Le danger du nucléaire au Moyen-Orient 17 novembre 2011
Posted by Acturca in Middle East / Moyen Orient.Tags: Iran, Israël, Paul Quilès, prolifération nucléaire, ZEAN, zones exemptes d'armes nucléaires
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Le Figaro (France) no. 20930, jeudi 17 novembre 2011, p. 14
Paul Quilès
L’ancien ministre de la Défense plaide pour faire du Moyen-Orient une zone exempte d’armes de destruction massive. Il est rare que la sagesse des dirigeants des nations soit le principal moteur de l’histoire. Et pourtant, le recours à cette vertu serait aujourd’hui indispensable pour éviter un redoutable embrasement du Moyen-Orient. Bien sûr, ce n’est pas la première fois que cette partie du monde se trouve confrontée à conflit régional. Mais, cette fois-ci, la situation est inquiétante, compte tenu de deux facteurs particulièrement aggravants : les instabilités politiques intérieures des principaux acteurs et la nucléarisation rampante de la région.
Le plus à craindre, c’est la tentation – malheureusement fréquente – qu’ont les gouvernements en difficulté d’agiter le chiffon rouge du conflit avec les voisins et de s’engager dans un conflit armé quand ils veulent faire taire des troubles politiques intérieurs et « reprendre la main ». Les pays européens en savent quelque chose, puisqu’ils s’en sont quasiment fait une spécialité pendant mille ans, jusqu’à l’émergence de l’Union européenne. L’histoire du Moyen-Orient est intimement liée à la politique intérieure et à la géopolitique régionale. On pense bien sûr au « bloc » israélo-palestinien, mais cela concerne également l’Égypte, où le président Sadate a été assassiné après avoir signé la paix avec Israël, la Jordanie, où l’importance de la population palestinienne est ressentie comme une menace par les vieilles familles jordaniennes, ou encore le Liban, où le Hezbollah a disséminé son arsenal sur le territoire national en invoquant le risque d’une attaque israélienne.
Jusqu’ici, les conflits du Moyen-Orient, même les plus violents et les plus meurtriers, ont eu recours à ce que l’on nomme l’armement « conventionnel ». Or, depuis quelques temps, la menace de l’arme nucléaire se fait plus inquiétante. Alors que l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) vient de suggérer que l’Iran cherche bel et bien à se doter de cet armement, un vif débat a lieu en Israël, pays doté de la capacité de frappe nucléaire, sur l’opportunité d’une frappe militaire contre les installations de la République islamique. Sauf à considérer que l’évocation de cette menace correspond à de la pure gesticulation diplomatique, le danger est réel de voir la possession de l’arme nucléaire – et, peut-être son utilisation – venir au premier plan des risques qui menacent le Moyen-Orient.
D’un côté, Israël, qui n’a jamais été bavard sur ses capacités nucléaires et qui n’est pas signataire du TNP (traité de non-prolifération), applique la « doctrine Begin », qui consiste à empêcher ses adversaires régionaux de se doter d’armes atomiques, comme il l’a déjà fait en Irak en 1981 et apparemment en Syrie en 2007.
De l’autre, le gouvernement iranien, qui a dû affronter l’importante « vague verte » de contestation de la jeunesse après les élections de 2009, ne se prive jamais d’utiliser le « danger sioniste » pour tenter de retrouver une popularité largement érodée. Il le fait avec d’autant plus d’assurance qu’il semble bien que le dossier nucléaire fasse l’objet d’un assez large consensus en Iran.
Entre les deux se trouve la Syrie, alliée à l’Iran, dont on soupçonne qu’elle s’est intéressée encore récemment au développement d’un programme nucléaire militaire. La révolte populaire qui s’y manifeste pourrait bien se muer en révolution armée par l’émergence de groupes de déserteurs offensifs, dont certains, appelant à ce qu’on les fournisse en armes et munitions, opéreraient depuis la Turquie. Suspendu de la Ligue arabe, isolé, Damas a menacé les Occidentaux en cas d’intervention armée sur son territoire. Une intervention israélienne en Iran aurait donc des conséquences incalculables, dans ce contexte alliant instabilité interne et instabilité régionale.
Six « zones exemptes d’armes nucléaires » (ZEAN ) se sont volontairement imposé une telle restriction. Pourquoi le Moyen-Orient ne suivrait-il pas cet exemple vertueux ?
La voie de la sagesse, à l’inverse de celle dans laquelle semblent vouloir s’engager les protagonistes de la région, consisterait à faire du Moyen-Orient une « zone exempte d’armes nucléaires » (ZEAN) et, plus généralement, d’armes de destruction massive et de leurs vecteurs. Les précédents existent, puisque, entre 1961 et 2009, pas moins de six ZEAN se sont volontairement imposé une telle restriction, destinée à assurer leur stabilité au travers de traités spécifiques : Amérique latine et Caraïbes, Pacifique Sud, Asie du Sud-Est, Asie centrale, Afrique, Antarctique. Pourquoi le Moyen-Orient ne suivrait-il pas cet exemple vertueux, plutôt que de s’adonner à une course aux armements nucléaires aussi suicidaire qu’absurde, menaçant sa sécurité bien plus qu’elle ne l’assure ?
Cette vision peut sembler excessivement optimiste, dans la mesure où elle suppose que les leaders de la région retrouvent la raison et travaillent plus à préparer la paix que les futurs événements belliqueux qui entraîneraient un nouveau cercle infernal de représailles sans fin. Mais sans doute le printemps arabe offre-t-il une chance de porter au pouvoir des gouvernements sensibles aux aspirations de leurs peuples et donc désireux d’un nouveau climat de paix et de sécurité dans la région.
Cette vision d’un Moyen-Orient libéré du spectre des armes de destruction massive prendrait tout son sens si les cinq « États dotés de l’arme nucléaire » – États-Unis, Russie, Chine, France, Grande-Bretagne – reconnus comme tels dans le TNP et qui sont également ceux dont l’influence est forte au Moyen-Orient, la demandaient avec détermination. Il leur suffirait pour cela de s’engager sérieusement à mettre en oeuvre la déclaration sur le Moyen-Orient adoptée dans le cadre de la dernière conférence d’examen du TNP. Ce texte prévoit l’organisation par le secrétaire général des Nations unies « en consultation avec les États de la région », d’une conférence sur la création d’une « zone exempte d’armes de destruction massive et de leurs vecteurs » au Moyen-Orient dès 2012.
Pour être crédibles, il faudra bien sûr qu’ils donnent l’exemple en relançant les négociations de désarmement nucléaire, comme l’article VI du TNP leur en fait obligation. Rappelons que cet article, indissociable des autres dispositions du traité, prescrit aux États nucléaires de « poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire ». En auront-ils la volonté ?
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