Le choc du terrorisme néonazi 17 novembre 2011
Posted by Acturca in EU / UE, Immigration.Tags: Allemagne, crime raciste, EU / UE, extrême droite, néonazi
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Libération (France) jeudi 17 novembre 2011, p. 1-8-9
Nathalie Versieux
Scandale en Allemagne, où trois tueurs d’extrême droite ont semé la terreur pendant une dizaine d’années. Des spécialistes dénoncent le laxisme de la police ou, pire, des protections.
L’explosion a dû être phénoménale. Le 4 novembre, sous le coup de la déflagration, les murs extérieurs du premier étage de cette maison mitoyenne, au numéro 26 de la Frühlingstrasse à Zwickau, se sont effondrés dans le petit jardin qui l’entoure. Des tas de briques s’y empilent désormais, dans l’attente des bulldozers qui viendront tout raser quand l’enquête aura pris fin. Du toit, il ne reste que des poutres calcinées. Les tuiles ont été projetées sur des centaines de mètres et c’est un miracle si personne n’a été blessé. Les deux couvreurs qui travaillaient sur place ce jour-là faisaient une pause-café au moment de la déflagration.
«Nous avons tout de suite pensé aux habitants», raconte un retraité, toujours sous le choc. Il habite en face de la ruine, dans un pavillon propret, comme toutes les maisons de ce quartier tranquille du nord-ouest de Zwickau – une ville de 120 000 habitants du sud de l’ex-RDA, non loin de la frontière tchèque. La Frühlingstrasse («rue du Printemps»), située dans le quartier huppé de Weissenborn, est une adresse recherchée à Zwickau. Au bout de la rue, les champs rappellent que l’on se trouve en lisière de la ville. Un gage de discrétion pour les habitants du numéro 26… Car, comme le révèlent les traces d’explosifs retrouvées dans les ruines, l’explosion est d’origine criminelle. Le constatant le jour du sinistre, la police a rapidement fait appel à des forces spéciales.
«Carrière». Avant de faire sauter son logement, le 4 novembre vers 15 heures, Beate Zschäpe, 36 ans, prend soin de confier ses deux chats à une voisine interloquée avant de disparaître en voiture. Quelques secondes plus tard, retentit la détonation. Il faudra plusieurs heures aux enquêteurs pour faire le rapprochement entre l’explosion de Zwickau et les deux cadavres calcinés retrouvés le matin même à 140 kilomètres de là, dans un camping-car à Eisenach : les deux morts – Uwe Mundlos, 38 ans, et Uwe Böhnardt, 34 ans – sont les colocataires de Beate Zschäpe. Tous trois appartenaient à la scène néonazie et vivaient dans la clandestinité depuis 1998. Les enquêteurs leur attribuent les assassinats particulièrement brutaux de neuf étrangers et d’une policière – tous froidement exécutés d’une ou plusieurs balles dans la tête – et quatorze braquages ou vols à main armée au cours des treize dernières années. Une telle «carrière», assurent des spécialistes de la sécurité, n’aurait pas été possible sans un incroyable laxisme ou des protections. Du coup, l’explosion de Zwickau, qui ressemblait de prime abord à un banal fait divers, a pris ces derniers jours les dimensions d’un vaste scandale politique outre-Rhin. «Le fait est que depuis la Fraction armée rouge, les forces de l’ordre sont beaucoup plus sensibles au terrorisme de gauche et ont tendance à sous-estimer la gravité du terrorisme de droite», estime Toralf Taud, auteur d’un livre consacré à l’extrême droite.
D’après ce que les enquêteurs ont pu reconstituer, les deux Uwe ont respecté, en fin de cavale, le 4 novembre, un scénario prévu de longue date, se donnant la mort d’une balle dans la tête pour ne pas être livrés à la justice. Masqués et vêtus de noir, ils venaient de braquer une banque d’Eisenach, en ex-RDA, et de se replier à vélo vers leur camping-car, garé dans un quartier tranquille de la ville. Ayant compris que la police était à leurs trousses, les deux hommes mettent le feu au véhicule et se suicident, après avoir demandé par téléphone à leur complice, Beate, de faire disparaître toute trace de leurs activités dans leur appartement de Zwickau. Après quatre jours de cavale, Beate Zschäpe s’est livrée à la police le 8 novembre et garde le silence depuis. En début de semaine, la police arrêtait un quatrième suspect présumé près de Hanovre. L’homme, qui assure avoir quitté la scène néonazie, effectuait régulièrement des virements pour le compte des trois complices.
Mountain Bike.«En fait, dans le voisinage, personne ne les connaissait vraiment. Ils ne venaient jamais aux fêtes de quartier et s’absentaient souvent pendant plusieurs jours», commente une habitante en train de promener son chien. La seule chose qui avait attiré l’attention du voisinage était la passion des deux hommes pour les randonnées en mountain bike. Les trois tueurs s’étaient aménagé une petite salle de sport dans leur logement sous les toits. «Evidemment, maintenant on comprend mieux tout ça», affirme le retraité d’en face. Pour les voisins, Beate Zschäpe s’appelait Mandy Struck, et elle partageait son logement avec son frère et son compagnon. Le loyer – 550 euros plus 250 euros de charges – était ponctuellement payé le 25 de chaque mois. La jeune femme possédait également de faux papiers, tout comme les deux hommes, au nom de Susann Dienelt.
Dans les ruines calcinées de Zwickau, les enquêteurs ont retrouvé des billets de banque provenant de braquages antérieurs, l’arme et les menottes de deux policiers agressés en 2007 (une policière abattue, son collègue gravement blessé par balle) à Heilbronn, dans l’ouest du pays, ainsi que du matériel vidéo attestant d’activités néonazies, notamment la photo de neuf étrangers – huit Turcs et un Grec -, mystérieusement assassinés par balle entre 2000 et 2006. Les victimes, tous de petits commerçants, semblent avoir été choisies au hasard en Bavière, dans l’ouest ou le nord du pays. Cette série de meurtres, dits «du kebab», n’avait jamais été élucidée.
Le matériel saisi semble également indiquer que le trio s’apprêtait à sortir de l’ombre et envisageait de s’en prendre à des politiciens conservateurs et verts, et à des associations musulmanes. La police a saisi des tracts signés d’une mystérieuse «Clandestinité national-socialiste» – NSU -, déjà sous enveloppe et destinés à des agences de presse. L’enquête devra déterminer si le groupe est aussi l’auteur de cinq autres affaires à caractère néonazi, notamment l’explosion d’une bombe dans une rue habitée par des Turcs allemands, à Cologne en 2004, et la profanation de cimetières juifs à Sarrebruck et Berlin. Les coupables n’ont jamais été retrouvés.
Arsenal. Comment ce groupuscule a-t-il pu vivre dans la clandestinité, sous de fausses identités, et commettre une telle série de crimes sans être inquiété ? La presse et certains spécialistes de la sécurité sont persuadés que les trois complices ont été protégés. Même si l’Office de protection de la Constitution (les services de renseignements chargés de la lutte antiterroriste) nie avoir collaboré avec eux pour infiltrer la scène d’extrême droite. Le quotidien Tagesspiegel assurait hier qu’un indicateur de l’Office se trouvait sur place lors d’au moins un des crimes racistes attribués au groupuscule : l’assassinat d’une balle dans la tête du patron turc d’un café Internet, Halit Yozgat, 21 ans, en avril 2006 à Kassel. L’indicateur, baptisé «le petit Adolf» dans son village, tchattait sur place avec sa maîtresse pour échapper à la vigilance de son épouse sur le point d’accoucher…
«J’ai l’impression que nous allons encore apprendre des choses très intéressantes», assure Hans-Peter Uhl, le spécialiste des questions de sécurité intérieure de la CSU bavaroise (chrétiens démocrates), tandis que le SPD (socio-démocrates) exige la constitution d’une commission d’enquête parlementaire sur cette affaire et que la communauté turque s’indigne, assurant réfléchir à l’organisation d’un mouvement de protestation. Le fait est que les trois complices étaient connus de longue date des forces de l’ordre. On les retrouve dans les années 90 aux côtés des néonazis de Jena, en ex-RDA, dans les rangs d’une milice, les «camarades de Thuringe». En 1998, ils tombent dans le collimateur de la police après la découverte d’un arsenal dans un garage de Jena : explosifs, armes, matériel de propagande néonazie… Les trois jeunes gens, démasqués alors qu’ils fabriquaient une bombe, parviennent à s’enfuir et passent dans la clandestinité. Débute alors leur sanglante cavale de treize ans. Sans que la police ne parvienne à les inquiéter et que l’opinion ne soit informée. Hier, le ministre de l’Intérieur, choqué par l’affaire, s’est prononcé en faveur de la création d’un fichier qui recenserait les extrémistes de droite considérés comme dangereux.
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