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La Turquie joue avec le feu en œuvrant à la chute d’Al Assad 1 décembre 2011

Posted by Acturca in Middle East / Moyen Orient, Turkey / Turquie.
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L’Humanité Dimanche (France) 1 décembre 2011

Bayram Balci *. Entretien réalisé 
par Lorène Barillot

Alors que la Ligue arabe et l’UE durcissent leurs sanctions contre Damas, la Turquie menace. Membre actif de l’OTAN, elle table sur une chute de Bachar Al Assad mais elle s’expose, en retour à la sécession active des Kurdes de Turquie.

HD. La Turquie a-t-elle un intérêt à intervenir en Syrie?

Bayram Balci. Je ne pense pas que la Turquie veuille intervenir de gaieté de cœur. Si intervention turque il y a, directe ou indirecte, elle sera le résultat d’une résignation, parce que les voies de la diplomatie et de la persuasion auront été épuisées. Le gouvernement préférerait éviter l’ingérence des puissances occidentales, et des autres, dans les affaires régionales. Mais il va devoir se résigner à mettre en place avec l’Occident et certains États arabes un plan d’intervention pour que la chute du régime n’engendre pas le chaos et l’insécurité dans la région. Pour que l’évolution du régime, dont la fin paraît proche, ne se fasse pas au détriment de la Turquie, qui a une très longue frontière avec la Syrie.

HD. Pourquoi la Turquie opère-t-elle un revirement alors qu’elle avait au départ critiqué les pressions internationales et refusé de demander le départ de Bachar Al Assad?

B. B. Par principe, les architectes de la diplomatie turque ont tout fait pour que, par la voie du dialogue, le régime reste en place mais profondément réformé. Car la Turquie a peur que le changement de régime n’engendre violence et instabilité au plan régional. Mais le refus du régime de se réformer et la montée de la violence contre les manifestants sont en train de contraindre les autorités turques à changer d’attitude, pour s’orienter vers un interventionnisme, qui est loin d’être le choix préféré d’Ankara.

HD. Une intervention de la Turquie serait-elle, pour elle, une manière de régler le problème kurde?

B. B. Il est l’une des principales raisons qui fait hésiter la Turquie. Une intervention pourra pousser les partis kurdes de Syrie à mieux se réorganiser et à tisser des liens solides avec les organisations kurdes de Turquie. Dans le camp turc, prédomine la crainte qu’une intervention internationale en Syrie n’y favorise l’émergence d’une autonomie kurde, comme ce fut le cas en Irak grâce à l’installation des troupes américaines après la destitution de Saddam Hussein. Cette crainte d’un nouveau pouvoir autonome kurde frontalier avec la Turquie, dont les conséquences seraient néfastes sur la gestion par Ankara de son propre problème kurde, joue un rôle crucial dans la manière dont la Turquie se positionne sur le dossier syrien. Une intervention directe semblerait être pour la Turquie le meilleur moyen de veiller à ce que la question kurde en Syrie n’évolue pas contre ses intérêts.

HD. Que peut faire la Turquie concrètement?

B. B. La Turquie est face à un véritable dilemme. D’un côté, elle va vite s’apercevoir que pour faire tomber le régime de Bachar Al Assad, elle va devoir rompre ses liens commerciaux avec lui. Elle n’est en effet pas censée continuer à entretenir des relations commerciales avec un régime dont tout le monde, y compris les Turcs eux-mêmes, souhaitent le départ. Mais elle se heurte à une difficulté de taille : plus que le commerce turco-syrien, les échanges avec de nombreux pays de la région (Jordanie, Arabie saoudite, Égypte) en prendraient un sacré coup. Car les produits turcs, pour atteindre ces pays, transitent inévitablement par le territoire syrien.

HD. Pourquoi la Turquie hésite-t-elle à intervenir?

B. B. C’est une constance de la politique turque que de limiter les interventions, militaires de surcroît, dans les pays voisins. Au Moyen-Orient comme partout, il est aisé de fixer une date d’intervention, mais quasiment impossible de prévoir les voies et les modalités de sortie. La Turquie a aussi des raisons objectives d’être inquiète face à une intervention militaire en Syrie. D’abord, le contexte et la situation politique sont incertains. C’est toujours hasardeux de se lancer dans une intervention militaire dont on peut difficilement prévoir les effets imprévus. Ensuite, la Turquie craint qu’une intervention militaire, même avec les Occidentaux et l’ONU, ne puisse aggraver son image. Héritière directe de l’Empire ottoman, elle est déjà parfois perçue comme une puissance émergente hégémoniste avec quelques relents d’empire. Toutefois, le fait que la Ligue arabe ait condamné et exclu la Syrie de son club a de quoi encourager la Turquie à intervenir, en concertation avec d’autres puissances sous mandat de l’ONU.

* Bayram Balci, chercheur au Centre d’études et de recherches internationales (CERI)

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