Le « modèle turc » est déjà écorné 2 décembre 2011
Posted by Acturca in Turkey / Turquie.Tags: Ahmet Şık, Ercan Ipekçi, journaliste, liberté de la presse, Nedim Şener, Turkey / Turquie
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Le Soir (Belgique) vendredi 2 décembre 2011, p. 12
Delphine Nerbollier, Istanbul
La presse critique est placée sous la pression du pouvoir d’Ankara
Rien ne prédisposait des journalistes d’horizons aussi différents que Bedri Adanir, Soner Yalcin ou Ahmet Sik, à apporter leur contribution à la même publication. Kurdes, nationalistes de gauche, islamistes ou journalistes d’investigation : ils sont 39 à avoir participé, depuis leurs geôles, au premier numéro du Journal prisonnier sorti cet été et dont le numéro deux est en préparation. « Cette initiative est une première mondiale – dont les dirigeants turcs ne peuvent être fiers ! » , explique Ercan Ipekci, le président du syndicat des journalistes qui a porté ce projet à bras-le-corps.
Les 39 journalistes emprisonnés qui ont réalisé cette gazette sont poursuivis pour appartenance, soutien à une organisation terroriste ou propagande terroriste. « Aucun d’entre eux n’a pris les armes, jeté de cocktail Molotov ni suivi d’entraînement terroriste. Sont-ils des terroristes ou défendent-ils des opinions ? » , interroge Ipekci. Le président du syndicat critique lourdement la loi antiterrorisme amendée en 2006. Le 18 novembre à Istanbul, le commissaire européen chargé de l’Elargissement de l’Union européenne, Stefan Füle, a aussi exprimé sa « préoccupation envers cette loi et ses interprétations qui ne protègent pas convenablement la liberté d’expression » .
Le journaliste d’investigation Ahmet Sik est devenu le symbole des abus de cet arsenal juridique. En mars, il a été arrêté pour son aide supposée à l’organisation terroriste nationaliste Ergenekon alors même qu’il achevait la rédaction d’un brûlot sur la confrérie religieuse de Fethullah Gulen. Après huit mois de détention, son procès s’est ouvert le 22 novembre, aux côtés de onze autres journalistes. Peu avant, son ouvrage, interdit avant même sa publication, avait enfin été présenté au public. Comme Ahmet Sik, 62 journalistes et éditeurs sont actuellement incarcérés.
« Autocensure »
Du côté du gouvernement, pas question de remettre en cause le bien-fondé de ces enquêtes menées sur la base de cette loi antiterrorisme. Le Premier ministre Erdogan, qui a passé dix mois derrière les barreaux en 1999 pour avoir déclamé un poème, estime « être en train de construire une Turquie où le droit à la liberté de publier, de parler et d’écrire librement est assuré » .
Ces propos font sourire le journaliste Ertugrul Mavioglu, poursuivi pour avoir réalisé un reportage avec Murat Karayilan, le leader du PKK. « Dans les années 1990, le chef d’état-major convoquait les journalistes. Maintenant, c’est le pouvoir civil. » Ce journaliste critique notamment la convocation par M. Erdogan des patrons de presse après la mort en octobre de 24 soldats tués par le PKK.
« Avant de nous demander si tel événement est une information, nous nous demandons si sa publication ne va pas à l’encontre des intérêts gouvernementaux, confie un journaliste d’un grand quotidien. C’est cela, l’autocensure. » Le ministre turc des Affaires européennes Egemen Bagiss botte en touche : « Cela n’a rien à voir avec nous mais avec les patrons de presse qui ont d’autres intérêts. » La plupart des médias sont détenus par des groupes industriels de l’énergie ou de la construction. « Le gouvernement le sait et en profite » , souligne Ercan Ipekci, qui ne comprend pas pourquoi la Turquie est montrée comme « modèle » . « Nous sommes plus démocrates que la plupart de nos voisins. Mais notre but est-il de nous aligner sur eux ou sur l’Europe ? »
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