La Turquie et le printemps arabe en toile de fond d’un forum des médias à Istanbul 8 décembre 2011
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L’Orient-Le Jour (Liban) 8 décembre 2011
Élie Fayad, Istanbul
Réunir un forum des médias turco-arabes sur les rives du Bosphore, pour quoi faire ? Cette question, de nombreux participants arabes et turcs à cette rencontre, tenue les 30 novembre et 1er décembre dans l’un des plus prestigieux palaces d’Istanbul, se l’ont posée avant, pendant et même après la fin des travaux du forum. La plupart des invités de la direction de l’information au sein de la présidence du Conseil turque, qui organisait le forum, n’avaient certes pas le moindre doute sur la capacité renouvelée de la Turquie du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan à marquer de son empreinte le cours des événements au Moyen-Orient et au-delà.
La tenue du forum en elle-même, l’importance de la participation et l’ambiance conviviale qui a régné sur l’ensemble des travaux ont clairement reflété l’ampleur du rapprochement déjà entamé entre Turcs et Arabes sur plus d’un plan, en particulier sur celui des liens politiques.La question posée était plutôt de savoir ce que pouvait apporter cette rencontre en plein printemps arabe dans le domaine spécifique de la coopération des médias, sachant que l’information dans le monde en général et au Moyen-Orient en particulier reste le quasi-monopole des grands pôles médiatiques internationaux, en particulier des trois grandes agences de presse mondiales, l’AFP, Reuters et AP ; sans oublier toutefois l’incontestable percée des chaînes de télévision du Golfe, et surtout d’al-Jazira.
À noter, entre parenthèses, qu’un responsable de cette chaîne, Ahmad el-Cheikh, n’a pas hésité à faire valoir, au cours de l’un des ateliers de travail du forum, que « sans la » Jazira, le printemps arabe aurait eu quinze ans de retard.Cela étant dit, un autre intervenant arabe, Fahmi Howeidi, du quotidien égyptien ach-Chourouk, a déploré le fait que les médias égyptiens aient eu besoin des services des agences de presse étrangères pour savoir ce qui se passait à la place Tahrir au Caire, c’est-à-dire à quelques centaines de mètres de là où ils se trouvaient.Dès le début, il était clair que les événements de Syrie allaient peser de tout leur poids sur l’ambiance du forum.
Les organisateurs avaient bien entendu adressé des invitations à des médias syriens, à l’instar des autres États arabes, mais personne n’a fait le déplacement de Damas.
En revanche, quelques journalistes syriens résidant à l’étranger et relevant de l’opposition étaient présents.Interrogé par les journalistes libanais en marge des travaux, un officiel turc a affirmé que son pays demeurait opposé à toute intervention militaire extérieure en Syrie et que l’instauration d’une zone-tampon sur le territoire syrien pour venir en aide aux réfugiés n’était toujours pas à l’ordre du jour à Ankara.
Cependant, le vice-Premier ministre turc, Bulent Arinc, s’exprimant à la clôture du forum, n’a pas entièrement exclu cette éventualité, précisant néanmoins que la Turquie agirait « en parallèle avec les démarches de la Ligue arabe ».
Notant que le président syrien Bachar el-Assad était de plus en plus isolé sur les scènes régionale et internationale, l’officiel turc cité plus haut a dit : « S’il croit qu’il est différent de Hosni Moubarak, de Kadhafi ou d’Ali Abdallah Saleh, il se trompe. »La délégation libanaise était formée de sept personnes, parmi lesquelles l’un des meilleurs spécialistes de la Turquie au Liban, Michel Naufal, auteur d’un ouvrage récent sur le retour d’Ankara sur la scène arabe et moyen-orientale.
Les organisateurs turcs du forum avaient nommé un coordinateur francophone pour suivre les Libanais et les Nord-Africains, et des anglophones pour les autres.
Comme on pouvait s’y attendre en pareille occasion, certaines interventions de journalistes arabes ont viré au discours politique moralisateur et accusateur, avec, au menu, les cibles habituelles que sont Israël et l’Occident.
D’autres intervenants se sont employés à envelopper de leur lyrisme le rapprochement arabo-turc, mais ils se sont heurtés à l’approche nettement plus pragmatique, plus terre à terre, des Turcs eux-mêmes, qui se sont efforcés tout au long du forum de maintenir les travaux de cette rencontre dans un cadre scientifique et réaliste.Une boutade du vice-Premier ministre turc à la clôture du forum a parfaitement résumé cette dichotomie.
À une journaliste arabe qui s’interrogeait, sur un ton très solennel, sur ce qu’il y aurait après le 1er décembre, il a répondu, provoquant un tonnerre de rires : « Eh bien, il y aura le 2 décembre » !…
Mis à part cela, le forum s’est achevé sur un communiqué final contenant une déclaration d’intentions et sur l’adoption d’un projet de création d’un « Forum desmédias turco-arabes » permanent, avec pour mission de gérer la coopération médiatique entre les signataires.
Mais s’il ne fait pas de doute que grce à son image de démocratie islamique réussie, la Turquie est embarquée depuis quelques années dans une politique ultravolontariste en direction du monde arabe, mettant fin à un siècle de relations glaciales entre les deux parties, la prudence reste cependant de mise, les méfiances réciproques, voire les racismes, étant loin d’être résorbées.En privé, une journaliste turque résume la situation en ces termes : « Dans le passé, les Arabes avaient une attitude d’incompréhension négative vis-à-vis de la Turquie.
Ce qui a changé, c’est qu’aujourd’hui ils ont à son égard une attitude qui est toujours faite d’incompréhension, mais positive cette fois-ci. »De son côté, l’élite turque, qui aspire encore à l’intégration à l’Union européenne, n’a pas fait entièrement son deuil des anciens griefs à l’égard du monde arabe, vu dans l’ensemble comme une masse confuse et plutôt arriérée.Mais il n’y a pas que l’élite.
À Istanbul, un chauffeur de taxi vous le dira : « Les Libanais, c’est des gentlemen. Pas comme les autres Arabes, qui ne sont bons que pour la danse du ventre »…
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