le double séisme d’Izmit, en 1999, qui avait fait près de 20 000 morts, le même constat s’imposait déjà : les constructions insalubres, illégales, les permis de construire douteux et l’urbanisation sauvage avaient été pointés du doigt pour expliquer le nombre très élevé de victimes. Plus de 1 000 personnes étaient mortes sous des immeubles écroulés dans des quartiers populaires d’Istanbul, situés à plus de 80 km de l’épicentre du séisme. Depuis des années, les scientifiques et les urbanistes ne cessent de tirer la sonnette d’alarme, soulignant la fragilité des métropoles turques en cas de dégâts majeurs. Sans grand succès. Sur 1 730 écoles répertoriées comme « vulnérables », à peine un quart a été rénové depuis le séisme de 1999, souligne Cemal Gökçe, de la chambre des ingénieurs civils d’Istanbul. La faille nord-anatolienne passe à 25 km au sud des côtes de la ville, qui compte environ 15 millions d’habitants, et les sismologues de l’institut de Kandilli prédisent une secousse d’une puissance équivalente à celle de Van d’ici moins de trente ans.
Le gouvernement turc promet cette fois d’agir. Le premier ministre Recep Tayyip Erdogan a menacé les « meurtriers » qui officient dans le secteur de la construction et s’est engagé à lancer un grand plan de rénovation urbaine sponsorisé par l’Etat, à l’échelle nationale. Sur les 19 millions de maisons et d’immeubles d’habitation en Turquie, les spécialistes estiment qu’une bonne moitié subirait des dommages en cas de séisme. Pour les mettre aux normes, les renforcer ou les reconstruire de manière « sûre et durable », l’Etat devra investir une somme chiffrée à 255 milliards de dollars (187 milliards d’euros). Les municipalités turques se sont lancées dans un inventaire effrayant. A Bursa, proche de la faille nord-anatolienne, environ 40 000 bâtiments à reconstruire ont été recensés. A Istanbul, le chiffre pourrait s’élever à 250 000, notamment dans les quartiers périphériques récents, densément peuplés, où dominent des immeubles de grande hauteur.
Les entreprises de construction, un secteur florissant de l’économie turque, ont de quoi se montrer satisfaites devant de telles perspectives. Le président de l’association des promoteurs immobiliers, Faruk Celik souhaite que ce plan de rénovation urbaine soit lancé dans les plus brefs délais.
Mais le problème de la Turquie reste sa capacité à financer de tels chantiers. La société immobilière TokI, propriété de l’Etat, a construit 43 000 logements aux normes anti-sismiques à Istanbul depuis 2002, selon M. Erdogan. Les grands projets de villes nouvelles annoncés par le premier ministre au printemps pourraient servir de moteur, estime Serdar Inan, PDG d’une entreprise de construction. « Une ville nouvelle de 3 millions d’habitants coûterait des centaines de millions de dollars, mais pourrait en rapporter le double. Il faut satisfaire le fort intérêt des investisseurs étrangers avec des projets durables et solides », poursuit-il.
Si l’enrichissement des constructeurs semble assuré, la sécurité des habitants d’Istanbul l’est moins. Les constructions neuves ne sont pas toujours les plus sûres, loin s’en faut. « Tant que la politique sera financée par les entrepreneurs du secteur de la construction, il n’y a pas de raison que cela change », souligne Mehmet Altan dans le journal Star. Plusieurs ministres sont d’anciens patrons du BTP, notamment celui de l’environnement et de la planification urbaine, Erdogan Bayraktar.
Les pratiques frauduleuses, les ajouts d’étages illégaux, les permis complaisants délivrés par les municipalités, provoquent chaque année des accidents. En plein coeur d’Istanbul, sur l’avenue piétonne Istiklal, un immense centre commercial, installé dans un ancien immeuble néoclassique, propriété d’un riche homme d’affaires, en bons termes avec le gouvernement, a été autorisé à ouvrir en début d’année. Avec deux étages de plus que le bâtiment d’origine.
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