Guido Westerwelle : « Il ne faut pas confondre islam politique et islam radical »

Nouvelles d’Allemagne

16.01.2012

Dans une tribune parue le 13 janvier dans le journal « Frankfurter Allgemeine Zeitung », le chef de la diplomatie allemande s’exprime sur le rôle des partis islamiques dans la transition en Afrique du Nord et dans le monde arabe.

Islam politique et démocratie

par Guido Westerwelle

Trois périls menacent le « printemps arabe ». Premièrement, la restauration, c’est-à-dire la reconstitution des forces de l’Ancien régime autocratique. Deuxièmement, un échec économique qui avive les tensions sociales et provoque de nouveaux troubles. Troisièmement, le noyautage du renouveau démocratique par des mouvements islamistes fondamentalistes radicaux.

Nous devons soutenir politiquement et économiquement les processus de transition en Afrique du Nord et dans le monde arabe. Grâce aux investissements, aux partenariats éducatifs et à une plus grande ouverture des marchés, nous pouvons contribuer grandement à l’amélioration des perspectives économiques et personnelles des populations.

Sur le plan politique, nous devrions insister sur l’ancrage des institutions et processus démocratiques, sur les modes de participation et la pluralité. À cet égard, comment aborder les groupes politiques dont l’agenda politique puise dans les valeurs et les conceptions morales de l’islam ? Partout où des élections se tiennent, une majorité se dégage en faveur des mouvements d’orientation islamique. Comment traiter l’islam en politique ?

Il importe d’avoir un regard lucide et objectif sur la question. L’islam politique n’est pas l’islamisme radical. Une orientation islamique n’est pas synonyme en soi de principes rétrogrades, antimodernes, antidémocratiques et contraires aux libertés.

Nous devons apprendre à y regarder de plus près et à nuancer. Il est entendu que des groupes fondamentalistes, effectivement « islamistes » ont fait leur entrée sur la scène politique et qu’un dialogue avec ceux-là n’a aucune chance d’aboutir. Mais nous constatons par exemple au Maroc et en Tunisie que ce sont plutôt des majorités issues de partis islamiques modérés, pour l’instant, qui ont remporté les scrutins.

Il est nécessaire de rechercher le dialogue, précisément avec ces forces modérées, sur les rapports entre l’État et la société, la politique et la religion. En effet, les partis inspirés des valeurs musulmanes et des traditions nationales ont actuellement de très fortes chances de s’établir à long terme dans la région comme des partis de masse à même de constituer des majorités. Nous devons respecter le fait que des partis des pays d’Afrique du Nord souhaitent pratiquer une politique orientée en fonction de valeurs islamiques tout comme il va de soi, en Europe, que de nombreux partis sont attachés à des valeurs chrétiennes et souhaitent mettre en œuvre leurs conceptions politiques sur cette base.

La question cruciale, pour nous, doit être de connaître le rapport de ces partis politiques islamiques à la démocratie. S’agit-il de partis démocrates-musulmans de la même manière qu’il existe tout naturellement, dans le spectre politique européen, des partis démocrates-chré­tiens ? Je suis convaincu qu’il est possible de relier orientation islamique et principes démocratiques, islam et démocratie.

Les pays en transformation d’Afrique du Nord ont l’occasion de le démontrer. Nombre de représentants des forces islamiques modérées d’Afrique du Nord se réfèrent d’ores et déjà aux évolutions en Turquie. Dans ce pays, un parti, l’AKP – malgré l’attitude critique qu’il convient d’adopter à son égard –, est devenu la plus importante force politique en s’appuyant à la fois sur de fortes racines musulmanes et sur le respect des principes démocratiques.

Nous devons observer de près le programme des partis islamiques et surtout nous devons les juger sur leurs actes. Leur attachement à la démocratie et à l’État de droit, à une société pluraliste et à la tolérance religieuse ainsi qu’au maintien de la paix dans leur pays et à l’étranger sera primordial. Ce sont les six critères que nous poserons et dont nous demanderons le respect. Ceux qui s’y tiendront pourront compter sur notre soutien.

En Tunisie, Ennahda a remporté la majorité des sièges lors de l’élection de l’Assemblée constituante. Les représentants de ce parti se sont donné pour objectif de réconcilier la tradition et l’identité musulmane avec les défis des sociétés modernes tout en désignant la démocratie et la pluralité comme cadre politique de leur action. À la suite du scrutin, Ennahda a intégré une coalition avec des partis laïques. Ce sont des signes encourageants sur la voie d’un paysage politique dans lequel les partis démocrates-musulmans prendraient une place importante. Nous devrions apporter notre part à l’édifice, soutenir les évolutions positives en entretenant le dialogue et apportant notre soutien pour assurer une transition durable vers une société démocratique et plurielle.

Une chose est sûre : rompre avec le passé autocratique ne pourra se faire du jour au lendemain. Cela exigera, des deux côtés de la méditerranée, de la patience et de l’endurance. Le Printemps arabe a enclenché des processus de mutation sociale et politique profonds. La fin des despotes et des dictateurs de Tunisie, de Libye et d’Égypte a représenté la première étape de la révolution. Le chemin qui reste à parcourir, celui du renouveau politique, social et économique, est encore plus long et vient seulement de commencer.

L’occasion se présente d’établir durablement les forces islamiques modérées comme partis démocrates-musulmans. Nous avons tout intérêt à ce que le modèle des partis démocrates-musulmans se pérennise. C’est pourquoi nous devrions faire ce qui est en notre pouvoir pour encourager ce processus.